J’ai
été invité à intervenir sur ce sujet le 27 juin dernier, lors
d’un colloque qui a eu lieu à l’E.N. de Bordeaux – et ce, à
l’initiative de l’universitaire ( et scientifique ) Estelle
Blanquet.
Etaient
également conviés de nombreux spécialistes, tant de la préhistoire
que de la SF.
Au
cours de mon intervention, j’ai tenté de
répondre à trois questions :
1/
Pourquoi la SF a-t-elle intégré le thème de la Préhistoire ?
2/
Comment la littérature de SF a-t-elle utilisé ce thème ?
3/
Quels objectifs, quelles métaphores se cachent dans ce genre de
récits ?
On
trouvera ici l’intégralité de ma réponse à
la deuxième question. La réponse à la
première question, livrée la semaine dernière, figure sur mon
site.
La
suite ( et la fin ) … la semaine prochaine !
2/
Comment la littérature de SF a-t-elle utilisé ce thème ?
S’il
fallait établir un classement, on pourrait distinguer deux modes
d’utilisation : pédagogique et ludique – avec, cela va de
soi, un grand nombre de mariages et de variations.
Le
mode pédagogique, le plus fidèle possible à la réalité, utilise
parfois certaines stratégies pour intégrer la préhistoire au
récit.
Le
mode ludique, lui, s’écarte souvent de la vraisemblance et intègre
parfois le thème du paradoxe temporel.
Le
mode pédagogique :
On
y trouvera :
A/
Le « récit préhistorique »
proprement dit.
Son
classement dans la littérature de SF est… sujet à caution.
Le
récit fondateur, La guerre du feu,
se contente d’être une « fiction aux temps préhistoriques »,
au fond sur le même mode qu’un roman historique. Avec une
différence de taille : dans le roman historique, l’auteur est
contraint de ne rien modifier à ce que les historiens connaissent de
notre passé ( même si Alexandre Dumas affirmait qu’on
pouvait parfois « violer l’Histoire à
condition de lui faire de beaux enfants »
). Mais un roman historique digne de ce nom ne se permettra pas de
faire mourir Louis XIV à une autre année que 1715. Même l’auteur
( et égyptologue ) contemporain Christian Jacq utilise les données
historiques connues.
Avec
la préhistoire, les plus grandes libertés sont permises : les
datations elles mêmes sont très approximatives. Avant l’écriture,
on ne peut que conjecturer ( à partir d’ossements, de restes
fossilisés, traces de feux, de sépultures, etc. – et de dessins
rupestres évidemment ) le mode de vie de nos lointains ancêtres
Dans
le simple « roman préhistorique » aucune machine, aucun
artifice n’est ici utilisé pour justifier une action aussitôt
située dans le lointain passé : comme le suggère Rosny Aîné,
il y a peut-être cent mille ans
: « Les Oulhamr fuyaient dans la nuit
épouvantable (…) Le
feu était mort ».
C’est
le cas de nombreux romans déjà cités : La
guerre du feu (voir l’incipit plus haut
), Le félin géant, Eyrimah, Avant Adam,
Certains
romans plus contemporains utilisent le même procédé : Dans La
vallée des mammouths ( 1970 ) Michel
Peyramaure nous plonge dans une aventure préhistorique située dans
la vallée de Roufignac, en Dordogne, avec une « tribu des
Grandes Falaises » proche des héros de La
guerre du feu. L’auteur ( l’un des
futurs fondateurs de « l’école de Brive » ) s’adresse
ici aux jeunes adultes en serrant de très près les récentes
découvertes dans le domaine préhistorique. En 2004, Michel
Peyramaure publie Les grandes Falaises,
une version pour adultes d’un récit qui se situe au même endroit,
il y a 10 ou 12 000 ans. Son autre roman préhistorique, La
Caverne magique ( sous-titré Le
roman de Lascaux, ) nous
entraîne non loin de là, dans la vallée de la Vézère ( la
« rivière Noire » ) et la vallée de la Beune,
Peut-être
l’auteur voulait-il surfer sur le succès mondial de la grande saga
de Jean Auel, Les enfants de la Terre,
inaugurée dès 1980 avec Le clan de l’ours
des Cavernes dont l’héroïne, Ayla,
était promue à un brillant avenir.
