NÈGRE… VOUS AVEZ DIT : NÈGRE ?

Candide - Voltaire

Oui, vous l’avez appris : il n’y a plus une seule fois le mot nègre dans Les dix petits nègres dont le titre français a changé. Le terme de nègre est devenu… malvenu.

On est prié de lui trouver un ou des substituts !

 

Aimé Césaire, au secours ! Il faudra modifier ta glorieuse et assumée négritude.

Dans les manuels scolaires, on va la transformer en quoi, en africanitude ? En noiritude ?

Certains mots deviennent interdits, soit.

On a commencé par le terme « aveugle », qui semblait (est toujours ?) discriminatoire. Si, si, renseignez-vous ! Il y a désormais des malvoyants – mot d’autant plus étrange qu’un aveugle est un pasvoyantdutout. Vous le savez bien : il n’y a plus de handicapés mais de personnes à mobilité réduite.

Si le mot nègre est une insulte, c’est parce qu’il a une histoire, un usage – et que l’employer aujourd’hui dans un certain contexte l’apparente à une insulte, OK.

Mais s’il faut le bannir, c’est très mal parti. J’imagine qu’un jour, le mot juif pourrait subir le même sort. Arabe aussi, ainsi qu’intellectuel (il est vrai qu’intello, pour l’instant, reste une insulte encore couramment admise).

 

L’usage, j’en ai déjà parlé, est de modifier la langue pour… transformer la pensée !

George Orwell l’avait déjà prédit avec la novlangue de son roman 1984.

Mieux vaut dire fermier que paysan, technicien de surface que balayeur, issu de l’immigration plutôt qu’étranger,  demandeur d’emploi plutôt que chômeur, flexibilité plutôt que réduction de salaire ou d’emploi – la liste pourrait être longue !

 

Autrefois, il était courant, en URSS, qu’on efface des photos officielles certains membres du PC devenus des opposants ou des traîtres.

les pays libres, on en riait ! Pourtant, on a commencé à les imiter : en enlevant la cigarette à Malraux, le mégot de Lucky Luke. Aujourd’hui, on déboulonne les statues de gens qu’on a autrefois admirés. D’une certaine façon, Colbert rejoint Staline. Et Victor Schoelcher Adolf Hitler – ben oui… On va aussi refaire le procès de Christophe Colomb qui a vraiment eu tort de découvrir l’Amérique – mais mieux vaudrait expliquer comment et pourquoi tous les indiens caraïbes ont été massacrés. Evoquer leurs sociétés égalitaires et non héréditaires (quel scandale !) Comme si le fait de changer un mot, ou de l’interdire (attention, il n’y a plus de race, il faut dire espèce – sauf que scientifiquement, ce n’est pas du tout la même chose !), permettrait de supprimer racisme et discriminations.

 

Revenons au mot nègre, un terme très gênant – mais qui est historique, ce qui veut dire… quoi ? Qu’en essayant de le supprimer, on aimerait bien changer l’histoire !

Au lieu de la modifier, mieux vaudrait la connaître, l’expliquer, étudier le contexte.

Et assumer. Assumer qu’une bonne partie des Français, entre les deux guerres, n’aimait pas les juifs – il suffit de lire les best-sellers de l’époque ! Assumer, pour les Allemands d’aujourd’hui, que leurs grands-parents ont sans doute, un temps, était pronazis – il suffit de voir les millions de bras levés au passage d’Adolf Hitler.

Eh oui, c’est ainsi. Il faut le savoir. Ne serait-ce que pour se souvenir que le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde (épilogue de La résistible ascension d’Arturo Ui, la pièce de Bertold Brecht)

 

Il n’y a pas si longtemps, on a bien failli interdire la publication de Tintin au Congo.

Euh… pour ma part, j’aurais volontiers simplement ajouté à l’album une page sur « les atrocités commises entre 1885 et 1908 au Congo par l'administration belge du roi Léopold II. .... Un massacre de masse qui a fait probablement plusieurs millions de morts entre 1885 et 1908. Une tuerie inouïe de cruauté. (sic : trois lignes extraites de Wikipedia)

Aux U.S.A., dans certains états, la projection d’Autant en emporte le vent a été interdite.

Racistes, le roman – et le film ?

Oui, sans doute ! Mais voilà : on est en 1936.

Et Margaret Mitchell a signé et assumé.

32 ans plus tard, Martin Luther King faisait un rêve – comme quoi les lois supprimant l’esclavage ou/et les discriminations sont loin d’être suffisantes et efficaces !

 

Ah, j’ai (réellement !) un problème personnel : dans l’un de mes ouvrages, Pour l’amour de Vanille, dont l’action se déroule sur l’île Bourbon (La Réunion) en 1841, le jeune esclave noir Edmond Albius découvre le secret de reproduction de la vanille.

Le mot nègre, notamment dans les dialogues, est souvent prononcé.

Que dois-je faire ? Quel terme employer ?

Merci, chers lecteurs de me livrer vos conseils !

Ah : et pour mes collègues enseignants, j’ai aussi une question et un défi : il faut absolument retrouver les descendants de Voltaire. Que tous les Arouet lèvent la main !

Et pour suivre l’exemple de l’arrière petit-fils d’Agatha Christie, qu’ils se mettent d’accord pour réécrire le chapitre 19 de Candide en supprimant le mot nègre.

Eh oui, Le nègre de Surinam est un classique. Il figure en bonne place (page 167) dans mon vieux Lagarde et Michard XVIIIe siècle. Et sûrement, en 2020, dans beaucoup de manuels..

La solution… supprimer le chapitre ?

Ce serait bien dommage. Cent ans ou presque avant l’abolition de l’esclavage, ces quelques pages en sont un magnifique réquisitoire.

CG

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