Par Christian Grenier le Mardi 16 juin 2020, 18:44 - Divers
Non, je n’ai pas la
prétention de
faire ici la critique de mon ouvrage !
Toutefois, mon webmaster
me
suggère vivement… d’informer mes lecteurs de la sortie de mon thriller
au moyen
du blog hebdomadaire.
Le plus simple me semble d’en livrer ici quelques extraits
significatifs.
Avec le résumé du prologue
de 4
pages :
En 2009, Gérard Gémeaux, 68 ans,
chef
de l’entreprise JFT, ouvre un compte bancaire en bitcoins, une
monnaie
virtuelle qu’un ami à lui vient de créer. Ce dernier lui conseille
d’imaginer
un code secret long et complexe qu’il ne divulguera jamais, pas même
à ses
fils.
L’action commence 11 ans plus
tard.
1er
mouvement : andante
HÉRITIERS
Mon père est mort.
Depuis
une
semaine, c’était la première pensée de Rémi quand il s’éveillait. Ce
matin-là, dans le Boeing qui le ramenait à Paris s’y ajoutait l’amer
regret : et j’ai raté son
incinération.
Elle
avait
eu lieu la veille, au Père Lachaise, alors que Rémi, bloqué à La
Réunion,
attendait que s’achève la grève des contrôleurs aériens.
Il
releva
son siège et inclina sa tablette pour y poser l’un des plateaux
qu’apportait l’hôtesse. Un haut-parleur annonça :
-
Bonjour ! Nous sommes le mardi 20 octobre 2020. Nous atterrirons à
7H35
comme prévu. Il fait 14° au sol à Orly…
Sa
voisine,
déjà réveillée (elle lisait Le
Figaro
de la veille) saisit le plateau qu’elle posa devant lui. Il la
remercia même si, dès le décollage, il s’était montré réservé et
peu
disert avec cette jeune femme qui cherchait à lier connaissance.
Il
avait
d’autres soucis en tête…
Il
s’était
rendu à La Réunion pour céder devant notaire son Domaine de la rivière
bleue et ses trente bungalows à Margot, avec laquelle il avait rompu. À
peine
arrivé là-bas, il avait reçu un appel de Bohuslav : en se rendant
chez
Robert, son fils aîné, Gérard s’était crashé contre l’un des platanes
qui bordent
le canal de Girinville. Sa colonne vertébrale avait été touchée.
Défiguré, la
mâchoire en loques, il avait bredouillé le prénom de Rémi pendant son
transfert
à Bichat.
Reviens le plus vite possible,
Rémi !
l’avait supplié Bohuslav.
Margot
était
parvenue à échanger son billet avec celui d’une locataire d’un
bungalow ; mais entre-temps, Gérard Gémeaux avait succombé à ses
blessures.
Pour
couronner
le tout, une grève des contrôleurs aériens avait entraîné
l’annulation de tous les vols au départ de La Réunion, empêchant Rémi
d’organiser les obsèques. La grève se prolongeant, il avait chargé Bohu
de les
assurer. Faire appel à Robert – ou plutôt Bob, comme il exigeait
désormais
qu’on le surnomme ? C’était exclu, voilà des années que l’aîné s’était
fâché
avec son père.
Au
téléphone,
le Tchèque avait paru dévasté par le chagrin. Gérard et lui
s’étaient connus au collège, en sixième. Le jeune Slave venait d’arriver
à
Paris, en proie à du harcèlement et des quolibets. Gérard l’avait pris
sous son
aile ainsi qu’un jeune Marocain, Mohamed (dit Mo) qui, une fois JFT coté
en
bourse, deviendrait son fidèle chauffeur.
Restait
un
mystère : le SMS laconique que Gérard avait adressé à Bob la veille
de
son accident... Pourquoi voulait-il se rendre chez son fils aîné ?
Envisageait-il enfin de se réconcilier avec lui ? Interrogé, Bohu
n’avait
aucune réponse à cette question.
-
Vous êtes le fils de Gérard Gémeaux ? lui demanda sa voisine en
interrompant
ses ruminations.
Devant
sa
mine interloquée, elle lui désigna le journal.
-
Son décès a été annoncé. Et hier, j’ai entendu votre nom à l’appel des
passagers. Vous lui ressemblez, on vous l’a dit ?
Elle
pointa
de l’index la photo jointe à l’article. Il approuva en soupirant.
Encouragée, elle chuchota avec un sourire attristé :
-
Toutes mes condoléances. Dites-moi, votre père était bien la
dix-neuvième
fortune de France ?
-
Non : la trente-neuvième, mademoiselle. Vous avez mal lu.
La
sècheresse
du ton la dissuada de poursuivre. Être le fils d’un riche homme
d’affaires rendait certaines femmes très intéressées. Et Rémi n’était
pas
pressé de remplacer Margot.
Il
songeait
à la tentative d’intrusion dans l’appartement de son père qui
avait eu lieu cinq heures après son décès… alors que personne n’était au
courant - sauf le SAMU, son frère et Bohu. Quelqu’un s’était introduit
sur la
terrasse (en escaladant sans doute le balcon d’un appartement voisin) et
avait
fracturé le volet. L’alarme l’avait fait fuir et alerté les voisins.
Un
hasard ?
Il n’y croyait pas. (…)
Son
esprit
se remit à vagabonder du côté de Girinville où vivait Bob. Comment
pouvait-on perdre le contrôle de son véhicule à cet endroit où la
route,
longeant le canal, était rectiligne ?