Jean
Auel, paléontologue américaine amateure, vite reconnue par les
professionnels, publiera successivement La
vallée des chevaux ( 1982 ), Les
chasseurs de mammouths ( 1985 ), Le
grand voyage ( 1990 ), Les
refuges de pierre ( 2002 ) et Le
Pays des grottes sacrées ( 2011 ).
L’action de ces récits se déroule environ 30 000 ans avant
notre ère, époque où l’on peut encore croiser les derniers
Néandertaliens.
Avec
le soutien scientifique d’Yves Coppens, Pierre Pelot, lui, nous
entraîne en Afrique 1,7 million d’années avant notre ère, avec
le premier volume ( Qui regarde la montagne
au loin ) de sa saga Sous
le vent du monde, dont les cinq titres
seront publiés entre 1997 et 2001 et couvriront plusieurs
périodes de l’histoire de l’Homme : Le
Monde perdu du soleil
(1998 – un million d’années ), Debout
dans le ventre blanc du silence
(1999 - 380 000 ans ) , Avant
la fin du ciel
( 2000 – 65 000 ans ) et Ceux
qui parlent au bord de la pierre
(2001- 32 000 ans ).
Pierre
Pelot nous entraîne du Caucase au bord de la Méditerranée, à des
époques différentes, dans une série d’aventures humaines
solidement étayées – et d’une certaine façon « pédagogiques »,
même si son propos, comme celui de Jean Auel, est destiné à un
public adulte.
Car
le domaine jeunesse se révèlera plus riche encore !
Sans
prétendre à l’exhaustivité, on peut citer les romans
préhistoriques de Claude Cénac : Les
cavernes de la rivière rouge (
1967 ), Les
sorciers de la rivière rouge
et Souviens-toi
de la rivière rouge
( 1995, où il est question de l’Homme de Cro-/Magnon ).
On
peut encore évoquer, dans le désordre :
Attaques
à Lascaux
( 2008 ) de Philippe Barbeau.
La
caverne de l’ours sacré
( 1998 ) d’Anne-Marie Desplat-Duc.
Frères
des chevaux
( 2012 ) de Michel Piquemal.
La
grotte des animaux qui dansent
( 2016 ) de Cécile Alix.
Igor
et Souky et les ombres de la caverne
( 2016 ) de Sigrid Baffert.
Les
visiteurs de Lascaux
( 2007 ) de Chantal Tanet
Le
clan de la grotte au temps de l’Homme de Tautavel
( 2014 ) d’Olivier Melano.
Chaân
( 2003 ) de Christine Ferret-Fleury.
Mémoire
de pierre
( 2011 ) d’Alain Orthlieb.
Goumbi,
un enfant au temps de la pierre polie
( 2000 ) de Severine Machu.
L’écho
des cavernes
ou Comment
l’homme de Cro-Magnon a inventé la grammairede
Pierre Davy.
Sans
doute peut-on m’objecter : mais qu’est-ce que la SF a à
voir là-dedans ? Peu de chose, en effet, même si un grand
nombre d’auteurs cités dans cette catégorie ont souvent œuvré
dans le domaine de la SF, de Claude Cénac et Philippe Barbeau ( pour
la jeunesse ) à Pierre Pelot – qui a publié de la SF aussi bien
pour le lectorat adulte que jeunesse.
La
frontière est parfois imprécise, comme on le verra plus loin. Car…
B/
Des récits préhistoriques dans
lesquels des héros contemporains sont
plongés des milliers d’années en arrière, le plus souvent à
l’aide d’une machine à explorer le temps.
Ce
sera leur seule différence avec les récits précédents… même
si parfois, la cohabitation de héros contemporains avec leurs
ancêtres peut poser problème.
Jamais,
dans ces récits, l’action des personnages ne provoquera de
paradoxe temporel. Si bien que l’utilisation de ce procédé pseudo
scientifique ( voire magique ) ne sera qu’un prétexte.
C’est
le cas, par exemple, des récits de Jean-Claude Froelich comme
Voyage au pays de la pierre ancienne (
1962 ) : grâce à la machine temporelle du professeur Liévin,
trois jeunes gens vont partager pendant plusieurs jours la vie des
hommes du Magdalénien ( 11 500 ans avant notre ère ). Afin de
s’intégrer à la vie rude de leurs ancêtres, ils effectuent un
premier voyage de reconnaissance et, revenus au XXe siècle,
subissent un entraînement intensif. Accueillis ensuite dans la
tribu de Nann, ils vont chasser le renne, le mammouth, le lion des
cavernes et glaner mille renseignements ethnographiques et
artistiques.
