La science irrigue-t-elle encore la fiction aujourd'hui ?

La revue trimestrielle Nous Voulons Lire, spécialisée dans l’étude et la critique des livres pour la jeunesse, consacre son dernier numéro aux rapports entre la science et la littérature ( notamment celle qui est destinée à la jeunesse. )

On trouvera ici la première partie de ma contribution à ce numéro ( la seconde suivra la semaine prochaine ) : la réponse à la question

La science irrigue-t-elle encore

la fiction aujourd'hui ?

Le mot science recouvre des notions diverses. Ainsi, on distingue les sciences dures ( plutôt qu’exactes ! ) et les sciences molles ( ou douces ) dont feraient partie les sciences de la vie et les sciences sociales.

Quant à la fiction ( la littérature mais aussi le cinéma ! ), elle s’inspire et traite davantage des technologies que des sciences elles-mêmes, les technologies étant les applications pratiques des sciences : l’astronomie a ainsi donné naissance à l’astronautique.

Science et littérature ont toujours entretenu des rapports difficiles. Faut-il croire que les scientifiques se méfient de l’imaginaire… et que les amoureux de la littérature sont peu attirés par les sciences ?

Science et littérature : historique.

Pour faire court, disons que la littérature se nourrit des sciences depuis la Renaissance.

L’astronome Johannes Kepler fut sans doute le pionnier de la « hard science » avec son récit Somnium, écrit ( en latin ) en 1608, un voyage imaginaire sur la Lune nourri de ses propres observations. Si Léonard de Vinci, un siècle auparavant, avait écrit des romans, il aurait été un pionnier de la science-fiction !

Écrit en 1654 par Cyrano de Bergerac, L’Autre Monde, sous titré Histoire comique des états et empires de la Lune & du Soleil, était nourri des dernières découvertes scientifiques. Elève de Gassendi, Cyrano inventait même la fusée à étages ! Poète frondeur athée et homosexuel, il a été poursuivi par l’Inquisition...

Swift et Voltaire se sont illustrés dans les contes philosophiques, où les sciences sont surtout sociales.

Il faudra donc attendre le XIXe siècle et Jules Verne ( puis R.L. Stevenson, Jack London, H.G. Wells et Rosny Aîné ) pour que les nouvelles découvertes alimentent l’imaginaire des auteurs. Leurs ouvrages, notons-le, ont surtout touché le jeune lectorat. Comme s’il fallait être jeune pour être intéressé par l’union ( contre nature ? ) des sciences et de la fiction.

En réalité, c’est au XXe siècle que le genre hard science va s’épanouir grâce :

  • aux progrès de la médecine et aux prémisses de la génétique ( L’île du Dr Moreau en 1896, Le meilleur des mondes de Huxley en 1932 )

  • aux applications indirectes ( le « Voyageur de Langevin » ) de la Théorie de la relativité générale publiée par Einstein en 1916.

  • aux progrès des fusées qui, de Tsiolkovski L'Exploration de l'espace cosmique par des engins à réaction fut publié en 1903 ) à Wernher von Braun, permettront la conquête de l’espace.

  • à la découverte des galaxies ( par Hubble, en 1920 ) et l’estimation de la taille et de l’âge de l’univers, de quoi nourrir l’imaginaire des écrivains !

En 1967, accompagnant mes élèves au Palais de la Découverte, j’ai reçu un rejet cinglant de la part des scientifiques présents après leur avoir révélé que j’écrivais des romans de SF ! La même année, aux Etats-Unis, les 60 000 acteurs du projet Apollo étaient pourtant abonnés d’office à des magazines de SF, la NASA jugeant que ces récits pouvaient aider la conquête spatiale.

Aujourd’hui, les salons du livre et les congrès se multiplient. Aux Utopiales de Nantes, aux Imaginales d’Epinal, au salon Scientilivres de Labège ( à deux pas de La Cité de l’Espace et d’Airbus Industrie ), écrivains, chercheurs et ingénieurs de tous bords échangent et se côtoient. Désormais, l’information circule ! Et les scientifiques ne considèrent plus l’imaginaire comme un ennemi.

Aussi, la réponse à la question posée en guise de titre pourrait se résumer à : « Oui ! Plus que jamais ! »

Toutefois, il conviendrait de nuancer cette affirmation : si la science irrigue la fiction, les lecteurs ne sont pas toujours au rendez-vous. Et il serait bon d’en analyser les raisons.

Quelles sciences sont le terreau de la fiction ?

Les sciences sociales ( problèmes de société, comportements humains ) ont toujours nourri l’imaginaire des auteurs, de Mme de la Fayette à Michel Houellebecq en passant par Voltaire, Balzac, Flaubert, Stendhal, Zola, Henry Bordeaux, François Mauriac, René ou Hervé Bazin. Elles sont aussi le terreau de nombreux récits de SF dans lesquels une découverte ou de nouvelles lois modifient en profondeur les comportements sociaux. C’est le cas des dystopies actuelles pour jeunes adultes ( Uglies, Hunger Games, Divergente, la trilogie du Labyrinthe, etc. ). Ces ouvrages se contentent de mettre en scène, dans le futur, des ados luttant contre une dictature. Ces récits font bien partie du genre SF, mais on y trouve peu de sciences ; et leurs technologies relèvent du gadget.

