Il y a quelques années, j’ai eu la surprise de découvrir dans un magazine un article dans lequel le journaliste affirmait que venait de naître ( avec Hunger Games ) pour les jeunes adultes, un nouveau genre littéraire : la dystopie. Une affirmation qui m’a fait sourire, en même temps que se popularisait ce nouveau nom qui remplaçait son vieil équivalent : l’anti ( ou la contre-) utopie.
Dès 1932, le genre s’imposa : avec Brave New World ( Le meilleur des mondes ) de Huxley, puis 1984 de George Orwell et Fahrenheit 451 de Bradbury. Dans le domaine jeunesse, après mon Face au Grand Jeu ( 1975 ), Michel Grimaud publia Soleil à crédit, Le Temps des gueux - François Sautereau La cinquième Dimension… s’il fallait établir laliste des dystopies, elle serait longue !
Au cinéma, l’ancêtre est sans doute le Métropolis de Fritz Lang, que suivront le premier long métrage ( méconnu ) de Georges Lucas THX 11 38, puis Soleil Vert, Le monde de cristal…
Plusieurs remarques : ce genre, au fond assez facile à traiter, possède une structure classique : dans une société du futur où des lois injustes et un pouvoir sans partage s’imposent à un peuple docile et résigné ( là, on s’aperçoit que Wells était un précurseur en 1895 avec les Eloïs et les Morlock de sa Machine à explorer le Temps ), le héros ( et un ou deux adjuvants ) prend conscience de son aliénation. Il se révolte et parvient, in extremis, à convaincre la population de se libérer de ce joug, point final.
Oui : point.
Parce que aller plus loin, ce serait prendre des risques et se lancer dans un genre autrement plus délicat : l’utopie ou encore : « imaginer un monde aux lois permettant à tous de vivre enfin en harmonie ». Autre inconvénient majeur : une fois l’utopie réalisée, l’intérêt narratif disparaît puisque les problèmes sont résolus !
Autre remarque : l’objectif de la dystopie, c’est de montrer les dangers ( en les caricaturant ) de certaines tendances de notre société contemporaine : son consumérisme ( Face au Grand Jeu ), son désir d’évasion ( Soleil à crédit ), son chômage endémique ( Le Temps des gueux ), sa dictature de la jeunesse et de la beauté ( L’âge de cristal ) – j’en passe.
Autrement dit, les dystopies nous décrivent les impasses de certains futurs en nous suggérant d’éviter telle ou telle voie.
Eh bien c’est raté : en effet, quelles que soient ces impasses, force est de constater que nous les avons toutes empruntées. D’où le titre de ma minute du vieux schnock : la dystopie ? Allons, inutile de nous fermer les yeux : nous y sommes déjà ! Il suffit de voir l’hystérie qui s’empare des acheteurs une heure avant l’ouverture des soldes, la foule qui se précipite vers les plages ou la neige dès que la saison s’y prête, ou la vente explosive et récurrente des magazines qui vantent les recettes pour maigrir - ou les crèmes anti-rides.
Avec une petite différence : dans la dystopie, les lois tombent d’en haut ; contraignantes, elles sont imposées à la population. Mais dans notre société, dans notre réalité, c’est la population qui ( souvent majoritaire ) en redemande !
La Novlangue de 1984 ?
Elle circule à la radio, à la télé, dans les médias – et nous la pratiquons, la relayons, l’imposons – faute de quoi on passerait pour rétrograde ou vieux jeu.
Les caméras de Big Brother ?
Ce sont les conseils municipaux, élus, qui les installent et les multiplient.
L’intrusion dans notre vie privée ?
Mais nous la réclamons, en ne cessant de l’étaler dans les réseaux sociaux ou à la télé.
Là, le spectateur lambda est devenu le psy de service, à l’écoute des confidences de celle ou celui-qui-est-trop-content-de-se-déshabiller-devant-la-caméra, au sens propre ou/et au sens figuré.
On finirait presque par se demander si la dystopie, ce n’est pas comme la violence dénoncée par certains documentaires, infos ou films d’action : à force de nous montrer ( plus ou moins complaisamment ) ses dégâts supposés, c’est comme si, malgré nous, on acceptait de la prendre comme modèle.