Le
volume suivant, Naufrage dans le temps
( 1965 ) entraîne nos héros 800 000 ans avant notre ère à la
recherche des « premiers hommes ». Le jeune Jean-Claude
est capturé par des australopithèques… Dans
La horde de Gor ( 1967 ), les personnages
vont rencontrer l’homme de Néandertal, 55 000 ans avant notre
ère. Ils sauvent l’un d’eux ( Gor ) de la noyade, et celui-ci
les entraîne chez ses frères les Harms, sur les bords de la Seine.
Jamais l’auteur ne s’interroge sur leur intrusion dans le passé,
et le sauvetage de cet homme préhistorique qui aurait dû périr.
Théoriquement, en revenant dans le présent, l’humanité aurait dû
compter sur la présence d’un grand nombre de ses descendants –
mais ce n’était pas le propos de l’auteur.
Dans
La voûte invisible
de Philippe Ebly, c’est un « glisseur
temporel » qui permet aux trois héros Serge, Xolotl et
Thibault, les « conquérants de l’impossible »,de
se transporter5000
ans en arrière.
Ils
se retrouvent au coeur d'une forêt peuplée de loups et d'hommes à
demi sauvages, « au milieu d'arbres géants que le soleil
n'éclaire jamais ».
Dans
ces récits, la machine à remonter le temps s’impose.
Dans
d’autres, le procédé scientifique est différent : la
nouvelle l’ombre du passé (
1954 ) d’Ivan Efremov ( écrivain soviétique du space
opera socialiste La
nébuleuse Andromède, 1953 ) , met en
scène une technologie inédite qui permet de faire resurgir, en
couleurs et en relief, des scènes préhistoriques miraculeusement
fixées par la nature sur des roches résineuses possèdant les
mêmes propriétés qu’une pellicule photo ! Là encore,
aucune intervention humaine ne permet de modifier le passé.
Avec
Souvenir lointain
( 1957 ) de Poul Anderson, une nouvelle traduite de l’Américain
par Francis Carsac, une autre technologie permet de transporter son
utilisateur… dans la peau d’un de ses ancêtres.
D’autres
auteurs préfèrent un procédé qui relève carrément du
fantastique, car aucune justification scientifique ne vient expliquer
que le héros se retrouve soudain plongé des milliers d’années en
arrière.
C’est
le cas d’Une fenêtre sur le passé
( ) de Francis Carsac, dont il sera forcément question au cours de
ces deux jourées. Le narrateur, Arnaud Lapeyre, géologue et
anthropologue, relate à ses amis une expérience stupéfiante :
en Dordogne, au Pech de la crabo ( la colline de la chèvre ), il a
été confronté à une tribu de Néandertalien… à la suite d’un
orage. Hallucination ? Non, puisque revenu dans le présent, il
aura la preuve ( l’étamage d’une cruche ) qu’il n’aura pas
rêvé !
Notons
que ces deux procédés, très différents ( se mettre dans la peau
de son ancêtre et être projeté en arrière à l’aide d’un
éclair ) ont été ou seront utilisés par de nombreux autres
auteurs. Le premier pourrait bien être Sprague de Camp, dans son
roman De peur que les ténèbres
( 1939 ) – où le héros, grâce à un éclair, sera transporté
non pas dans la Préhistoire mais chez les Ostrogoths, en 535 après
J.C.
L’auteur
jeunesse déjà cité, Philippe Ebly utilisera le même procédé
pour projeter ses conquérants de l’impossible
à l’époque romaine dans le troisième épisode de sa
série : L’éclair qui effaçait
tout.
Avec
sa nouvelle Le brouillard du 26 octobre
( 1913 ), Maurice Renard, qui s’est aussi bien illustré dans le
fantastique ( Les mains d’Orlac,
1920 ) que dans la SF ( Le docteur Lerne,
sous-dieu, 1908 ) plonge deux
scientifiques en pleine ère tertiaire, dans la période du miocène.
Comment ?
Tout simplement après avoir traversé un mystérieux brouillard !
