Pressentie par la NRP ( Nouvelle revue Pédagogique ) pour présenter la « littérature de SF pour la jeunesse », l’universitaire Natacha Vas-Dereys a fait appel à quatre auteurs ( Joëlle Wintrebert, Pierre Bordage, Danielle Martinigol et moi ) pour leur poser cinq questions. Voici mes réponses aux trois dernières…
Ce choix ( cf « écrire de la SF pour la jeunesse » ) vous a -t-il apporté des satisfactions spécifiques ? Quels sont vos rapports avec ce type de lecteurs ?
Oui ! Les contacts ( salons, courrier, mails, rencontres en milieu scolaire ) sont fréquents et le plus souvent cordiaux, sincères, gratifiants.
Le dialogue avec les jeunes lecteurs offre sans aucun doute des satisfactions que ne procure pas un contact ( plus rare et plus formel ) a vec le public adulte. Certes, les échanges sont souvent éphémères, mais ils se multiplient.
Dommage, toutefois, que la question ne porte pas sur les difficultés qu’on les auteurs… avec les éditeurs jeunesse. Leurs exigences, les ajustements que certains demandent pour que le récit soit conforme à l’attente supposée des lecteurs… tout cela mériterait un long développement !
Pourquoi, d’après-vous, la SF se prête-t-elle bien au format de la littérature jeunesse ? Peut-on d’ailleurs évoquer un « format » littéraire à son propos ?
Oui, le « genre SF » touche le jeune public – cette conviction, j’essayais déjà de la faire partager dans mon premier essai, Jeunesse et science-fiction, en 1971 ! Le jeu avec le « Si majuscule » de la SF est ludique, intrigant, c’est un vrai tremplin pour l’imaginaire et un défi pour l’esprit de déduction.
Car une fois l’hypothèse de départ posée, la SF propose « logique et rigueur dans l’enchaînement des faits ».
Ses univers doivent être sinon vraisemblables, du moins cohérents - ce qui n’est pas le cas des deux autres genres de la littérature de l’imaginaire : le merveilleux et le fantastique.
La SF se projette souvent dans l’avenir ; et les jeunes, de gré ou de force, sont concernés !; elle propose aussi :
une réflexion sur la science, les nouvelles technologies et
une interrogation permanente sur le rôle ( et les responsabilités ) de l’homme face aux machines qu’il crée, aux lois qu’il change, aux êtres qu’il rencontre, aux univers qu’il visite.
L’exploration des autres lieux, des autres temps, des autres êtres, des autres sociétés est l’un des nouveaux ( et fascinants ) terrains d’aventure pour les jeunes lecteurs.
Même si le principe de la SF ( hypothèse en décalage avec la réalité… mais récit réaliste ! ) est séduisant, cela ne fait pas d’elle un genre littéraire privilégié. Aucun genre n’est meilleur qu’un autre : le conte, la poésie, le théâtre… ces genres semblent nobles, ils ont la cote. Mais il y a des contes médiocres, de la mauvaise poésie et du théâtre bas de gamme...
La SF n’y échappe pas : on y trouve des récits banals, peu originaux – mais aussi des perles, des textes magnifiques, des modèles du genre. L’écarter a priori est une erreur commune à beaucoup de lecteurs – souvent adultes et lettrés !
Qu’apporte la singularité de la SF aux jeunes lecteurs ? Une dimension morale ? Philosophique ? Une manière de réfléchir aux choix que les plus jeunes devront faire pour le futur en termes d’écologie par exemple ?
Mais oui ! La réponse est dans la question.
Encore faut-il que l’ouvrage traite ces sujets de façon honnête, précise… et passionnante. Gérard Klein affirme que l’important, dans un roman de SF, c’est son hypothèse philosophique.
Hélas ! Davantage que les pistes offertes par les utopies, la SF privilégie presque toujours les impasses : les dystopies évoquent les voies qu’il faut éviter, les catastrophes qui attendent l’humanité si elle persiste dans des choix désastreux...
Mais l’important, ce ne sont pas les réponses que la SF pourrait apporter mais les questions qu’elle livre en pâture aux lecteurs.
Souvent, je conclus mes conférences sur la SF par le poème de Peter Handke qui sert de leit motiv au film de Wim Wenders Les ailes du désir :
Als das Kind Kind war, war es die Zeit der folgenden Fragen :
Warum bin ich ich, und warum nicht Du ?
Warum bin ich hier und warum nicht dort ?
Quand l’enfant était un enfant, c’est l’époque où il se posait les questions suivantes :
Pourquoi suis-je moi ; et pourquoi pas toi ?
Pourquoi suis-je ici, et pourquoi pas là-bas ?
Wann begann die Zeit und wo endet der Raum ?
Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum?
Quand le Temps a-t-il commence et où finit l’Espace ?
Et si la vie ici sous le soleil n’était qu’un rêve ?
Ist was ich sehe und höre und rieche
nicht bloß der Schein einer Welt vor der Welt ?
Et si tout ce que je vois, j’entends, tout ce que je respire
N’était que le reflet d’un monde me cachant le monde réel ?
Ces grandes questions, l’humanité se les pose depuis la nuit des temps ; la dernière n’est rien d’autre que le fameux mythe de la caverne…
Ces questions concernent notre identité, notre destin, le Temps, l’Espace – et la perception de la réalité. Autant de thèmes qui obsèdent les scientifiques, les philosophes… et les enfants.
Des questions fondamentales que les adultes, souvent, ne se posent plus.
On trouvera les réponses de mes trois autres camarades dans le N° de mars de la NRP !