Par Christian Grenier le Lundi 13 avril 2020, 18:29 - Notes de Lecture
Quand j’interviens en collège, les
élèves me posent souvent la question : Quels
sont vos écrivains préférés ? Préférant livrer la vérité, je réponds
le plus souvent : Flaubert, Proust, Virginia Woolf… en sachant que les
élèves ignorent sans doute ce dernier nom.
L’auteure de la biographie de l’écrivaine
anglaise nous conseille, en préambule, de lire ses œuvres avant de nous pencher
sur sa vie. Je ne le juge pas nécessaire.
En effet, la bio d’Alexandra
Lemasson est d’une lecture rapide et aisée… ce qui (elle en convient elle-même)
n’est pas forcément le cas des ouvrages de Virginia Woolf, réputée un auteur difficile.
Née le 25 janvier 1882 dans la
grande maison familiale et bourgeoise du 22 Hyde Park Gate de Londres, Virginia
est le troisième enfant (il en aura quatre) du couple recomposé de Julia
Princep Jackson (qui a déjà trois enfants et est veuve !) et de Leslie
Stephen, père d’une fille et veuf lui aussi.
Malgré un père sombre et austère,
un patriarche despotique, un
« écrivain rat » » qui consacrera sa vie à la biographie
d’hommes illustres, l’enfance de Virginia est heureuse.
Trois raisons à cela : Thoby,
son frère aîné adoré, sa sœur aînée chérie Vanessa dont elle sera toujours la
complice… et d’inoubliables étés dans la demeure estivale, au bord de la mer,
de St Ives, en Cornouailles, le terreau
de son œuvre future.
Si Virginia (dite Ginia) tiendra
son journal intime pendant trente ans (26 volumes !) jusqu’à sa mort,
c’est surtout dans ses romans et nouvelles qu’on devinera sans cesse l’écho de
sa propre vie, à travers des personnages proches d’elle : sa mère (aimante
et dévouée - qu’elle perdra à 13 ans), son père (dont elle ne cessera de
critiquer l’attitude « victorienne », l’homme juge en effet qu’une
jeune fille doit d’abord se marier, rendre son époux heureux, lui donner des
enfants et briller modestement en société en se gardant bien de travailler !),
Vanessa, Thoby ainsi que plusieurs futur(e) ami(s) chers dont elle dressera le
portrait déguisé au fil de ses romans.
Très tôt, Virginia sait qu’elle
consacrera sa vie à écrire ; sa sœur Vanessa, complice éternelle et
parfois rivale sur le plan sentimental et professionnel, sait qu’elle deviendra
un peintre célèbre. Mariée, Vanessa
sera d’ailleurs longtemps la maîtresse du peintre Roger Fry.
Hélas, la mort devient la
compagne obstinée de la famille : la mère de Virginia Woolf meurt en
1895 ; sa demi-sœur Stella se marie et meurt, trois mois plus tard, en
1897 ; son père disparaît en 1904 et son frère Thoby en 1906 (Virginia fera
l’éloge indirect de Thoby dans trois chefs d’œuvre : La chambre de Jacob, La Promenade
au phare et Les Vagues).
Séduisante mais timide et gauche,
Virginia a sans doute été tourmentée sexuellement par ses demi-frères George et
Gerald.
En 1904, elle se voit conseiller
sur le plan littéraire par Violet Dickinson, une amie de la famille qui lui
déniche une place de critique littéraire au Guardian.
Car Virginia avoue un vice impuni, la
lecture – et elle a un goût sûr ! Elle est fascinée par Henry James
(qu’elle côtoiera) et découragée par la lecture de Proust. Elle confie en effet
à son journal qu’après avoir lu Proust,
il semble qu’il n’y ait plus rien à
entreprendre.
Virginia Woolf, on le sait, passe
pour être « la Proust anglaise ». Il existe entre eux de nombreux
points communs, et pas seulement littéraires : solitaire (et pourtant attirée
par les mondanités), consciente de son génie, homosexuelle longtemps refoulée,
de santé fragile, elle écrit souvent couchée et juge que tous les écrivains sont malheureux et qu’écrire est une torture.
