Demandez vampires, sorciers, petites princesses...

Lors d’un récent et sympathique salon du livre, je me trouve face à mes piles d’ouvrages et à côté d’une bénévole-accompagnatrice-caissière, comme mes autres camarades auteurs.

Quand les visiteurs arrivent, force est de constater qu’il y a beaucoup d’adultes, quelques enfants mais très peu d’ados. Comme me le font remarquer les bibliothécaires, enseignants et profs-documentalistes qui viendront me faire un petit coucou, en sixième on continue de faire lire. En cinquième, c’est déjà plus dur. Mais après, les élèves désertent CDI et bibliothèques.

Un constat qui se confirme avec les acheteurs…

Gros succès pour la BD, les albums et les auteurs-pour-adultes-qu’on-voit-à-la-télé

Achats raisonnés pour les enfants dont les parents exigent qu’ils choisissent un livre. Eh oui, quand on est à l’école, les parents obligent les enfants à lire, ça fait partie de l’entraînement.

Mais après 12 ans, les lecteurs se raréfient, une vraie peau de chagrin !

J’entends d’ici des voix qui protestent : faux, il y a de gros succès pour les jeunes adultes !

Exact. Hunger Games fait un tabac. Et la fantasy aussi, ainsi que des trilogies post Stephenie Meyer. Vampires, sorciers et princesses ont encore un public garanti - surtout si l’ouvrage vient des Etats-Unis. Ne crachons pas dans la soupe : même formatés et traduits, il s’agit là encore de livres. Leurs auteurs sont souvent sincères. Et puis il faut bien vivre.

Parce que vous pouvez protester, les chiffres sont là : hors best-sellers, les ventes jeunesse sont en baisse. Et même en chute libre pour « les ouvrages de la prescription » - recommandés par les instructions ministérielles, ou achetés en série parce qu’ils traitaient d’une époque particulière du programme d’histoire.

En 4ème et en 3ème, lire n’est plus tendance. D’ailleurs regardez la télé ou les pages culturelles  ( adjectif plein d’humour ? ) des pubs de supermarchés. On y vante les derniers DVD blue ray, Iphones, smartphones et autres tablettes numériques. A 14 ans il faut avoir le dernier portable, surfer sur le web, appeler, envoyer et recevoir des SMS. Lire ? Vous voulez rire !

A mes côtés, la bénévole ( 30 ans maximum ) me confie qu’elle est enseignante. Et comme elle me voit sortir un bouquin de mon sac, elle s’écrie, dépitée :

- Vous avez raison, j’aurais dû prendre un livre ! 

Je me mords les lèvres pour ne pas rétorquer : « Des livres ? Mais vous en avez sur la table ! Les miens, ceux de mes camarades… il y a l’embarras du choix ! »

Non. Elle sort son téléphone et s’affaire, le pouce sur les touches et l’œil sur l’écran.

De la journée, elle ne touchera pas un seul ouvrage, ne posera pas une question. Il y a pourtant là des textes de littérature générale, des romans, des récits, des documentaires.

Comment ne pas être perplexe ( hum… ou même un peu désespéré ) si, au cours d’un salon du livre, un enseignant ( proche d’une association impliquée dans la manifestation ! ) n’a même pas l’idée ou le réflexe de jeter un coup d’œil sur les ouvrages qu’il/elle pourrait conseiller ou aborder avec ses élèves ? Comment s’étonner ensuite qu’il/elle soit incapable de leur communiquer une passion – non, disons un simple intérêt – pour la lecture ?

Rectificatif : le lendemain, une autre bénévole est là. De mon âge. Retraitée. Grand-mère, me confie-t-elle, de 22 petits-enfants, et même arrière grand-mère ! Passionnée, curieuse, elle me demandera si elle peut rester avec moi ( et avec deux collègues à elles ) pendant le repas. Elle achètera trois de mes ouvrages - et je lui en offrirai un autre. Elle lit, elle aime lire, et elle veut faire partager sa passion à sa descendance... de quoi me rassurer un peu.

Mais pas totalement.

Parce que face aux mille et un débats actuels ( TVA passée à 7%, mort programmée du livre papier, concurrence de la liseuse, j’en passe ! ), je rumine la même et permanente évidence : loin, très loin  du prix du livre et de la concurrence numérique, se pose aujourd’hui plus que jamais le seul vrai problème : comment donner ( ou redonner ? ) le goût, l’envie de lire ?

Apprendre à lire est une chose. Aimer lire en est une autre, bien plus impérative !

Raoul Dubois, feu mon maître à penser, affirmait : aucune méthode de lecture, aussi médiocre soit-elle, ne parviendra jamais à empêcher d’apprendre à lire un enfant qui en a envie.

Cette passion, qui va de pair avec la réflexion, l’imaginaire, l’intelligence, l’indépendance, doit naître dès l’enfance, s’entretenir pendant l’adolescence.

Devenir une nécessité, un besoin.

Au même titre que l’air, l’eau.

Et la liberté.

CG

Petit PS prudent…

Relisant ce billet, je m’aperçois que des esprits retors pourraient y voir une critique voilée du corps enseignant en général, et cette jeune bénévole en particulier.

Ils auraient tort !

Les meilleurs alliés des écrivains ( en général ) et des auteurs jeunesse ( en particulier ) sont bien entendu les enseignants, auxquels je ne cesse de rendre hommage et qui, face à leurs classes souvent lourdes, difficiles, à leurs programmes et à des instructions sibyllines, ont de plus en plus de difficultés à faire aimer la littérature à leurs élèves. Loin de les stigmatiser, ce billet témoigne simplement de mon inquiétude face à une tendance qui, notamment chez les jeunes – et les « jeunes adultes », montre une désaffection grandissante pour le livre et la lecture. Les responsables n’en sont pas les enseignants mais une société qui privilégie l’immédiat, l’apparence, l’image… et des moyens de communication qui ne vont pas toujours dans le sens de la réflexion, et de l’approfondissement des faits et de la pensée.

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