La
dernière
fois qu’une réconciliation avait été esquissée, c’était au cours du 75ème
anniversaire de leur père, un somptueux repas aux Misters de Paris, le restaurant que Bohu avait ouvert près de la
mairie du XVIIIème – la communauté gay avait adopté le lieu, les
serveurs y
étaient des boys accortes et stylés. Gérard avait invité ses deux fils à
dîner.
Contre toute attente, Robert était venu. Mais il n’avait pas desserré
les
dents. Au dessert, leur père avait commis une erreur : leur faire
entendre
un morceau de musique étrange et solennel, un poème en allemand chanté
par une
cantatrice : O Mensch, gib
acht ! J’aimerais qu’on diffuse ça pendant mon enterrement,
leur
avait-il confié. Robert avait ricané et il était parti sans écouter la
fin. Depuis, il
n’avait plus fait signe à son père.
L’atterrissage
du
Boeing arracha Rémi à ses réflexions.
L’avion
n’était
pas encore arrêté que la plupart des passagers s’étaient levés, y
compris sa voisine qui le priait de l’aider à sortir son bagage. Elle
lui
tendit la main pour un au-revoir furtif plein d’espoir...
Il
lui
fit signe d’avancer, comme à vingt autres passagers avant de se lever
pour
s’engager dans la travée. Il grimaça en dépliant ses jambes : douze
heures de vol,
c’était beaucoup, même en classe premium, surtout quand on mesurait un
mètre
quatre-vingt-cinq. Il se sentit soudain très fatigué…
À
quarante-deux ans, après quoi courait-il ? Cherchait-il à imiter
son
père ? Le rattraper ? Le dépasser ? Que voulait-il se
prouver à
lui-même ?
Gérard
Gémeaux,
lui, avait su s’arrêter : une fois veuf, il s’était séparé de ses
propriétés pour se réfugier dans le quartier de son enfance. À deux pas
du
restaurant où le Tchèque, à quatre-vingts ans, continuait de travailler…
Dans
le
hall, Rémi fut l’un des premiers à pouvoir récupérer sa valise, ce qui
lui
permit d’échapper à sa voisine de vol.
Une
fois
le dernier portail franchi, il se dirigeait vers la file d’attente des
taxis quand il eut la surprise d’apercevoir Bohuslav.
Ils
tombèrent
dans les bras l’un de l’autre.
-
Je suis si content de te retrouver, mon petit.
L’ami
d’enfance
de son père avait le front dégarni, des poches sous les yeux et de
nouvelles rides au coin des lèvres.
Sa
longue
moustache en guidon de vélo, d’ordinaire triomphante, semblait en deuil.
Bohu avait toujours été un athlète qui savait encaisser les coups – et
Dieu
sait si, en tant que gay, il en avait subis. Rémi n’était jamais parvenu
à le
tutoyer. Il lui parut vieilli, usé, même si son costume clair (un peu
trop
clair pour la saison), restait impeccable.
-
Vous avez mauvaise mine. Vous semblez épuisé.
-
Oui. J’ai dû affronter pas mal de formalités. Et ce n’est pas ton frère
qui
aurait pu s’en charger.
-
Je sais. D’ailleurs papa ne l’aurait pas voulu.
-
Bon, je te passe le relais. Eh,
laisse-moi au moins ton bagage à main !
Refuser
l’aurait
vexé. Le Tchèque entraîna Rémi dans le parking souterrain et l’invita
à monter dans une C3 Citroën.
-
La même que celle qu’avait loué ton père, soupira-t-il.
Comme
la
plupart des Parisiens, Bohu n’avait plus de voiture. Au besoin, il en
louait
une chez Locacli, porte de
Clignancourt, à deux stations de métro de son restaurant. Il lui désigna
le
joli cahier gris ourlé d’argent posé sur le siège passager.
-
Les condoléances de ceux qui ont assisté à l’incinération hier.
-
Tout s’est bien passé ?
-
Oui. J’ai obéi aux instructions que Gérard m’avait laissées…
Ces
instructions,
c’était une feuille imprimée que Bohu avait insérée dans le
cahier. Rémi possédait la même, son père la lui avait confiée dix ans
auparavant.
Il
y
jeta un nouveau coup d’œil :
L’idéal serait une crémation au
père
Lachaise. On trouvera sur mon bureau une petite clé USB blanche dont
la
bande-son contient les musiques destinées à être diffusées pendant la
cérémonie. L’urne
contenant mes cendres sera placée près du cercueil de mon épouse
Aline.
-
Et de ton côté, à La Réunion, poursuivit Bohu. Margot ?...
-
Elle va bien. Elle s’est trouvé un nouveau compagnon.
-
Déjà ! (…) Votre liaison a bien duré trois ans ?
-
Trois ans et demi. Mais c’est ma faute, Bohu : je m’attache à des
femmes
trop jeunes.
Le
Tchèque,
lui, avait vécu en couple avec un homme décédé depuis une quinzaine
d’années. Quarante-cinq ans de fidélité. Peu d’hétéros pouvaient en
compter
autant. Depuis la disparition de son compagnon, il ne s’était plus
jamais
affiché avec un autre homme. Il restait muet sur sa vie privée.
-
Et tu lui as cédé ton terrain, et les bungalows ? Un peu maso,
non ?
Rémi
sourit.
Il avait toujours été un gentil. Une question d’éducation, il n’y
pouvait
rien. Souvent, il en était meurtri et il en voulait à ses parents -
surtout à
sa mère qui lui avait enseigné une morale catholique : tendre
l’autre
joue, présenter des excuses à ceux qui lui marchaient sur les pieds.
C’était
devenu un réflexe, il en était irrité. Il se jurait de veiller à devenir
vindicatif mais le naturel reprenait le dessus.