Notons que ce brouillard inexplicable et bien pratique ( un procédé
qui relève plus du fantastique que de la SF ! ) est aussi celui
qui permet à un homme de rétrécir, dans le roman éponyme (
L’Homme qui rétrécit,
1956 ) de l’Américain Richard Matheson, comme dans le film ( 1957
) qu’il a lui-même tiré de son récit.
Une
parenthèse : on trouvera, sous le titre Le
brouillard du 26 octobre et
autres récits sur la préhistoire (
Folio-Junior SF N°172,
1981 Gallimard ) quatre nouvelles ( Une
fenêtre sur le passé, Souvenir lointain, l’ombre du passé
et Le brouillard…)
dont il a été question plus haut. A l’origine, aucune d’elle
n’était destinée à la jeunesse. En les sélectionnant, j’ai
jugé que leur contenu et leur ton pouvait toucher des collégiens.
En effet, on constatera la place importante du jeune public parmi les
lecteurs de ce genre d’ouvrages. À l’origine, La
guerre du feu n’était pas spécialement
destiné aux jeunes. Le texte parut pour la première fois en 1909
dans la revue Je sais tout,
« encyclopédie mondiale illustrée » qui s’adressait à
un public… familial.
Aux
tout débuts de « l'école
publique laïque,
gratuite et obligatoire » cette publication devait toucher les
jeunes comme les adultes et livrer aussi bien des documentaires que
des fictions. Mais voilà : la préhistoire fascina très vite
les enfants, et elle continue de le faire, en littérature comme au
cinéma.
Le mode ludique :
Il
offre des libertés plus grandes.
On
y trouve des récits d’aventure ou d’exploration dans lesquels
sont découverts des « environnements
fossiles » animaux ou/et humains et
l’usage ( parfois irraisonné ) d’une machine à explorer le
temps. Ludique, ce mode ?
Oui,
parce que contrairement au « mode pédagogique », ces
lieux improbables sont imaginaires ou inexistants !
*
Le plus souvent, il s’agit de la découverte, à l’époque
contemporaine, d’un monde préhistorique
préservé.
Au
début du XXe siècle, de nombreux auteurs ont utilisé un
subterfuge récurrent : au lieu d’imaginer un récit aux temps
de la préhistoire, les héros découvrent, sur notre Terre, un lieu
encore inconnu, préservé de toute civilisation, dans lequel vivent
( ou survivent ) des « fossiles vivants » : animaux
préhistoriques ou hommes des cavernes.
C’est
le cas d’Arthur Conan Doyle dans la première aventure du
professeur Challenger : Le monde perdu
( 1912 ), dans lequel les héros, parvenus en Amazonie, sont
confrontés sur un haut plateau à un environnement préhistorique
inattendu. Notons que Michael Crichton a publié un roman éponyme,
une variation du premier récit ( Jurassic
Park ) qui a donné lieu aux films
Jurassic Park (
1993 ) et… Le monde perdu
( 1997 ).
Deux
films précédents, au même titre, restaient, eux, parfaitement
fidèle au roman d’Arthur Conan Doyle : celui de Harry O.
Hoyt, en 1925 et celui d’Irvin Allen en 1960.
On
sait comment, dans les romans de Michael Crichton et les films de
Steven Spielberg, des animaux préhistoriques sont ( pour faire
court ! ) reconstitués à partir de l’ADN d’un tyrannosaure
retrouvé dans le sang d’un moustique conservé dans l’ambre !
*
Même si l’environnement du personnage de Tarzan n’est pas
préhistorique, le propos d’Edgar Rice Burroughs ( dans Tarzan
of the Apes, 1912 - souvent traduit par
Tarzan l’homme singe
ou Tarzan, seigneur de la jungle
) suggère au lecteur de réfléchir sur les comportements primitifs
à l’époque où l’on découvre encore des régions ( et des
tribus ) au centre de l’Afrique. Il est d’ailleurs frappant de
constater qu’Arthur Conan Doyle et Edgar Rice Burroughs publient
leurs deux ouvrages la même année : 1912.
*
En revanche, dans son cycle Pellucidar :
Retour à l’âge de pierre
et Terre d’épouvante
( 1914 ), l’auteur de Tarzan imagine une terre creuse et
l’existence d’un monde primitif ( euh… avec des condors
géants, des hommes-bisons
et des
hommes-mammouths ! ) à l’intérieur
de notre globe. Ici, l’imaginaire se débride, la référence à la
SF devient évidente et le « mode pédagogique » cède la
place au « mode ludique » !
