Le Code et la Diva, Christian Grenier, Le Rouergue

Non, je n’ai pas la prétention de faire ici la critique de mon ouvrage !

Toutefois, mon webmaster me suggère vivement… d’informer mes lecteurs de la sortie de mon thriller au moyen du blog hebdomadaire.


Le plus simple me semble d’en livrer ici quelques extraits significatifs.

Avec le résumé du prologue de 4 pages :

 

En 2009, Gérard Gémeaux, 68 ans, chef de l’entreprise JFT, ouvre un compte bancaire en bitcoins, une monnaie virtuelle qu’un ami à lui vient de créer. Ce dernier lui conseille d’imaginer un code secret long et complexe qu’il ne divulguera jamais, pas même à ses fils.

L’action commence 11 ans plus tard.

 

1er mouvement : andante

 

HÉRITIERS

 

Mon père est mort.

Depuis une semaine, c’était la première pensée de Rémi quand il s’éveillait. Ce matin-là, dans le Boeing qui le ramenait à Paris s’y ajoutait l’amer regret : et j’ai raté son incinération.

Elle avait eu lieu la veille, au Père Lachaise, alors que Rémi, bloqué à La Réunion, attendait que s’achève la grève des contrôleurs aériens.

Il releva son siège et inclina sa tablette pour y poser l’un des plateaux qu’apportait l’hôtesse. Un haut-parleur annonça :

- Bonjour ! Nous sommes le mardi 20 octobre 2020. Nous atterrirons à 7H35 comme prévu. Il fait 14° au sol à Orly…

Sa voisine, déjà réveillée (elle lisait Le Figaro de la veille) saisit le plateau qu’elle posa devant lui. Il la remercia même si, dès le décollage, il s’était montré réservé et peu disert avec cette jeune femme qui cherchait à lier connaissance.

Il avait d’autres soucis en tête…

Il s’était rendu à La Réunion pour céder devant notaire son Domaine de la rivière bleue et ses trente bungalows à Margot, avec laquelle il avait rompu. À peine arrivé là-bas, il avait reçu un appel de Bohuslav : en se rendant chez Robert, son fils aîné, Gérard s’était crashé contre l’un des platanes qui bordent le canal de Girinville. Sa colonne vertébrale avait été touchée. Défiguré, la mâchoire en loques, il avait bredouillé le prénom de Rémi pendant son transfert à Bichat.

Reviens le plus vite possible, Rémi ! l’avait supplié Bohuslav.

Margot était parvenue à échanger son billet avec celui d’une locataire d’un bungalow ; mais entre-temps, Gérard Gémeaux avait succombé à ses blessures.

Pour couronner le tout, une grève des contrôleurs aériens avait entraîné l’annulation de tous les vols au départ de La Réunion, empêchant Rémi d’organiser les obsèques. La grève se prolongeant, il avait chargé Bohu de les assurer. Faire appel à Robert – ou plutôt Bob, comme il exigeait désormais qu’on le surnomme ? C’était exclu, voilà des années que l’aîné s’était fâché avec son père.

Au téléphone, le Tchèque avait paru dévasté par le chagrin. Gérard et lui s’étaient connus au collège, en sixième. Le jeune Slave venait d’arriver à Paris, en proie à du harcèlement et des quolibets. Gérard l’avait pris sous son aile ainsi qu’un jeune Marocain, Mohamed (dit Mo) qui, une fois JFT coté en bourse, deviendrait son fidèle chauffeur.

Restait un mystère : le SMS laconique que Gérard avait adressé à Bob la veille de son accident... Pourquoi voulait-il se rendre chez son fils aîné ? Envisageait-il enfin de se réconcilier avec lui ? Interrogé, Bohu n’avait aucune réponse à cette question.

- Vous êtes le fils de Gérard Gémeaux ? lui demanda sa voisine en interrompant ses ruminations.

Devant sa mine interloquée, elle lui désigna le journal.

- Son décès a été annoncé. Et hier, j’ai entendu votre nom à l’appel des passagers. Vous lui ressemblez, on vous l’a dit ?

Elle pointa de l’index la photo jointe à l’article. Il approuva en soupirant. Encouragée, elle chuchota avec un sourire attristé :

- Toutes mes condoléances. Dites-moi, votre père était bien la dix-neuvième fortune de France ?

- Non : la trente-neuvième, mademoiselle. Vous avez mal lu.

La sècheresse du ton la dissuada de poursuivre. Être le fils d’un riche homme d’affaires rendait certaines femmes très intéressées. Et Rémi n’était pas pressé de remplacer Margot.

Il songeait à la tentative d’intrusion dans l’appartement de son père qui avait eu lieu cinq heures après son décès… alors que personne n’était au courant - sauf le SAMU, son frère et Bohu. Quelqu’un s’était introduit sur la terrasse (en escaladant sans doute le balcon d’un appartement voisin) et avait fracturé le volet. L’alarme l’avait fait fuir et alerté les voisins.

Un hasard ? Il n’y croyait pas. (…)

Son esprit se remit à vagabonder du côté de Girinville où vivait Bob. Comment pouvait-on perdre le contrôle de son véhicule à cet endroit où la route, longeant le canal, était rectiligne ?