-
Je reste actionnaire, Bohu. Et intéressé aux bénéfices.
Son
psy
lui avait expliqué que dans un couple existaient souvent un dominant et
un
dominé. Le dominé, il le savait, ce serait toujours lui. C’était Margot
qui
avait rompu. Il avait refusé de se battre. Il savait le combat perdu. Il
s’en
remettrait, il avait l’habitude…
Tandis
que
la C3 s’engageait avec difficulté, au pas, sur un périph engorgé, il
révéla
à l’improviste :
-
J’envisage de vendre aussi mon domaine des Trois Rivières, en
Guadeloupe. Je
garderai celui des Landes, j’y suis domicilié.
Cette
décision,
il venait de la prendre. Oui, il voyageait beaucoup, beaucoup trop, lui
reprochait son père qui déplorait les tonnes de carburant produites par
les
charters de touristes : deux millions de personnes volent en
permanence
au-dessus de la Terre, lui avait-il appris un jour.
Longtemps,
Gérard
avait espéré que son fils cadet deviendrait un artiste. Un peintre ou un
écrivain. Rémi avait choisi une autre voie. D’une certaine façon, lui
aussi avait
fait fortune. Alors pourquoi, à force de vouloir bien gagner sa vie,
avait-il
peu à peu l’impression de la perdre ?
-
Jette un coup d’œil sur le cahier de condoléances, on a tout le
temps !
lui conseilla le Tchèque en désignant le panneau lumineux qui
affichait : Porte de
Clignancourt 24 minutes.
Il
parcourut
les commentaires ; élogieux et brefs, ils n’avaient rien
d’original. En marge, leurs auteurs avaient laissé leur signature
(souvent
illisible), parfois leur nom et leur prénom. Plus rarement une adresse
mail ou
un numéro de portable.
Neuf
fois
sur dix, Rémi n’aurait pas pu mettre un visage sous le nom du
signataire.
-
Beaucoup de monde, à la crémation ?
-
Une centaine de personnes. Peut-être un peu plus.
-
Robert était là ?
-
Oui. Nous nous sommes salués. Je l’ai perdu de vue pendant la cérémonie.
-
Parlez-m’en, Bohuslav. Il y a eu des discours ?
-
Quatre ou cinq, entre chaque extrait musical.
-
C’est vrai, papa avait tout prévu. Vous avez trouvé la clé USB ?
-
Sur son bureau, près du carnet d’adresses. C’est moi qui ai accueilli
les
participants. J’ai remercié nommément d’être venus ceux que je
connaissais.
J’ai lu un bref hommage à ton père et invité ceux qui le souhaitaient à
venir
me rejoindre au micro pour parler de Gérard.
-
Quels sont ceux qui l’ont fait ?
-
D’abord Cazenave. Puis Mériaux, le plus vieil actionnaire. Il
semblait
bouleversé ; il a versé des torrents de larmes. Niogret a pris
aussi la
parole, il a lu un texte en vers de mirliton. Très mauvais. Plus
personne ne
s’est manifesté et il a fallu enchaîner deux ou trois morceaux. Pendant
l’un
d’eux, une inconnue nous a fait face pour chanter sur la musique.
-
Elle a chanté ?
-
Oui, un lied en allemand. Très au point. Impressionnant. À la fin de sa
prestation, les participants ont applaudi. Moi aussi. Et ça n’a choqué
personne. J’imagine que Gérard aurait été ravi.
Rémi
soupira
; aujourd’hui, on applaudissait pendant les enterrements. Après tout,
en Guadeloupe, voilà bien longtemps qu’on accompagnait le cercueil en
fanfare.
-
Cette femme, vous la connaissez ?
-
Non. Enfin... il se peut qu’elle ait accompagné ton père une ou deux
fois, dans
mon restaurant, il y a cinq ou six ans. Mais je vois passer tant de
gens !
Un peu plus tard, entre les deux derniers morceaux, Lasoufrière a voulu
prendre
la parole. Il
a improvisé, c’était touchant mais interminable. J’ai dû l’interrompre.
Une
heure vingt s’était écoulée et la moitié des gens étaient partis. À la
fin de
la cérémonie, j’ai serré pas mal de mains... difficile de me souvenir de
tous
ceux avec qui j’ai échangé. Ça n’en finissait pas.
-
Pas grave. Et puis je dispose de ce cahier. Il me permettra de répondre
aux
condoléances.
-
L’urgence, c’est de te rendre à la gendarmerie de Boisseux.
-
Je sais. Un commandant m’a appelé plusieurs fois. Je dois y récupérer
les
affaires de papa. Sa pochette, son téléphone... (…) Et Carl, vous l’avez
vu ?
-
Oui. Je l’ai aperçu de loin, au Père Lachaise, à l’extérieur. Ton frère
s’est
éclipsé très vite avec lui. Et c’est très bien ainsi.
Carl
hébergeait
Robert dans un pavillon qu’il squattait. Voilà des années que Bob
était sous l’emprise de ce petit malfrat. Au grand désespoir de Gérard…
-
Et la tentative de cambriolage de l’appartement ?
Sans
quitter
la route des yeux, le conducteur hocha la tête.
-
Tu soupçonnes Carl et ton frère, n’est-ce pas ?
Avant
qu’il
puisse répliquer, Bohu révéla :
-
Moi aussi. Mais le mercredi 14, à 20 heures, au moment où l’on tentait
de
forcer le volet de la baie vitrée, nos deux lascars se trouvaient à la
gendarmerie de Boisseux. Ils y avaient été convoqués. Un alibi en
béton !
