Sapiens, une brève histoire de l’humanité, Yuval Noah Harari, Albin Michel

Comment ? Tu n’as pas lu Sapiens ?

Face à ce reproche répété, j’ai obtempéré aussitôt… avec un bref sentiment d’irritation, celui qui me saisit quand je me crois obligé de lire un ouvrage qui n’aurait jamais dû m’échapper. Faut-il vraiment lire tout ce que le monde lit ou a lu ?

Euh… pour une fois, je n’ai pas regretté d’avoir obéi à l’injonction !.

Cet essai de vulgarisation déjà ancien (2015) se propose d’embrasser toute l’histoire d’Homo Sapiens – en commençant… par rappeler que l’univers existe depuis 13,5 milliards d’années, que la vie sur Terre n’est apparue que depuis 3,8 milliards d’années et que le genre Sapiens est l’un des nombreux hominiens qui peuplaient notre planète. Eh oui : il y a 50 000 ans, Sapiens, Néandertaliens et Denisoviens cohabitaient encore. L’Homo floresiensis et l’Homo denisova ont eux aussi disparu.

Jusque là, la planète semblait dans un relatif état d’équilibre.

Les problèmes ont commencé avec la Révolution cognitive et ce qu’Harari appelle la Révolution agricole, il y a 10 ou 12 000 ans, quand les « fourrageurs » nomades ont commencé à se sédentariser en maîtrisant l’agriculture et l’élevage.

La thèse (séduisante, convaincante) d’Harari, c’est que « l’apparition de la fiction » a bouleversé toute la donne : Sapiens, en effet, est l’inventeur des « mythes communs », avec lesquels les humains, contrairement aux autres espèces, croient en des choses qui n’existent pas : les dieux, l’argent et… les sociétés par action – pour faire court !

Du coup, les petits groupes (familles, clans) ont pu s’élargir à des communautés plus larges : celles des nations. La réalité imaginaire est devenue toujours plus puissante, affirme l’auteur (p. 45)

En outre, manipuler la vie d’un petit nombre d’espèces végétales et animales (p. 101) a vite modifié (pas toujours en bien !) la morphologie et l’esprit de Sapiens, et provoqué sa rapide extension démographique. Une nouvelle et plus récente (il y a 500 ans) révolution scientifique a entraîné un processus d’évolution aveugle qui nous a conduits à la fameuse croissance et au consumérisme débridé.

 

Difficile de résumer la structure et le mode de réflexion de l’auteur d’un solide ouvrage de 500 pages. Mais affirmons que l’analyse pertinente d’Harari fait mouche : elle éclaire à la fois le processus de l’évolution rapide de Sapiens et l’aliénation des sociétés qu’il a ainsi créées. Son essai aborde de nombreux problèmes : la naissance de l’argent, la formation des empires, les religions, les pièges (fort anciens !) du crédit, l’esclavage, le racisme, le capitalisme dont le mode de fonctionnement aboutit à une impasse en ce siècle où la planète semble exsangue et où les matières premières s’épuisent.

Harari s’attarde (fort pertinemment) sur le XVIe siècle, les nouvelles découvertes, les génocides humains… et animaux, dont nous commençons à peine à prendre conscience.

A contrario, il remet les pendules à l’heure en montrant, chiffres à l’appui, le recul de la violence et des meurtres, malgré les terrifiants holocaustes du XXe siècle : en l’an 2 000, la guerre causa la mort de 310 000 personnes et les crimes violents (celle) de 520 000. Or, ces 830 000 victimes ne représentent que 1,5 % des 56 millions de personnes mortes cette année-là, dont 1 260 000 victimes d’accidents de la route et 815 000 qui se sont suicidées (P. 430) !

Il achève enfin  sa démonstration sur une série de questions, notamment celles :

  • du bonheur : le citoyen consommateur du XXIe siècle est-il plus heureux que le fourrageur d’il y a 15 000 ans ?
  • de la fin d’Homo Sapiens : jonglant désormais avec la génétique et l’informatique, il semble en mesure de se modifier lui-même, d’accroître les facultés humaines (p. 484)… Nos héritiers seront-ils pareils à des dieux ?

 

D’une lecture aisée, cet essai magistral et édifiant se dévore d’une traite, sans effort.

Son succès a poussé l’auteur à écrire une suite, qui répond (?) à la question posée en guise de conclusion : Homo Deus (sorti en 2017), dont je vous proposerai la critique… quand je l’aurai lu !

 

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