Notons
encore que si ces ouvrages ne sont pas, à l’origine, destinés à
la jeunesse, ce dernier lectorat récupérera vite les personnages et
leur environnement primitif. Il sera d’ailleurs question, au cours
de ces journées, du personnage de Rahan,
fils des âges farouches (
créé en 1969 par le scénariste Roger Lécureux et le dessinateur
André Chéret, dans Pif Gadget
). Un héros qui ( contrairement à Tarzan ) vit aux temps
préhistoriques et dont le sous titre « des
âges farouches », fait explicitement
référence au roman La guerre du feu,
que Rosny Aîné avait sous-titré : roman
des âges farouches.
*
Evoquons un roman russe pour la jeunesse moins connu : La
Terre de Sannikov, de Vladimir Obroutchev
( 1863/1956), un ouvrage sorti en URSS en 1926, et en France en 1957
dans la collection Prélude
à La Farandole.
Cette
« terre de Sannikov » aurait été – dans la réalité
– une île découverte en Sibérie au début du XIXe siècle.
L’écrivain Vladimir Obroutchev a fait revivre ce fait, sans doute
légendaire, en imaginant au début du XXe siècle une expédition
qui parvient, en Sibérie, dans une vallée où règne un
environnement préhistorique : Néandertaliens, mammouths, etc.
Cette
« vallée préhistorique fossile » se révèle le cratère
d’un volcan récemment éteint, au climat préservé,
exceptionnellement doux. Comme dans de nombreux ouvrages, ce roman
est le prétexte à la description précise d’un monde
préhistorique conforme aux connaissances de l’époque. Avant
d’être écrivain, Vladimir Obroutchev était géologue, géographe…
et « héros de l’U.R.S.S.». Il passait alors pour l’Elisée
Reclus soviétique.
*
Dans Cordillère interdite
( 1970 ) de Michel Peyramaure ( auteur déjà cité ), Chico,
jeune Indien pauvre d’Amérique du sud, retrouve les descendants
d’une race de géants qui vivent sur un plateau inaccessible des
Andes. Le responsable de la même collection ( Plein
Vent, destinée aux jeunes adultes ), André
Massepain, publiera en 1975 un roman qui est la suite des aventures
de Gilles et Jérôme : L’île aux
fossiles vivants : suite à accident
d’avion dont ils sont les seuls survivants, ces jeunes gens
découvrent en plein Pacifique une île où survivent, entre autres,
des animaux préhistoriques qu’on croyait disparus.
*
Un autre ouvrage de la collection Jeunesse-Poche
Anticipation publiera en 1973 un roman de
Pierre Pelot, L’île aux enragés,
dont les habitants sont revenus à l’âge de pierre…
On
le voit : ces « environnements préhistoriques préservés »
sont situés dans des lieux encore inexplorés ; c’est la
partie géographique de mon classement Le plus
proche inconnu : le centre de la Terre, des
hauts-plateaux d’Amazonie, des vallées de Sibérie, une île…
Au XXIe siècle, ce type d’ouvrage se fait rare, et pour cause !
Mais…
pourquoi pas un monde préhistorique sur une autre planète ?
*
C’est ce qu’a imaginé Pierre Devaux ( 1897 / 1969 )
Ce
scientifique, auteur d’ouvrages de vulgarisation et de romans pour
la jeunesse fut également le créateur et le directeur de la
collection Sciences et aventures,
chez Magnard, en… 1945. Un précurseur ! Car cette collection
( une douzaine de romans publiés entre 1945 et 1965 ) ne proposait
que des romans de SF. Le premier d’entre eux, XP15
en feu ( 1945 ), fut un vrai
petit best seller, que Magnard réédita souvent. Il eut une suite :
L’exilé de l’espace
( 1947 ) dans laquelle le héros atterrissait… sur Vénus –on
y vient.
*
En 1971, pour le lancement de la première collection de poche
jeunesse, Jeunesse Poche Anticipation,
les Editions Rageot achètent les droits de cette longue suite pour
en publier une partie sous le titre inédit et alléchant de :
Cosmonautes contre diplodocus
( 1971 ). Il y est question d’une planète ( Vénus ) où
règne un climat de l’ère secondaire. On y trouve… des
diplodocus – mais aussi des tyrannosaures et des…
« hommes-crocodiles » ! Deux expéditions rivales ( une
américaine et une française ) se disputent la capture de ces
animaux pour les ramener sur Terre.