La
C3
était enfin parvenue porte de Clignancourt.
-
Au fait, les cendres de papa ?
-
L’urne est toujours là-bas. J’ai pensé que tu serais content de la
déposer
toi-même à côté du cercueil de ta mère. Pour l’ouverture du caveau,
il
faudra prendre rendez-vous, tu t’en chargeras ?
Bohuslav
laissa
le véhicule chez Locacli. Il
voulut entraîner Rémi vers le métro.
-
Écoutez, je préférerais marcher. La rue Ramey n’est pas si loin. Et j’ai
une
valise à roulettes.
Il
était
étonné d’être aussi satisfait de retrouver la ville. À dix ans, il
haïssait la foule. Toujours, il s’était promis de vivre au vert.
Seulement
voilà : la Guadeloupe, les Landes et La Réunion étaient de plus en
plus
fréquentées. Et se frayer un passage parmi les vacanciers sur une plage
ou sous
des pins lui semblait incongru, presque indécent. Ici, boulevard Ornano,
il
n’était pas choqué d’être cerné de passants, de voitures, de bâtiments.
Ils
contournèrent
la mairie et parvinrent au croisement des rues Ramey,
Ferdinand-Flocon, Marcadet et Eugène-Sue. Le restaurant était là, toutes
lumières allumées malgré l’heure matinale.
-
Tu entres boire un café, manger un ou deux croissants ?
-
Non, on nous a servi un petit déjeuner dans l’avion.
-
Viens donc dans l’arrière-cuisine. J’ai les vêtements de Gérard. Ils
sont dans
un état… tu veux les récupérer ?
-
Je n’y tiens pas, Bohuslav. Faites-en ce que vous voudrez.
-
Bon. J’ai sa montre, son alliance, sa carte Vitale… j’ai récupéré tout
ça à
l’hôpital.
Il
les
sortit de sa poche. La montre était très ordinaire. Un jour, son père
lui
avait déclaré : une montre est là pour donner l’heure, pas pour
montrer au
premier venu qui te la demande que tu paies l’I.S.F..
-
J’aimerais rejoindre son appartement. Vous avez les clés ?
-
Comme tu voudras. Les voilà.
Dès
qu’il
les eut en main, une peur irraisonnée le saisit. Cette passation de
pouvoir était brutale, inattendue. Un sentiment jailli de la petite
enfance,
l’impression de ne pas être prêt.
-
Ces clés, je vous en confierai un double. Je veux que vous puissiez
continuer à
entrer dans cet appartement. Bohuslav... vous voulez bien m’accompagner
jusque-là ?
Ils
n’eurent
que cent mètres à faire.
Au
bas
de l’immeuble, alors que le Tchèque tapait un chiffre sur le digicode,
une
voix familière les héla.
-
Salut ! On vous attendait.
C’était
Robert.
Il
portait
son vieux blouson d’aviateur, une horreur que son frère
affectionnait
depuis toujours. Deux pas en retrait se tenait Carl, comme en embuscade.
Bob
lança
joyeusement :
-
Vous allez bien depuis hier, mister Griocek ?
Bohuslav
ne
semblait pas ravi.
-
Vous nous guettiez depuis quand ?
Robert
avait
saisi son frère aux épaules et il le serrait contre lui, dans un geste
d’affection inhabituel. Négligeant de saluer le Tchèque, il désigna le
bistrot
qui faisait face à l’impasse.
-
Je savais que vous viendriez tous les deux ici. Rémi m’avait transmis
l’heure
de son arrivée à Orly.
-
Tu aurais pu aussi bien m’attendre à l’aéroport, Bob !
-
Je me doutais que le vieux copain de Gégé s’en chargerait.
Carl
n’avait
pas bougé. Son costume clair sans cravate ne parvenait pas à dissimuler
son allure de mauvais garçon. Peut-être à cause de sa coupe de cheveux
négligée, de son dos voûté et de ce sourire supérieur qui ne quittait
pas son
visage buriné. Si Bohuslav ne lui accorda pas un seul regard, Rémi se
força à
aller lui serrer la main.
-
Vous allez bien, Carl ?
-
Ouais, c’est cool.
Entre-temps,
la
porte de l’immeuble s’était ouverte.
Le
Tchèque
fit signe à Rémi d’entrer. Mais Robert le devança. Furieux, Bohuslav
lui barra la route de son bras. Bob n’insista pas mais il grogna
doucement :
-
Là, mec, va y avoir un problème.
Prenant
son
frère à témoin, il ajouta :
-
Tu veux monter dans l’appartement de Gégé ?
-
Bien sûr. Là-haut, il y a des choses à faire. Ne serait-ce que répondre
à ceux
qui se sont rendus à l’incinération. Au fait, Bohuslav, le carnet
d’adresses
?...
-
Je l’ai remis à sa place. Sur le bureau.
-
Papa a toujours laissé les clés de son appartement à Bohu, expliqua
Rémi.
-
Je sais. Mais ça, c’était hier. Ce matin, t’es là. Et les clés,
maintenant, tu
les as.
C’était
vrai :
il les tenait à la main.
-
Et l’appart, il est à nous. À nous deux. Moi, j’ai le droit d’y
pénétrer. Au
même titre que toi. Mais pas lui.
Pour
la
première fois, Robert et Bohuslav s’affrontèrent du regard. Ce dernier
capitula en contenant visiblement sa fureur.
-
Je te laisse, Rémi. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.
Le
Tchèque
poussa du pied le bagage dans le vestibule et recula d’un pas. Carl en
profita pour avancer jusqu’au seuil.