En août 1912, elle se décide (ou
se résigne ?) à se marier avec l’écrivain (juif, une provocation à
l’époque !) Léonard Woolf, un homme
pessimiste, anxieux et dépressif qui, conscient du génie de son épouse,
restera son fidèle adjoint, son conseiller, son éditeur, son infirmier…
En réalité, elle signe avec lui
un contrat moral contraignant, lui révélant entre autres qu’elle n’a pour lui
aucune attirance physique et que sa préférence va aux femmes !
Elle aurait cependant aimé avoir
un enfant – n’en aura pas et le regrettera.
Las ! Dès 1913, Virginia va
souffrir de vertiges, d’hallucinations – des crises de folie précoces qui perturberont
sa vie au point de provoquer son suicide en 1941, alors quelle se sent une fois
de plus au bord du gouffre. Ses
premières tentatives datent de l’adolescence…
C’est après huit ans d’efforts
acharnés – elle est très exigeante, ne cesse de remanier ses textes - qu’elle
publie son premier roman, La traversée des apparences, en 1915
– à l’âge de 33 ans. Suivront Nuit et jour (1919), la
révolutionnaire Chambre de Jacob (1922), Mrs Dalloway (1925), La Promenade
au phare (1927), Orlando (1928) …
En 1929 sort Une chambre à soi, un
« essai féministe » qui plaide la cause et la nécessaire indépendance
des femmes : déplorant la société patriarcale de son époque, elle juge que
l’accès à l’indépendance financière sera
toujours une condition sine qua non à l’accomplissement personnel. Tant que les
femmes seront économiquement dépendantes des hommes, elles le seront aussi
spirituellement.
En 1931, elle publie ce véritable
poème mystique qu’est Les Vagues – le meilleur ouvrage de
son épouse, jugera son mari Léonard. Elle travaillera cinq ans à sa dernière
grande œuvre (très différente des Vagues) : Les
années, publiée en 1937.
Devenue célèbre, Virginia Woolf fréquente
sa rivale et amie (sa meilleure ennemie)
Katherine Mansfield, mais aussi Maxime Gorki, T.S. Eliot, Sigmund Freud, Rainer
Maria Rilke et James Joyce dont elle apprécie peu l’Ulysse, un roman que
Léonard refusera de publier, mais qui influencera pourtant Virginia quand elle
écrira Mrs Dalloway !
Alexandra Lemasson évoque
longuement les amitiés et liaisons féminines de Virginia Woolf, son activité au
sein du fameux Bloomsbury Group ;
elle déplore que son mari Léonard ait publié le journal de son épouse en le
censurant – mort en 1969, il lui survivra 28 ans.
Car Virginia, comme Julien Green,
notait tout sur son journal intime.
Toujours, Virginia Woolf a refusé
de se faire analyser, de crainte que cette plongée dans l’inconscient ne
perturbe son œuvre. A l’aube de la seconde guerre mondiale, elle s’engage au
sein de Vigilance, un comité
antifasciste. Elle pressent la menace qui pèse sur son mari et elle. La mort,
d’autre part, ne cesse de l’entourer, notamment celle de James Joyce, deux mois
et demi avant qu’elle ne se décide, très lucidement (plusieurs lettres d’adieu
en témoignent, la première le 18 mars), à se noyer dans l’Ouse, une rivière
proche de son domicile, le matin du 28 mars 1941.
Elle avait 59 ans.
Forcément partiale, très
documentée, la biographie d’Alexandra Lemasson n’a qu’un (petit) défaut :
elle n’est pas, mais pas du tout chronologique et peut sembler parfois un peu
confuse. L’auteure s’attache ici ou là à tel point particulier, se laisse
entraîner à des digressions, revient en arrière, livre une impression, un jugement…
Qu’importe : la biographie
qu’elle livre ici est d’une lecture aisée et passionnante.
C’est sans doute une très belle
approche de la vie et de l’œuvre d’une écrivaine majeure.
Un ouvrage qui donne furieusement
l’envie de se (re)plonger dans les romans d’une auteure troublante et
incontournable !
Lu dans sa version poche, bon marché et facile à transporter.
On apprécie les appendices qui livrent l’essentiel de la vie de
Virginia Woolf, année après année, ainsi que sa bibliographie complète.
Pour
aborder l’œuvre de Virginia Woolf, je recommande deux livres qui hélas ne se
complètent pas : celui de La Pochothèque
et celui de Quarto chez Gallimard,
qui livrent en un millier de pages quelques uns de ses romans et plusieurs
nouvelles.