17. Les gangsters de l’édition existent, j’en ai rencontré, quels sont vos conseils à l’auteur naïf pour les éviter et se protéger des dommages considérables que ceux-ci peuvent lui causer ?
Premier conseil : proposer son manuscrit à un véritable éditeur, qui vous proposera alors un contrat avec un à-valoir ( une avance, qui tourne autour de 2 000 euros dans le secteur jeunesse ) et des droits d’auteur, c'est-à-dire un pourcentage : 5, 6, 8 ou 10% du prix de vente hors taxe de chaque volume vendu, rarement plus hélas dans le secteur jeunesse. Autrement dit : faites-vous publier par un éditeur qui, chaque année, vous versera des droits en fonction des ventes et non par un organisme qui se prétend éditeur mais vous demandera... de l’argent pour éditer votre ouvrage !
Lassés par les refus répétés de leur manuscrit, l’auteur débutant peut se laisser séduire par cette formule. Ils auront le plaisir de se voir à la tête de 500 ou 1 000 exemplaires de leur ouvrage. Et après en avoir fait cadeau à leurs parents et amis, ils auront bien du mal à é couler ce qui reste, faute d’un réseau de diffusion et de distribution. De tels organismes vous publieront, sans aucun doute – parfois sans même relire votre texte. Un éditeur authentique, lui, aura peut-être des exigences, vous demandera de modifier ou d’améliorer tel passage. C’est le rôle d’un directeur littéraire. Mais il vous paiera !
Deuxième conseil : une fois le contrat en main, ne pas le signer avant de l’avoir lu en détail et prendre contact avec un organisme ( La Charte, la S.G.D.L. ) qui lui fournira un « contrat-type ». Ou encore confier le contrat à un ami écrivain qui le lira et pointera d’éventuelles anomalies.
Troisième conseil : ne pas hésiter à modifier le contrat en barrant certaines clauses et en changeant les chiffres. Ne pas redouter que l’éditeur se fâche et refuse de vous publier – s’il a accepté votre récit, c’est qu’il y tient. En revanche, il se peut qu’il soit inflexible sur certains points, surtout si l’auteur débute. Mais ça ne coûte rien à l’éditeur de prévoir un pourcentage progressif : passer de 7 à 8% de droits au-delà de 15 000 exemplaires, c’est légitime. Quand un ouvrage se vend bien, la réédition coûte moins cher qu’un premier tirage.
Enfin, ne pas hésiter à dialoguer avec le directeur littéraire ( ou le comptable ), notamment s’il demande des modifications, ce qui est fréquent dans le domaine jeunesse. Le responsable de la collection connaît son public, ses lecteurs et les prescripteurs. Il est souvent de bon conseil. Mais vous avez aussi le droit d’être têtu, quitte à ce que la sortie de l’ouvrage soit remise en cause – ça m’est arrivé !
À propos de Philippe Ebly
18. Dans votre interview par Francis Valery dans Bifrost 7 en 1998, vous citez Philippe Ebly comme étant avec vous l’un des rares auteurs jeunesse spécialisé en Science-fiction jusqu’aux années 1990. Vous vous êtes notamment croisé dans les salons littéraires, mais avez-vous animé ensemble un atelier d’écriture, ou débattu d’un thème de Science-fiction ou encore a-t-il adhéré à la Charte des auteurs jeunesse ?
Non, Philippe Ebly et moi n’avons jamais assuré ensemble d’atelier d’écriture, ni même vraiment débattu de la science-fiction. Sauf, peut-être, au cours d’un symposium sur la SF à Bruxelles au début des années 90.