-
Et lui ? fit alors Bohu d’une voix égale sans esquisser un geste.
Dis-moi,
Bob, il a le droit de t’accompagner, lui ?
Pendant
une
seconde de flottement, on n’entendit plus que le ronflement des voitures
dans la rue Ramey, toute proche.
-
Carl ? jeta enfin Rémi. Tu vas nous lâcher les baskets. Et nous
laisser
gentiment entrer dans l’appartement. Seuls.
Comme
l’autre
grimaçait, Bob finit par approuver :
-
OK, on fait comme ça, les gars. Carl ? Retourne au bistrot. Et
attends-moi
là-bas.
*
Quand
la
porte du vestibule se referma sur eux, Rémi fut soulagé. Les frères
prirent
l’ascenseur ; ils n’échangèrent pas un mot jusqu’au huitième et
dernier
étage.
Le
palier,
illuminé par une verrière, était impeccable, à l’image de cet immeuble
dont Bohuslav avait présidé à l’édification. C’était l’une des rares
constructions récentes de ce quartier de Montmartre, protégé par
l’architecte
des bâtiments de France.
À
côté de l’appartement de Gérard Gémeaux se trouvait un deux pièces
occupé par
un couple de retraités. Rémi les savait absents pendant la moitié de
l’année.
-
Qu’est-ce que t’attends ? fit Bob.
Rémi
se
décida à ouvrir la porte – blindée, munie de trois serrures. Cet
appartement, il le connaissait. Il avait pourtant l’impression de violer
un
tombeau.
Robert
entra
le premier. Au même instant, une horloge toute proche sonna, égrenant
lentement neuf coups. Comme pour saluer leur arrivée,
-
Incroyable ! jeta Bob en désignant le carillon Henri II sur le mur
du
vestibule. Cette mocheté est toujours là ?
Il
n’avait
pas tort : l’objet, incongru, n’aurait pas coté vingt euros en
brocante. Mais il avait appartenu à la grand-mère de leur père et il ne
s’en
était jamais séparé.
Rémi
ouvrit
la fenêtre vitrée de la pendule et appuya sur un interrupteur.
-
C’est quoi ?
-
L’alarme. Avant de sortir de l’appartement, tu la mets en fonction. Tu
as
trente secondes pour sortir. Quand tu entres, tu as trente secondes pour
la
neutraliser. Le dispositif complet se trouve dans le placard. Le
trousseau a
aussi un biper qui permet de désarmer l’alarme. Mais je ne m’y fie pas,
la pile
peut tomber en panne.
-
OK, tout ça, c’est bon à savoir.
Bob
avisa,
entre le carillon et le fameux placard, un panneau de bois garni de
plusieurs trousseaux. Il s’empara du premier, identifiable grâce au
biper gris
identique à celui du trousseau de Rémi.
-
C’est le double des clés de l’appart, non ?
-
À première vue, oui.
-
Tu vois un inconvénient à ce que je le garde ?
Son
frère
avait raison : il disposait des mêmes droits que lui. En même
temps,
il repensa à l’effraction de l’avant-veille. Dont ni Bob ni Carl ne
pouvaient
être les auteurs. Résigné, il déposa valise et bagage à main dans le
vestibule
et maugréa :
-
Tu es vraiment pressé.
-
Ouais. Et contrarié que ce foutu pédé ait pu entrer ici avant nous.
-
En l’absence de papa, Bohuslav venait comme il le voulait. Carl t’a
confié
sûrement confié ses clés, non ? Tu vis toujours avec lui ?
-
Pas avec, mec ! On n’est pas des tantouzes. Carl m’héberge dans son
pavillon, c’est un pote, voilà tout.
Rémi
faillit
protester, ce pavillon n’est même pas le sien ! Mais il changea de
sujet. Avec Bob, la dispute n’était jamais loin.
-
Qu’est-ce que tu redoutes, Robert ?
-
Pardi, qu’il ait pu accéder au compte bitcoin ! D’ailleurs,
il a
encore des actions dans la société, non ?
-
C’est ridicule.
Pas
une
seconde il n’imaginait que Bohuslav ait eu des visées sur l’argent de
son
plus vieil ami.
-
D’après toi, qui en possède le code d’accès ?
Cette
question,
Rémi ne se l’était encore jamais posée.
-
À mon avis personne. Personne d’autre que papa.
-
On est d’accord. Et il est mort. Ce qui signifie que la voie est libre.
Il ne
t’a pas confié le code ?
-
Tu sais bien que non.
Son
frère
ne semblait pas mettre sa parole en doute.
-
Ce code, Gégé l’a forcément noté quelque part. Ici. Dans son appart. À
côté de
son ordinateur.
-
Allons, il devait le connaître par cœur !
-
Impossible.
La
certitude
de son frère l’ébranla.
-
Attends, Bob… quand tu te connectes sur un compte bancaire ou sur ta
messagerie, tu ne connais pas ton mot de passe ?
-
Non, pas toujours. Chaque mois, plein de sites me demandent de le
modifier. En
glissant ici ou là une majuscule, un chiffre, un point virgule ou des
guillemets. Alors je finis par me mélanger les pinceaux. Faut bien que
je note
quelque part à qui ou à quoi correspond mon nouveau password ! Pour le
compte
en bitcoins, la clé d’accès est longue. Compliquée. Tordue. Impossible
de s’en
souvenir. Il a fallu que Gégé la note, crois-moi.
-
Eh… comment peux-tu savoir tout ça ? Tu possèdes déjà un compte
bitcoins ?