1 De Caroline -
J'aime tellement les dystopies (et ce livre, Le meilleur des mondes, en particulier) que je ne peux m'empêcher de laisser un commentaire, même sans avoir grand chose à dire. J'adore le style dystopique, et moi aussi j'ai souri en voyant la petite référence à Hunger Games au début, puisque ce livre même est inspiré d'autres textes du même genre (jeu télévisé plutôt sanglant...) et s'il y a bien un livre qui n'ouvre pas vraiment un genre, c'est celui-là. Cela ne lui retire pas les qualités qu'il a pour autant, je souris simplement en voyant cette mise en valeur quand je vois les monstres de la littérature dystopique auxquelles les Hunger Games sont confrontés.
En tout cas, généralement, la "contre-utopie" m'apparaît comme un détail dans mes lectures, un arrière plan général que l'on repère mais qui cache certains éléments de détail qui sont formidables, et ce parce que c'ets l'utopie qui permet de critiquer la société, bien plus que la dystopie qui met en valeur des défauts déjà perçus par le grand public (qui n'a pas quelque réticence à l'idée de fabriquer artificiellement des enfants qui seront conditionnés à être ouvriers ? Ironiser sur l'idée que telle serait la société parfaite de dénonce rien. En revanche, l'utopie de la société parfaitement harmonieuse est très attirante, et l'ennui profond qu'elle provoquerait en réalité nous échappe plus facilement...). Pour ce que je disais sur les dystopie, je pense notamment à la scène, dans Le meilleur des mondes, où le "sauvage", ne connaissant que la littérature classique et romantique, veut reproduire ce modèle d'amour qui est rendu impossible par la modernité. Il n'y a rien de dystopique dans cette nouvele conception de la relation amoureuse, c'est vrai, mais je ne pense pas qu'on ne se sente pas concerné sur ce passage précis. Cette scène n'a jamais, de mon côté, été perçue comme dystopique, et c'est précisément le seul passage dont je me souvienne aussi bien. Je n'ai pas lu ce livre il y a très longtemps, pourtant j'ai oublié les grandes lignes de la description de a société.
De même pour 1984, qui est et restera je pense mon roman préféré, tous genres confondus, je serais incpabale de donner beaucoup d'éléments à propos de la construction de la société dont il est question (à part le novlangue que tout le monde cite, peut être à cause de Klemperer, mais qui n'est pas ce qui fait la qualité du livre). Le mystère autour de la façon dont les "résistants" finissent par avouer des crimes imaginaires est beaucoup plus prenant.
Bref, peu importent ces réflexions, elles sont une impression purement personnelle... mais puisque j'ai pris la peine de commenter et que je suis partie de Hunger Games, s'il y a une trilogie dystopique pour la jeunesse que je conseillerai, qui est plus ancienne et à mon sens bien meilleure (que ce soit dans l'écriture, la construction de l'univers, la chute même), c'est la trilogie de Mallory Blackman dont le premier est Entre chien et loup (et livre qui a, je pense, terriblement influencé mon dernier roman...) Contrairement aux autres dystopies généralement construites sur le point de vue du "gentil", en général un homme du peuple pas si naïf que ça, la qualité propre au dernier tome de la trilogie, Le Choix d'aimer, est que les chapitres alternent le point de vue du héros résistant, du chef de file d'un mouvement que l'on pourrait appeler terroriste, de la femme du peuple naïve et enfermée dans sa vie privée au point de ne pas vraiment réaliser l'ampleur du phénomène social...
2 De christian grenier -
Chère Caroline,
Mais si, vous aviez beaucoup à dire !
Et je m'en veux de ne découvrir votre réaction qu'aujourd'hui.
Honte sur moi : je ne connais pas la trilogie de Mallory Blackman, je vais me mettre en chasse.
Et d'après ce que je comprends... vous écrivez ( et publiez ? ) aussi ?
Ne soyez pas si discrète !
Et encore merci pour la densité et la richesse de votre contribution aux... dystopies !
CG