Philippe Ebly était d’une discrétion et d’une modestie étonnantes. Il prenait peu la parole et ne se mettait jamais en avant. Aussi, je n’ai jamais osé l’interroger sur sa vie personnelle – il avait vingt-cinq ans de plus que moi et je m’en aurais voulu d’être indiscret. Sa conception de l’écriture était simple et à l’entendre, dépourvue de toute ambition : plaire à ses jeunes lecteurs, les distraire, ce qui n’excluait pas de les faire réfléchir sur les situations dans lesquelles il plaçait ses héros. J’ai toujours ignoré ses rapports avec Hachette mais je crains qu’il n’ait pas été très exigeant. Non, Philippe Ebly n’a pas adhéré à La Charte. Sans doute pour de multiples raisons, la première étant qu’il était belge. Je ne me souviens pas lui avoir parlé de La Charte qui, dans les années 90, avait d’ailleurs une antenne en Belgique ( et une autre à Québec, animée par Cécile Gagnon )
Aussi, bien que fondateur de notre association, je n’ai jamais été prosélyte, même quand l’adhésion à La Charte était gratuite ! L’un des articles précise, en effet, que l’auteur s’engage à confier un double de ses contrats au secrétariat. La Charte tente en effet d’obtenir des éditeurs non seulement les meilleures conditions possibles, mais aussi à ce que tous les auteurs soient traités de la même façon. Ce qui, en théorie, contraint un nouvel auteur à modifier les ( et à augmenter les chiffres des ) conditions de son contrat, ce qu’un début hésite souvent à faire. Cette clause a peut-être rebuté Philippe Ebly, pour des raisons que j’ignore. Parfois, un auteur se juge si bien traité par son éditeur qu’il préfère que ses camarades l’ignorent. D’autres fois ( et c’est plus fréquent, je le crains ), ses conditions sont misérables, il en a un peu honte et refuse d’en faire part.
Plus vraisemblablement, la modestie de Philippe Ebly est peut-être la cause de son silence et de sa discrétion. Je précise, pour nuancer mes propos dans ce numéro de Bifrost ( dont je n’ai même pas le souvenir ! ) que d’autres auteurs jeunesse - peu, c’est vrai - s’étaient spécialisés dans la SF, ne serait-ce que Christian Léourier. Mais le plus productif ( et le plus populaire, sans doute, quand on connaît les tirages de la Verte à l’époque ! ) était Philippe Ebly.
19. Lorsque le déclin de la Bibliothèque Verte s’est accéléré à la fin des années 1980, Philippe Ebly a été « remercié » et ses romans n’ont plus été réédités chez cet éditeur ; est-ce que, si vous aviez été directeur de collection jeunesse alors, vous auriez lu et réédité ses premiers romans, ou bien auriez-vous souhaité publier de nouveaux romans, de nouveaux héros ?
Répondre à cette question est bien difficile aujourd’hui. Si Folio-Junior SF avait perduré, je ne pense pas que j’aurais tenté de rééditer les séries de Philippe Ebly - je crois que Pierre Marchand s’y serait d’ailleurs opposé. Pourquoi ? Déjà parce que la tranche d’âge n’était pas la même : les lecteurs des Conquérants de l’Impossible, des Evadés du Temps et des Patrouilleurs de l’an 4003 avaient dix ans – au mieux, ils étaient en Sixième. Et quand on lit Niourk ou Journal d’un monstre, on comprend que les jeunes héros d’Ebly étaient loin de ceux de Stefan Wul ou de Richard Matheson. Les textes de Folio-Junior SF touchaient des ados, pas vraiment des enfants. Ensuite, ces ouvrages faisaient partie d’une série, et ce n’était pas le genre de Folio-Junior. Enfin ( et surtout ? ), il aurait fallu racheter les droits de ces ouvrages à un groupe concurrent. Bref, cela aurait représenté trop d’obstacles.
Mais le problème se serait passé différemment si j’avais été responsable d’une autre collection, chez un autre éditeur. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit – non pas pour moi, mais pour Laurent Genefort : chez Degliame, dans la collection Le Cadran Beu, il a republié certains titres des séries de Philippe Ebly. Une belle initiative ( même si les ventes n’ont pas été au rendez-vous… mais Degliame, ce n’est pas Hachette ! ) qui rappelle d’ailleurs son rôle, chez Bragelonne, quand Laurent a eu l’heureuse ambition de créer la collection Les trésors de la SF. Les séries de Philippe Ebly figurent désormais en bonne place dans l’histoire de la SF jeunesse. Nul doute que leur auteur a suscité de nombreuses vocations, et que , faute de rééditions, un hommage à Philippe Ebly s’impose.