-
Non. Mais j’aimerais bien. Et tant qu’à faire, je prendrais volontiers
le
relais de celui de pa... de Gégé. Avec toi, bien sûr.
Dans
la
pénombre, les frères s’affrontèrent en silence. Ici, dans ce vestibule
ne
filtrait que la vague clarté du séjour voisin, dont l’unique
porte-fenêtre
était fermée par un volet roulant. Celui que des intrus avaient tenté de
forcer
six jours auparavant.
-
Avant qu’on aille plus loin, reprit Bob, j’aimerais que ce soit clair
entre
nous. Jusqu’ici, j’ai eu une vie de merde.
Il
s’interrompit,
attendant une réplique du genre, mais ça tu l’as bien cherché.
Rémi ne réagit pas, il ne voulait plus tomber dans ce piège.
-
Tu vois, j’aimerais qu’on reparte à égalité. Même si le vieux m’a
défavorisé.
Il me détestait.
-
Non, Bob. Tu te trompes.
-
Maman, elle, m’aimait.
Ce
souvenir
brutal fut murmuré à mi-voix. Un silence. Puis :
-
Surtout quand j’étais petit...
Aline
avait
eu un rôle dans le méchant destin de leur fils aîné : après l’avoir
chouchouté, cajolé, elle l’avait délaissé six ans plus tard, quand son
second
fils - lui, Rémi - était né. De ce combat souterrain, il était sorti
vainqueur.
Sans effort, ignorant du conflit qui l’avait transformé malgré lui en
ennemi aux yeux de son aîné : perdant buté et dépité, ce
dernier
s’était enfoncé dans la défaite avec un plaisir masochiste. Aujourd’hui,
il
allait avoir cinquante ans et toute
une
vie bien ratée, comme l’avait titré autrefois Pierre
Autin-Grenier.
-
Bob ? Je ne crois pas que papa t’a déshérité.
-
Attends... tu ne crois pas ? Qu’est-ce que t’entends par
là ?
-
Il a laissé un testament chez son notaire.
-
Quoi ? Tu le savais et...
-
Je n’en savais rien ! C’est Trébuchet qui m’a appelé et me l’a
appris, il
y a trois jours.
-
Trébuchet ?
-
L’expert-comptable de papa – enfin, de JFT.
Bob
laissa
échapper un ricanement.
-
C’est bien ça : Gégé laisse un testament et ses enfants sont même
pas au
courant ! On parie qu’il abandonne sa fortune aux restos du
cœur ? Ou
aux apprentis d’Auteuil ?
-
Non, il n’a pas pu faire ça.
-
Rappelle-toi : quand on était ados, Gégé nous a dit qu’il nous
ferait pas
de cadeau ! Il jugeait l’héritage injuste !
Exact.
Rémi
se souvenait que leur père répétait en public : de quel droit les enfants disposent-ils des biens que leurs parents ont
si durement acquis pendant leur vie ?
Devenu
homme
d’affaires, il avait gardé des principes de gauche. Pire :
utopistes.
-
Il a dû s’arranger pour me déshériter !
-
Inutile de gamberger, Bob. On va prendre rendez-vous chez le notaire. On
sera
vite fixés.
-
Autre chose. Rassure-moi : Gégé était domicilié en France ?
-
Oui. Tu sais bien qu’il vivait ici.
-
La propriété de Neuilly ?
-
Il s’en est séparé depuis belle lurette.
-
Et sa petite maison au Maroc ?
-
Il l’a vendue à la maman de Mo, tu ne t’en souviens pas ?
-
Son fidèle chauffeur. C’est vrai : ce bougnoule a bien su
l’exploiter, lui
aussi ! Gégé lui a fait un vrai cadeau.
-
Pourquoi toutes ces questions ?
-
Parce que si t’es domicilié à l’étranger, c’est le moyen de contourner
la loi française
si tu veux déshériter tes enfants. Tu te rappelles, la succession de
Johnny ?
Excédé,
Rémi
soupira, voilà une demi-heure qu’ils débattaient dans le vestibule. Il
prit son frère par l’épaule et l’entraîna dans le grand séjour où Robert
jeta
son blouson d’aviateur sur le canapé avant de renchérir :
-
En tout cas, pour le compte bitcoin, on fera le partage cinquante
cinquante.
Quoi qu’il arrive. T’es d’accord ?
-
On n’en est pas là, Bob. Si ça se trouve...
-
Stop ! Regarde-moi dans les yeux.
C’était
un
jeu datant de leur petite enfance. Jusque là, aucun d’eux n’avait
triché. En
un éclair, dans les traits prématurément vieillis de son frère, il
entrevit le
jeune adulte qu’il avait connu, à l’expression fraîche et bienveillante.
Un
aîné prêt à guider un petit frère mal dégrossi, timide et peu sûr de
lui.
-
Répète après moi : je suis d’accord, que ce soit toi ou moi qui
déniche le
mot de passe et quel que soit le contenu de ce foutu testament, on
partage ce
que contient le compte bitcoin.
À cet
instant,
il pressentit que Bob en savait plus que lui. Et il devina qu’accéder à
ce
compte n’était pas gagné. Si leur père avait gardé le code en mémoire
sans le
noter quelque part, l’argent serait perdu. Pour eux. Mais sans doute pas
pour
la banque virtuelle.
(Pour craquer le code, Carl
propose aux deux frères de faire appel à une hackeuse surnommée
La Mouche.
Extrait du chapitre 3) :
Bob
ouvrit
le fichier, sous Word, qui contenait une seule page et sur une seule
ligne, la mention : N.I.V. Bank Ok&!w9/*jX.
