Le Diable, tout le temps, Donald Ray Pollock, Albin Michel

Willard Russel, de retour dans l’Ohio après avoir participé à la guerre de 39/45, n’épouse pas Helen, comme l’aurait souhaité sa mère Emma, mais une jolie serveuse, Charlotte, dont il a un fils : Arwin.

Helen, elle, épouse Roy, un prédicateur cinglé qui a un cousin invalide, Théodore, dont il ne se sépare jamais. Persuadé qu’il peut accomplir des miracles, Roy va égorger Helen… sans parvenir, évidemment, à la ressusciter !

Il a eu le temps de lui faire un enfant, la petite Lenora, qui est laide comme un pou. Le couple Roy/Théodore enterre Helen à la hâte et fuit pour vivre désormais en prêchant ici et là –Théodore à la guitare et Roy dans le rôle du bon apôtre…

Entre-temps, Charlotte est tombée malade ; pour la sauver du cancer qui la ronge, son époux Willard entreprend des sacrifices sanglants ( animaux divers… et plus, si affinité ) sur un vieux tronc d’arbre ; il y entraîne son fils, le jeune Arwin. Cela n’empêche pas Charlotte de mourir ; Willard se suicide alors près du tronc à sacrifices, en laissant Arwin orphelin.

Le sheriff Bodecker va gérer cette douloureuse affaire. Il a une sœur, Sandy, ; celle-ci a épousé un faux photographe gras et libidineux qui l’utilise comme appât pour tuer des auto-stoppeurs et réaliser avec leur cadavre des photos morbides qu’il collectionne…

L’oncle d’Arwin, Easkwell, donne à son neveu ( il a alors 15 ans ) une arme qui lui sauvera la vie. Le jeune Arwin – qui est plus ou moins le héros de ce récit – va prendre la laide Lenora en amitié. Il la considère comme sa sœur et devient vite son protecteur. Mais Lenora, malgré sa laideur, va tomber sous la coupe d’un nouveau prédicateur, obsédé sexuel…

Salué par la critique, ce roman a été couronné de prix.

Il a de nombreuses qualités : son écriture, sobre et efficace ( on est vite captivé ) et un univers qui ravira les inconditionnels du roman « dur » américain, de James Ellroy à Jim Harrisson, avec un panorama réaliste ( et morbide ) de l’Amérique profonde ( et dépravée ) des années soixante…

Soyons clair : ce roman fourmille de saletés, d’ordures, de sueur, de crasse, de vomi, de sexe, d’urine, de merde et de sang ; et il n’y a pas un personnage auquel le lecteur peut, euh… s’attacher. Le jeune Arwin ? Oui, peut-être. Mais le malheureux gamin deviendra lui-même un triple meurtrier – il faut dire qu’il n’a guère été encouragé par son milieu familial, notamment un père complètement à la masse !

Bref, on va me reprocher de ne pas mêler ma voix aux éloges unanimes dont ce roman a fait l’objet, son auteur étant d’ailleurs éminemment sympathique ( il faisait partie des invités du salon du polar de Pau en 2014 : Un aller retour dans le Noir ).

Non, non : lisez-le, accrochez-vous, on est en effet au bord de la caricature ( mais qui sait ? ), avec des personnages issus d’un lumpenprolétariat US qui fascine les Européens que nous sommes… Après tout, c’est ça, l’Amérique qu’on admire : celle des excès que leurs observateurs aiment décrire et critiquer.

On a parfois reproché à mes romans l’absence d’un méchant ; il est vrai que je n’obéis pas aux règles de Propp. Eh bien ici, c’est l’inverse : il n’y a que des paumés, des obsédés, de faux dévots – et de pauvres gosses.

Si l’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, alors ce roman est un chef d’œuvre. Sa conclusion, à manière du Train sifflera trois fois, est d’ailleurs la copie conforme d’un western classique. La scène finale rappelle aussi celle de la dernière image des albums de Lucky Luke. Mais Arwin n’est pas lucky, ni même a poor lonesome cow boy. Il a un lourd héritage, beaucoup de sang sur les mains et un destin… très incertain.

Lu dans sa version poche, un très joli petit livre rouge de 400 pages, très souple et très solide.

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