La Niouze Letter n° 37 de Mars-Avril 2010


D’Haïti à Xynthia…

Le 12 janvier à Haïti, la terre a tremblé. Ce n’est plus d’actualité, allez-vous me dire. L’actualité, c’est Xynthia et ses 60 victimes françaises, non ?
Exact. Mais faut-il pour autant tirer un trait sur cent ou deux cents mille morts ?
Ces deux drames suscitent en moi plusieurs constatations…

1/ Il y a cinquante ans, un drame comme celui d’Haïti passait presque inaperçu. Les seules victimes importantes étaient celles des proches.
Exemple : le 2 décembre 1959, le barrage de Malpasset, près de Fréjus, se rompait et provoquait la mort de 400 personnes. La radio et les journaux s’en firent l’écho jusqu’à la fin de l’année. J’avais 14 ans et je m’en souviens encore.
Mais qui se souvient des séismes qui eurent lieu en Chine ou au Japon ?
·    Le 16/12/1920, à Gansu, en Chine : 200 000 morts.
·    Le 1/09/1923, à Kanto, au Japon : 141 720 morts ( notons que dans les pays industrialisés, on comptabilise les victimes avec précision )
·    Le 22/05/1927, à Xining, en Chine : 200 000 morts.
·    Le 5/10/1948, au Turkménistan : 110 000 morts.
·    Le 27/07/1976, à Tangshan, en Chine : 240 000 morts officiels ( peut-être 500 000 ou 800 000 en réalité ? )

2/ Grâce à Internet et aux satellites, à la rapidité de l’information et de la transmission des images, la Terre est devenue plus petite ; le sort des victimes dans les pays lointains finit par nous toucher très vite. Ouf !
Ouf ?

3/ Nuançons : cinq jours après Xynthia, ses 52 morts et ses 8 disparus, France Info a passé le 3/03 au matin  une brève de quatre secondes : «  glissement de terrain en Ouganda. On déplore 80 morts et 400 disparus ».
Cette info, vous l’avez entendue ? Vous l’avez répérée dans les journaux ?
Bah, l’Ouganda est quand même loin, très loin de la Vendée. Et puis c’est l’Afrique, non ?

4/ Autre constatation qui n’a ( en apparence ) rien à voir… Le 16 septembre 2008, les marchés financiers s’effondraient. En quelques jours, des centaines de milliards étaient débloqués pour renflouer les banques et sauver le système.
Des centaines de milliards…
Et là, devant le drame d’Haïti qui a touché neuf millions d’habitants, il a fallu une semaine pour constater que des milliers de survivants continuaient de mourir faute de soins, d’hôpitaux, de vivres, d’eau potable…
Haïti reste lui aussi un pays très lointain et surtout très pauvre - mais pourquoi ? Faute de place, je ne peux que résumer une analyse qui mériterait un long développement : si Haïti, premier grand pays à avoir acquis son indépendance, est resté si démuni, c’est en grande partie à cause de l’incurie et de sa mise à l’écart des pays industrialisés. Si Haïti avait du pétrole, on s’en serait mieux occupé. Mais il reste la patrie d’anciens esclaves ayant eu l’audace de prendre leur indépendance. Donc, à eux de se débrouiller !
Les aider financièrement ? Certes – et c’est très bien. Mais ce n’est pas suffisant.

5/ Quant à Xynthia et à ses soixante victimes, il est terrifiant de constater que ce drame était prévisible : les digues légères et les constructions en zone facilement inondables sont des faits hélas reconnus a posteriori. Si un tremblement de terre reste imprévisible ( euh… on peut limiter les victimes avec des normes antisismiques, mais encore faut-il avoir les moyens de les respecter ! ), un drame comme celui de Xynthia ( et des dizaines d’autres de plus en plus fréquents : glissements de terrain, cyclones, tempêtes, etc. ) relève indirectement du changement climatique. Un changement complexe à contrer, mais qui, si rien n’est fait ( et l’on ne fait pas grand-chose ! ) coûtera des centaines, des milliers de fois plus cher dans les années et les décennies à venir !
Mais là encore, on préfère laisser le système en place parce que les payeurs, ce seront en définitive les petits et ( en réalité ) les victimes elles-mêmes.

6/ En Vendée, construire en zone inondable et dangereuse arrangeait les municipalités ( plus de maisons = plus de familles = davantage de consommateurs pour les commerçants, d’enfants pour les écoles, d’argent grâce aux taxes d’habitation, etc. ) et… les promoteurs !
Une fois les maisons détruites ( je ne parle pas des morts… encore qu’il y ait les assurances-vie ), qui paiera la facture d’un milliard d’euros ?
Réponse : l’état et les assurances ; c'est-à-dire… nous. Parce que les impôts et les assurances vont augmenter en conséquence.
Quant aux promoteurs, on ne leur demandera rien, ils ont définitivement engrangé leurs bénéfices, bien à l’abri en Suisse ou aux Iles Caïman – un argent qui échappe à l’impôt, un impôt qui augmentera d’autant plus pour vous et moi que ces sommes mises à l’abri constituent un manque à gagner pour l’Etat ( souvent complice, non ? ).

7/ Autre information ( empruntée à la page 37 du Télérama 3134 – 6 au 12 février ) qui n’a en apparence rien à voir :
« en 2004, des fonds d’investissement déboursent 11 millions de dollars pour acheter 80% des actions du groupe Samsonite, revendues en 2007… 1,7 milliards de dollars ! Entre-temps, le site du Pas-de-Calais a été cédé à un repreneur qui, en fait de produire les panneaux solaires qu’il avait fait miroiter, se déclare en faillite au bout de 18 mois. » Les salariés attaquent le groupe pour «  prouver que le sort des salariés d’une usine du Pas-de-Calais n’est pas étranger à la gigantesque plus-value réalisée par les actionnaires. Que des opérations frauduleuses sont à l’origine du fabuleux bénéfice. »
Et j’ajouterais : de leur licenciement !

Ma conclusion ?
Ici comme ailleurs, en Haïti comme avec Xynthia ou l’entreprise Samsonite, on privatise les bénéfices et on nationalise les pertes. Qu’il s’agisse de biens matériels ou humains. Parce que dans cette économie de marché que Nicolas Hulot en vient lui-même à condamner, l’individu n’est plus qu’une marchandise.

Christian Grenier

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