-
Ça confirme, grommela-t-il. C’est bien son identifiant. Reste le mot de
passe…
où l’a-t-il fourré ? Peut-être sur l’un des fichiers des autres
comptes
bancaires.
Ouvert,
chacun
des fichiers révéla l’historique et les dernières évaluations des biens
de leur père. Sans surprise.
Le
fichier
Testament proprement dit, lui
aussi sous Word, commençait par : Voici
mes
dernières volontés. Si je me trouve, par accident ou par maladie, dans
un
état de souffrance tel que…
Bob
lut
la suite à mi-voix. Quand il arriva à : Jugeant que le décès entraîne la disparition du corps… son frère
l’interrompit.
-
C’est la copie du document que papa nous avait remis, à Bohuslav et à
moi. Le
compte bitcoin n’y est pas mentionné.
Bob
explora
rapidement le contenu des autres fichiers.
Le
plus
important, Musique comportait
des
centaines d’œuvres enregistrées, classées là aussi par ordre
alphabétique
d’auteur. Rien dans Vidéo.
Rien dans Jeux.
Bob
revint
à l’accueil, il ne cachait pas sa contrariété.
Le
deuxième
sous-dossier de Documents
avait été baptisé Journal intime.
Bob
l’ouvrit.
Vingt-cinq fichiers Word apparurent, baptisés : année
1996, 1997… jusqu’à année
2020. Bob ouvrit le fichier année
2009 et il fit une recherche
sur le mot bitcoin.
À
la date du 22 février, l’auteur avait simplement noté : j’ai
créé un compte en bitcoins.
Laconique.
Pas
question de la moindre clé.
Bob
entreprit
une nouvelle recherche sur six mots : bitcoin, clé, mot de passe, password, compte et code.
Ils trouvèrent des dizaines
d’occurrences mais l’information n’était jamais accompagnée de chiffres
ou des
signes caractéristiques d’un mot de passe. Le rédacteur se contentait de
préciser : j’ai alimenté le
compte bitcoin.
Ou : dépôt sur le compte B.
La
recherche
sur le mot Retrait ne donna
rien.
-
Il n’aurait jamais rien retiré ? demanda Rémi.
-
Faut croire.
Bob
se
remit à explorer le journal intime.
-
Si le vieux a caché son code là-dedans, faudra des semaines pour le
dénicher !
-
Rien ne prouve qu’il l’ait fait. À mon avis, papa l’a rangé dans un lieu
plus
sûr. Ou alors il le connaissait par cœur.
-
Impossible, confirma Carl qui était resté silencieux et se tenait un
mètre
derrière eux.
-
Impossible ? Et pourquoi ?
-
Ce code d’accès peut comporter jusqu’à 80 caractères. On est loin des
cinq
lettres d’Aline ! Tu as
vu
combien de temps La Mouche a mis pour craquer le code d’accès à l’ordi ?
C’est
à la portée du premier bidouilleur venu !
-
80 caractères ? Tu es sûr ?
-
Certain. T’es pas obligé d’en utiliser la totalité. Mais la
plupart des clients le font. Ils vont pas se contenter d’une clé à cinq
chiffres ou à huit lettres, trop de risques. D’ailleurs, ça serait
refusé par
les mineurs de la blockchain.
Rémi
réalisa
que Carl et Bob en savaient beaucoup plus que lui sur cette crypto
monnaie. Il joua les candides :
-
Mémoriser 80 caractères, ce n’est pas si compliqué. Ca peut être le
début d’un
poème. Une expression. Ou un dicton : on
a
souvent besoin d’un plus petit que soi… Percé jusques au fond du cœur
d’une
atteinte imprévue aussi bien que mortelle…
-
Trop facile à décoder, assura Carl. Si une phrase a un sens, ou si elle
correspond à un extrait enregistré sur le Net, le code est aussitôt
craqué. Pas
vrai, La Mouche ?
Depuis
le
canapé, l’interpellée approuva. Avant de préciser :
-
Ton pote a quand même raison : le procédé classique, c’est une
phrase de
référence. Qu’on interrompt de chiffres ou de signes particuliers :
virgule, points, majuscules... À partir de comme
le
temps passe, on peut créer le code : co7m.Me-l etEm4p&aSse. Mais le plus sûr, ça reste un
enchaînement incohérent.
-
Montre-lui, La Mouche.
Elle
gagna
l’ordinateur et inscrivit, sans doute au hasard :
1jG%oFQ3!4m$hiit&mVJ}YsxtCBH~MK4u9qghy
Avant
de
préciser :
-
Ici, on n’a que 38 caractères.
-
Tu doubles ce genre de truc, ajouta Carl. Et tu essaies de mémoriser ça…
bon
courage ! Le plus simple et le plus rapide, c’est de le noter
quelque
part sur ton ordi. Et de faire un copier-coller quand tu te connectes
sur ton
compte. Tiens, je l’imprime.
Trois
secondes
plus tard, une feuille A4 jaillissait et Rémi examinait la ligne
continue de caractères… C’était évident, mieux valait noter ce type de
clé.
L’enregistrer. Le garder à portée de main.
D’instinct,
il
saisit le plumier.
-
Il y avait deux clés USB ici, ce matin ! Où sont-elles ?
-
Ici, dit Carl en les tirant de sa poche.
-
Quoi ? Eh, mais de quel droit…
-
Je les ai prises tout à l’heure mais je te les aurais rendues,
mec !
Faudra vérifier ce qu’il y a dessus, of course !
-
Écoute, Carl…
-
On se dispute et on discute dans le vide, coupa Bob. Tu te connectes sur
la
N.I.V. bank, identifiant : Ok&!w9/*jX, La Mouche ?