*
Au fil du temps, et puisque les territoires inexplorés de notre
planète deviennent inexistants, les auteurs rivalisent de fantaisie
et d’imagination pour proposer des aventures préhistoriques à
leurs lecteurs ; et l’usage d’une machine à explorer le
temps se révèle idéale pour suggérer qu’une intrusion dans le
passé lointain risque de modifier le présent.
Je
ne serai sans doute pas le seul à évoquer Les
déportés du cambrien ( Prix Hugo 1968
), de Robert Silverberg, dont l’action se situe… en 1984. À
cette époque « future » ( eh oui, si Philip K. Dick a
publié sa novella Do
Androids Dream of Electric Sheep ?
en 1966… l’action de Blade
Runner
se situe en… 2019 ! ), les Etats-Unis sont tombés sous le
régime de la syndicature, qui est « tout
à la fois capitaliste, centralisatrice et isolationniste – voire
xénophobe »
( tiens, Donald Trump n’est pas si loin ! ). Grâce à une
invention diabolique du physicien Hawksbill, « le marteau »,
on envoie donc les récalcitrants au régime et autres opposants dans
une prison temporelle : le passé très lointain, le précambrien
– « un milliard d’années avant notre ère ». Un
monde primitif dépourvu d’animaux et même de plantes. Difficile,
en ce cas, d’imaginer que les prisonniers, dans ce passé hors
d’âge, puissent avoir la moindre influence sur l’évolution
future des espèces ( encore que… )
*
En réalité, dans ce mode ludique où le paradoxe temporel fait
parfois merveille, le modèle du « genre préhistorique »
est sans doute la nouvelle de Ray Bradbury Un
coup de tonnerre
( in Les
pommes d’or du soleil,
recueil de nouvelles paru en 1953 )
Traduit
et publié dans la collection Présence
du Futur
dès 1956, il a été réédité de nombreuses fois par Denoël et
Gallimard, dans les collections 1000
soleil
et Folio-Junior,
notamment dans la série Folio-Junior
SF
que j’ai créée et dirigée dès 1981.
Faut-il
en rappeler le sujet ?
L’action
se situe dans le futur, le lendemain d’élections où Keith a
battu le dangereux candidat Deutcher ( dont le nom rappelle
évidemment Hitler ! ). À cette époque a été mise au point
une machine à explorer le temps, qu’une société privée utilise
pour proposer des « parties de chasse dans le passé ».
Pour
dix mille dollars, le candidat Eckels, accompagné de son guide
Travis, va pouvoir tuer un tyrannosaure 60 millions d’années avant
notre ère – un animal qui, la société l’a vérifié, serait de
toute façon mort quelques secondes plus tard, écrasé par un arbre.
Eh oui : pas question de modifier quoi que ce soit dans le
passé ! C’est pourquoi Eckels, une fois sur place, est invité
à se déplacer sur une passerelle qu’il ne doit quitter sous aucun
prétexte.
Hélas,
en voyant arriver le monstre, Eckels panique… et s’enfuit, en
posant le pied par terre.
Travis,
très contrarié, tue le tyrannosaure et va récupérer les balles
dans le cadavre… on comprend pourquoi !
Au
retour, quand les voyageurs temporels réapparaissent dans le
présent, ils constatent que leur environnement est légèrement
différent. L’orthographe de la pancarte proposant des voyages dans
le passé a une orthographe modifiée ; les élections ont bien
eu lieu la veille… mais c’est Deutcher qui a été élu !
Affolé,
Eckels examine la boue qui macule ses chaussures. Il y trouve un
papillon écrasé. Un papillon qui n’a pas pu être mangé par un
oiseau qui est mort, etc. Ce simple papillon disparu avant terme a
été la cause, pendant 60 millions d’années, d’un enchaînement
inédit de faits. Et il a entraîné un présent légèrement
différent de celui que les voyageurs ont quitté.
D’une
certaine façon, avec ce court récit d’une vingtaine de pages,
Bradbury ouvre ( après d’autres ! ) l’une des
nombreuses portes des paradoxes temporels… et de l’uchronie.
Mais
cela, c’est une autre histoire.
La
suite ( et la fin ) … la semaine prochaine !