SF jeunesse (1) : quel public ? quel type d’écriture ?

Pressentie par la NRP ( Nouvelle revue Pédagogique ) pour présenter la « littérature de SF pour la jeunesse », l’universitaire Natacha Vas-Dereys a fait appel à quatre auteurs pour leur poser cinq questions.

Voici mes réponses aux deux premières


Pourquoi, en tant qu’écrivain de science-fiction (entre autres), avez-vous choisi d’écrire pour un jeune public ?

C’est un hasard, pas un choix.

J’ai écrit dès mon plus jeune âge, et dans les domaines les plus divers.

A vingt-deux ans, jeune prof, je n’imaginais pas être publié. Je venais de découvrir le nouveau roman et le genre policier ; à temps perdu, j’écrivais un récit sans ponctuation, inspiré des ouvrages de Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Michel Butor. J’ai aussi bouclé ( sur un cahier, je n’avais pas encore de machine à écrire ) un roman policier que mes amis ont décidé d’adapter en film. Le tournage fut rapide, avec vingt-deux volontaires, tous amateurs. Je n’avais aucun rôle : j’étais le scénariste et le metteur en scène.

C’est l’année suivante, à la suite du chagrin de mon épouse qui venait d’achever, en pleurs, La nuit des temps, que j’ai décidé d’écrire spécialement pour elle « un roman de SF qui se terminerait bien ».

Elle venait justement de m’offrir une machine à écrire. Ce galop d’essai m’a permis d’apprendre à taper. 700 pages plus tard, j’avais rédigé un gros récit d’aventures – certes de la SF, de la spéléologie-science-fiction - même pas du space opera puisque J’abandonnais mes héros quand ils quittaient la Terre. ..

Soyons honnête si j’ai choisi, cette année-là ( en 1968 ) d’écrire de la SF, Barjavel et les mission Apollo y étaient pour beaucoup. Depuis l’adolescence et le lancement du premier Spoutnik ( le 4/10/57 ), j’étais passionné par l’astronomie et je suivais les progrès de la conquête spatiale.

Ecrit au fil de la plume, ce récit avait un seul destinataire : ma femme. Elle m’a encouragé envoyer mon manuscrit – sans même que je l’aie relu ! - à un éditeur ( Hachette ) qui l’a refusé tout en me conseillant de l’adresser à Tatiana Rageot. Cette éditrice de 70 ans l’a publié après que je l’ai raccourci, remanié – et amélioré ! Voilà comment, à ma grande surprise, je suis devenu ( à l’époque ) un « écrivain de SF pour les garçons de 14/15 ans ».

Tatiana Rageot m’a demandé d’autres romans pour sa collection ( Jeunesse Poche Anticipation ). Le troisième, destiné au même public, a décroché en 1973 le prix de l’ORTF. D’autres éditeurs ( GP Rouge & Or, Magnard, La farandole, Robert Laffont ) m’ont alors demandé des récits… de SF pour jeunes adultes.

J’ajoute qu’à l’époque, j’étais prof de Lettres dans un collège, avec face à moi, 18 heures par semaine, un public de l’âge de mes lecteurs.

Ecrire à leur intention me paraissait évident, facile et naturel ; mon succès inattendu a fait le reste. Rejoindre Jules Verne, Robert Louis Stevenson, Jack London, Saint Exupéry et George Sand ( dont les récits avaient bercé mon enfance et mon adolescence ) ne me semblait pas du tout indigne !

Très vite et à mon grand étonnement, j’ai compris ( et vécu ) l’ostracisme dont la « littérature jeunesse » était l’objet. Au lieu de m’en écarter, j’ai choisi de faire face. Et d’essayer de lui livrer le meilleur.

Existe-t-il une manière d’écrire différemment pour les jeunes et pour les adultes ?

J’ai consacré à ce problème quelques centaines de pages dans mon essai « Je suis un auteur jeunesse ».

Je poserais la question autrement. Ou j’y répondrais en biaisant : à mes yeux, il existe des récits tout à fait accessibles aux jeunes ; et d‘autres qui les rebutent ou dans lesquels ils sont incapables d’entrer. Eh oui : la question posée sous-entend qu’un auteur peut, à volonté, changer sa manière d’écrire. La plupart du temps, un écrivain n’est pas maître de sa façon de faire. Une façon qui peut être simple, directe, efficace – ou au contraire élaborée, savante, nécessitant d’emblée la maîtrise d’un vocabulaire étendu.

Rares sont ceux qui sont capables de toucher deux publics différents et d’avoir deux casquettes, même si ( dans le domaine qui nous intéresse ) Pierre Bordage, Fabrice Colin ou Jean-Pierre Andrevon ( j’en passe ! ) s’y sont essayés avec succès. Quand je gérais Folio-Junior SF, je puisais fréquemment chez Bradbury, Gérard Klein, Robert Silverberg ( et même Philip K. Dick ou Richard Matheson ! ), et je publiais des nouvelles ou des romans qui, au départ, n’étaient pas destinés au jeune public. Destiné à l’origine aux adultes, Niourk ( de Stefan Wul ) n’a connu un vrai et durable succès qu’en Folio-Junior SF.

Disons, pour simplifier, que le jeune public est plus sensible au suspense ; il faut ( sans généraliser, mais la place manque pour nuancer ! ) que le récit avance, qu’il y ait une dynamique, un élan. Les exigences d’un récit destiné à un lectorat exigeant ( je ne dirais pas « adulte » ! ) sont différentes.

Cependant, les meilleurs récits pour la jeunesse doivent pouvoir être lus avec intérêt et bonheur par les adultes. Michel Tournier, mais c’est peut-être une coquetterie, a longtemps affirmé que son Vendredi ou la vie sauvage était meilleur que ( il le jugeait être…  la quintessence de ) son original, Vendredi ou les limbes du Pacifique.

Autre aspect de la question : non plus « la manière d’écrire » mais le thème du récit. La plupart des « ouvrages jeunesse » parlent du monde contemporain et des passions des jeunes : le cinéma, la musique, l’informatique, les nouvelles technologies … Pour que le ( jeune ) lecteur trouve un écho, il faut qu’il puisse se reconnaître dans ( ou être attiré par ) un décor contemporain, des personnages auxquels il peut s’identifier. L’ouvrage ( dans le domaine jeunesse comme ailleurs ! ) doit souvent être conforme à ce que Jauss appelait l’horizon d’attente du lecteur.

La suite… la semaine prochaine !

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