-
Ok&!w9/*jX. C’est fait.
Aussitôt
s’afficha
sur l’écran :
Password ?
-
On y est. Vas-y, La Mouche. À toi de jouer.
La
hackeuse
commença par vider sa deuxième canette de bière… et à décapsuler la
dernière. Sans
doute en prévision d’un temps de travail indéterminé.
Puis
elle
relia sa boîte magique à l’ordinateur. De petites lampes témoin
clignotèrent. Elle se mit à taper sur son clavier à une telle vitesse
qu’il
était impossible de la suivre.
Une
minute
s’écoula. Puis deux.
Carl
s’impatientait.
-
Alors ?
-
Ça travaille. Mais l’attaque par force brute est inopérante, au bout de
dix
échecs, il y a une heure d’attente. On va essayer de contourner la
difficulté
mais…
-
Tu sais ce qu’on t’a promis, La Mouche ? Bob et moi, on est
d’accord : si tu débloques le compte, on double la mise.
La
hackeuse
haussa les épaules, une façon de dire que ça ne changeait rien à son
problème. Ce qu’elle traduisit par :
-
Ça risque de prendre du temps.
Elle
retira
ses lunettes et soupira. Mauvais signe.
-
Beaucoup de temps, ajouta-t-elle avant d’entamer sa canette.
-
Tu précises ?
-
À ce rythme, un siècle ou deux.
-
Tu rigoles ?
-
Ben non. Il y a des milliards de milliards de possibilités. Et mon engin
est au
max de ses performances.
Carl
serra
les dents, contenant son impatience. Ou sa fureur.
-
Y a pas un matériel plus efficace ?
-
Si. Un ordinateur quantique à 128 qubits. Ou le D-Wave. Avec ses 2000 qubits, on craque tout ce qu’on veut.
-
Et t’as pas ça chez toi ?
-
Difficile, il coûte 15 millions de dollars. Et seules les entreprises de
cybersécurité ont le droit de se le procurer.
Bob
désigna
l’écran.
-
Tu peux déterminer la date de la dernière connexion ?
La
recherche
prit quelques secondes.
-
Voilà. Le 30 septembre. Il y a trois semaines.
-
Ça correspond, murmura Carl avant que Bob ne suggère :
-
Et si Gégé s’était connecté hors de chez lui ?
-
Pareil, assura La Mouche. La dernière fois qu’on a ouvert le compte
Ok&!w9/*jX,
c’était le 30 septembre, à 11H14. Garanti.
-
Je vais vérifier sur son journal intime.
Carl
fit
signe à la hackeuse de se lever. Il examina le texte rédigé fin
septembre
où avait été sommairement noté : Dépôt
sur
le C.B.. Puis la mention laconique : Déjeuner MdP.
-
Personne n’a touché au compte depuis cette date, en conclut-il. Pas de
lézard,
le compte est bon !
Il
rit
de son propre trait d’humour et se déconnecta.
Le
portable
de Rémi bourdonna. Il s’écarta du groupe pour répondre.
-
Monsieur Rémi Gémeaux ? C’est la gendarmerie de Boisseux. Vous êtes
à
Paris ? Vous pourriez passer dans nos locaux ?
-
Aucun problème. Demain ?
-
Ecoutez, nous avons là une personne qui veut s’entretenir avec vous.
Vous
auriez une heure à lui consacrer, en fin d’après-midi ?
-
Je vais essayer. De qui s’agit-il ?
Il
y
eut un bref silence - ou plutôt, au loin, une conversation à mi-voix.
-
Quelqu’un de la Brigade Criminelle.
Ce
fut
à son tour d’accuser le coup.
-
C’est bon. J’essaierai d’être là avant 18 heures.
-
Du nouveau ? demanda son frère dès qu’il eut raccroché.
-
Eh, les mecs, je peux avoir de la bière ?
La
hackeuse
tendait à bout de bras sa canette vide, la troisième et dernière.
-
J’y vais, dit Bob. Je descends.
-
Je te suis, ajouta Carl en sortant son paquet de cigarettes.
Rémi
faillit
partir lui aussi. Mais il ne voulait pas laisser la hackeuse seule dans
l’appartement.
Dès
que
les deux hommes eurent claqué la porte, il demanda :
-
La Mouche ? Comment Carl a-t-il pu découvrir que la clé du compte
comporte 80
caractères ?
Elle
haussa
les épaules.
-
Pas compliqué. Suffit de créer un compte. D’y verser des bitcoins. Puis
essayer
d’en retirer. On te demande alors de taper ton code perso. Avec 80
caractères
maximum.
-
Tu peux connaître la somme qui figure sur le compte ? demanda-t-il
en
désignant l’écran.
-
Négatif. Pour le savoir, il faut entrer dedans.
Il
décida
de jouer franc-jeu :
-
Mon frère prétend connaître le total. À un poil près. D’après toi,
comment
a-t-il fait ?
La
hackeuse
fronça les sourcils, ce qui fit cliquer les épingles en argent qu’ils
supportaient.
-
Je sais pas. Mais si tu crèches à deux pas, c’est pas très compliqué
d’installer un mouchard sur l’ordi de ton voisin en utilisant le même
réseau
wifi. Ici, il y en a six ou sept, ajouta-t-elle en désignant à la fois
l’écran
et les immeubles d’en face. Faut aussi disposer du matériel. Et d’un
certain
savoir-faire.
-
Attends, tu as parlé d’un mouchard ?
-
Ouais. Un logiciel espion qui te permettra de récupérer certaines
données.
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