Si l’ont tient l’Histoire pour une science sociale, l’uchronie a retrouvé un nouvel élan : nombreux sont les auteurs ( Eric Emmanuel Schmidt avec La part de l’autre, Albin Michel ) à imaginer une société contemporaine différente de la nôtre à la suite d’un événement historique qui a modifié le futur : dans l’exemple cité plus haut, le simple fait qu’Adolf Hitler soit reçu ( il a été en réalité recalé ) au concours des Beaux-Arts de Vienne en 1908.

Les sciences dures, elles, flirtent souvent ( mais pas toujours ! ) avec la science-fiction. Les récits de SF qui les utilisent se classent alors dans la « hard science », un genre qui requiert de la part de l’auteur ( et des lecteurs ) de bonnes connaissances dans un domaine particulier.

Autrement dit, les récits qui utilisent les sciences sociales relèvent rarement de la SF ; et les récits de SF n’utilisent pas toujours les sciences dures.

Voici à présent un bilan ( certes incomplet ) des sciences et des technologies que certains récits mettent en scène ; le choix d’ouvrages qui les illustrera sera hélas loin d’être exhaustif.

Astronomie & astronautique

    Le genre space opera a connu son heure de gloire des années 40 aux années 70 : le film 2001, L’Odyssée de l’espace sort en 1968. Le 20 juillet 1969, Armstrong pose le pied sur la Lune ; la réalité rejoint la fiction. Désormais, l’imaginaire des auteurs se focalisera peu à peu sur l’avenir de la Terre et se tournera vers les sciences touchant l’environnement, puis vers l’informatique et la biologie.

Pourtant, la conquête spatiale nourrit encore l’imaginaire des écrivains, surtout ceux qui oeuvrent pour la jeunesse : Le très grand vaisseau* d’Ange ( Syros, MiniSoon ), Il faut sauver Laïka* de Philippe Barbeau ( Hatier ), Les robinsons de la Galaxie, Le passager de la Comète* ( SEDRAP, La science en tête ), Allers simples pour le futur** ( Mango, Autres Mondes) Contes et récits de la conquête du ciel et de l’espace** ( Nathan, Contes et légendes ) ou encore Le satellite venu d’ailleurs** ( Milan ) de Christian Grenier.

    Mars semble être l’objectif le plus proche : adultes, lisez la magnifique et très réaliste trilogie de Kim Stanley Robinson Mars la rouge, Mars la verte et Mars la bleue ( Pocket ) ou le plus récent Au loin, une lueur : le projet Mars d’Andreas Eschbach ( L’Atalante ). Lisez aussi le classique Mission Gravité de Hal Clément ( Robert Laffont, Ailleurs et demain ), Go Ganymède d’Antoine Bello ( Gallimard ), et Jardins d’Aleph 2 de Colin Marchika ( L’Atalante ).

Robotique & cybernétique

A l’image de la conquête spatiale, les robots ont eu leur heure de gloire dans les années 50, à l’époque où ils avaient forme humaine et semblaient menacer l’emploi - voire supplanter l’humanité. Aujourd’hui, dans l’industrie ou dans la vie quotidienne, ils nous envahissent de façon efficace et plutôt pacifique. Du coup, ils monopolisent moins la littérature de SF que les cyborgs, les « hommes modifiés » qui font nous interroger sur les liens ( et les frontières ) entre l’homme et la machine. Le cinéma en a usé ( et abusé ? ) avec Robocop, Terminator et I, Robot..

Si les plus jeunes peuvent voir le joli film d’animation Wall-E, ils liront surtout avec profit L’enfant-satellite* de Jeanne A-Debats ( Syros, MiniSoon ), Robot mais pas trop* et Roby ne pleure jamais* d’Eric Simart* ( Syros, Mini Soon ) ou encore Gare au robot-prof* de Christian Grenier( Magnard, Les Pt’its Fantastiques ). Les aînés doivent connaître l’incontournable trilogie des Robots d’Isaac Asimov mais aussi le classique et méconnu Les Humanoïdes de Jack Williamson. Notons que robots et cyborgs, sans être au centre d’un récit, sont des perturbateurs ou ( pour citer Propp ) des adjuvants tour à tour efficaces et dérangeants, comme les chenilles des Mange-forêts de Kim Aldany ( Nathan poche ), les« hommes-écrans » de Virus LIV 3** les protagonistes du recueil préfacé par Axel Kahn Les visages de l’humain** ( Mango, Autres Mondes ) ou, au cinéma, les répliquants du chef d’œuvre de Ridley Scott Blade Runner( d’aprèsla novella de Philip K. Dick Les robots rêvent-ils de moutons électriques ? )

La suite ( et la fin ) de cet article la semaine prochaine.

Si vous souhaitez vous abonner à ( ou obtenir des renseignement sur ) Nous Voulons Lire, adressez un mail à : contact@nvl-cralej.fr


* à partir de 8 ans : CE2, CM1, CM2

** 11 ans et + : collège, ados et jeunes adultes

Haut de page