La reine du silence, c’est le surnom donné à Marie Nimier, la fille de l’écrivain Roger Nimier.
En 1962, Marie n’a que cinq ans quand son père meurt dans un accident de voiture avec sa passagère, la jeune auteure Sunsiaré de Larcône.
Aujourd’hui mariée à Franck, mère de deux enfants à qui, le soir, elle lit les aventures de Pinocchio et Le merveilleux voyage de Nils Holgerson, elle tente – en vain - de passer son permis de conduire. Oui, elle échoue sans cesse à la conduite… pourquoi ?
Elle rassemble pour nous les souvenirs d’un père qu’elle a peu connu et qui, semble-t-il l’a mal aimée… négligée ? Voire niée ? En effet, Marie a longtemps signé, d’instinct : Ni(mi)er. Au point, en signant un chèque un jour, de ne pas se souvenir de son vrai nom : Tu t’imagines la panique, ne plus savoir commet tu t’épelles ? ( p 121 )
Pas si simple d’être la fille d’un écrivain royaliste et surdoué, chef de file d’auteurs rassemblés à l’époque sous le nom des Hussards ( Michel Déon, Antoine Blondin, Jacques Laurent ). Pas simple, de se souvenir ( avec un sentiment coupable de bien être ! ) d’avoir été gentiment prise dans les bras de Céline, qui l’adorait quand elle était petite.
Mille questions se posent donc à elle, qu’elle fait partager au lecteur en le tutoyant. Comédienne devenue écrivain, elle se demande si l’écriture est héréditaire ; et pourquoi, à 25 ans, sans raison apparente, elle s’est autrefois jetée dans la Seine...
Elle revoit aussi sa grand-mère, qui avait la gifle facile ; elle revit sa crise de rhumatismes articulaires, sa jambe cassée à l’âge d’un an – une enfance marquée par les accidents et par de probables tentatives de suicide de son père, souvent absent et volontiers violent…
Au fil de ses réflexions, le lecteur apprend que Marie Nimier a tenté de rencontrer le fils de Sunsiaré : leurs père et mère ont disparu dans le même accident…
Un jour, Marie apprend qu’aura lieu une vente aux enchères dans laquelle figure la correspondance de son père avec un ami. Troublée, elle s’y rend, même si elle n’a pas les moyens d’acheter ces lettres. Troublée et contrariée, aussi : Tu aimerais, toi, que l’on vende ta correspondance personnelle à n’importe qui ? Au plus offrant ? ( p. 139). Grâce à la courtoisie du vendeur, elle a pourtant accès à ces échanges épistolaires inconnus.
Notamment à une lettre datée du 27 août… le lendemain de sa naissance !
« Après avoir parlé de choses et d’autres, mon père annonçait ainsi mon arrivée au monde : Au fait, Nadine a eu une fille hier.
J’ai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en entendre parler.
A bientôt j’espère.
Roger Nimier. » ( p. 143 )
Son père mort, il lui avait toujours semblé qu’elle l’attendait encore : Si mon père ne revenait pas, c’était sans doute à moi de le rejoindre. ( p. 131 )
Culpabilité, remords, repentirs – le repentir, on le sait, est, pour un manuscrit, le terme indiquant un mot raturé et ( ou ) remplacé par un autre…
L’écriture ne serait-elle pas un moyen d’interroger, de comprendre, de « se faire entendre sans parler ? » « Peut-être qu’en nommant on se débarrasse de l’aspect pesant du monde.( P. 155) Se tuer pour se taire, tant les deux verbes conjugués se ressemblent. P. 173
Livré sur le ton de la confidence, ce récit d’écrivain m’a bouleversé.
Certes, il fait souvent référence à des auteurs que j’ai lus, à des faits que j’ai vécus, à des éditeurs, des conseillers littéraires que j’ai côtoyés – et il pose des questions que je me suis bien souvent posées, sur la nécessité de mettre des mots sur des faits, de formuler l’indicible. Seule Annie Ernaux est parvenue à faire vibrer en moi les mêmes émotions poignantes.
Je ne suis pourtant pas fils d’écrivain – mais comme je comprends combien la place est difficile à trouver quand pèse sur vous une telle hérédité !
Dans le même registre, j’avais également apprécié les ouvrages d’Alexandre Jardin évoquant son père Pascal dit Le Nain jaune…
Récit pudique et littéraire, La reine du silence ne peut que toucher celles et ceux que fascinent l’écriture et la grande aventure littéraire de la fin du XXème siècle français.
Merci, Chère Marie Nimier ( que je ne connais pas ), pour ce témoignage dont l’écho vibrera encore longtemps en moi.
Lu dans sa version Folio, avec, en couverture, une photo de l’auteure qui, le doigt sur la bouche, semble répondre à la question posée un jour sur une carte postale envoyée par son père à sa fille de cinq ans : Que dit la reine du silence ?
« Une énigme impossible à résoudre (… ) : comment, sans perdre son titre, à la fois parler et ne pas parler ? »