La dernière fois qu’une réconciliation avait été esquissée, c’était au cours du 75ème anniversaire de leur père, un somptueux repas aux Misters de Paris, le restaurant que Bohu avait ouvert près de la mairie du XVIIIème – la communauté gay avait adopté le lieu, les serveurs y étaient des boys accortes et stylés. Gérard avait invité ses deux fils à dîner. Contre toute attente, Robert était venu. Mais il n’avait pas desserré les dents. Au dessert, leur père avait commis une erreur : leur faire entendre un morceau de musique étrange et solennel, un poème en allemand chanté par une cantatrice : O Mensch, gib acht ! J’aimerais qu’on diffuse ça pendant mon enterrement, leur avait-il confié. Robert avait ricané et il était parti sans écouter la fin. Depuis, il n’avait plus fait signe à son père.

L’atterrissage du Boeing arracha Rémi à ses réflexions.

L’avion n’était pas encore arrêté que la plupart des passagers s’étaient levés, y compris sa voisine qui le priait de l’aider à sortir son bagage. Elle lui tendit la main pour un au-revoir furtif plein d’espoir...

Il lui fit signe d’avancer, comme à vingt autres passagers avant de se lever pour s’engager dans la travée. Il grimaça en dépliant ses jambes : douze heures de vol, c’était beaucoup, même en classe premium, surtout quand on mesurait un mètre quatre-vingt-cinq. Il se sentit soudain très fatigué…

À quarante-deux ans, après quoi courait-il ? Cherchait-il à imiter son père ? Le rattraper ? Le dépasser ? Que voulait-il se prouver à lui-même ?

Gérard Gémeaux, lui, avait su s’arrêter : une fois veuf, il s’était séparé de ses propriétés pour se réfugier dans le quartier de son enfance. À deux pas du restaurant où le Tchèque, à quatre-vingts ans, continuait de travailler…

Dans le hall, Rémi fut l’un des premiers à pouvoir récupérer sa valise, ce qui lui permit d’échapper à sa voisine de vol.

Une fois le dernier portail franchi, il se dirigeait vers la file d’attente des taxis quand il eut la surprise d’apercevoir Bohuslav.

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

- Je suis si content de te retrouver, mon petit.

L’ami d’enfance de son père avait le front dégarni, des poches sous les yeux et de nouvelles rides au coin des lèvres.

Sa longue moustache en guidon de vélo, d’ordinaire triomphante, semblait en deuil. Bohu avait toujours été un athlète qui savait encaisser les coups – et Dieu sait si, en tant que gay, il en avait subis. Rémi n’était jamais parvenu à le tutoyer. Il lui parut vieilli, usé, même si son costume clair (un peu trop clair pour la saison), restait impeccable.

- Vous avez mauvaise mine. Vous semblez épuisé.

- Oui. J’ai dû affronter pas mal de formalités. Et ce n’est pas ton frère qui aurait pu s’en charger.

- Je sais. D’ailleurs papa ne l’aurait pas voulu.

- Bon, je te passe le relais. Eh, laisse-moi au moins ton bagage à main !

Refuser l’aurait vexé. Le Tchèque entraîna Rémi dans le parking souterrain et l’invita à monter dans une C3 Citroën.

- La même que celle qu’avait loué ton père, soupira-t-il.

Comme la plupart des Parisiens, Bohu n’avait plus de voiture. Au besoin, il en louait une chez Locacli, porte de Clignancourt, à deux stations de métro de son restaurant. Il lui désigna le joli cahier gris ourlé d’argent posé sur le siège passager.

- Les condoléances de ceux qui ont assisté à l’incinération hier.

- Tout s’est bien passé ?

- Oui. J’ai obéi aux instructions que Gérard m’avait laissées…

Ces instructions, c’était une feuille imprimée que Bohu avait insérée dans le cahier. Rémi possédait la même, son père la lui avait confiée dix ans auparavant.

Il y jeta un nouveau coup d’œil :

L’idéal serait une crémation au père Lachaise. On trouvera sur mon bureau une petite clé USB blanche dont la bande-son contient les musiques destinées à être diffusées pendant la cérémonie. L’urne contenant mes cendres sera placée près du cercueil de mon épouse Aline.

- Et de ton côté, à La Réunion, poursuivit Bohu. Margot ?...

- Elle va bien. Elle s’est trouvé un nouveau compagnon.

- Déjà ! (…) Votre liaison a bien duré trois ans ?

- Trois ans et demi. Mais c’est ma faute, Bohu : je m’attache à des femmes trop jeunes.

Le Tchèque, lui, avait vécu en couple avec un homme décédé depuis une quinzaine d’années. Quarante-cinq ans de fidélité. Peu d’hétéros pouvaient en compter autant. Depuis la disparition de son compagnon, il ne s’était plus jamais affiché avec un autre homme. Il restait muet sur sa vie privée.

- Et tu lui as cédé ton terrain, et les bungalows ? Un peu maso, non ?

Rémi sourit. Il avait toujours été un gentil. Une question d’éducation, il n’y pouvait rien. Souvent, il en était meurtri et il en voulait à ses parents - surtout à sa mère qui lui avait enseigné une morale catholique : tendre l’autre joue, présenter des excuses à ceux qui lui marchaient sur les pieds. C’était devenu un réflexe, il en était irrité. Il se jurait de veiller à devenir vindicatif mais le naturel reprenait le dessus.

- Je reste actionnaire, Bohu. Et intéressé aux bénéfices.

Son psy lui avait expliqué que dans un couple existaient souvent un dominant et un dominé. Le dominé, il le savait, ce serait toujours lui. C’était Margot qui avait rompu. Il avait refusé de se battre. Il savait le combat perdu. Il s’en remettrait, il avait l’habitude…

Tandis que la C3 s’engageait avec difficulté, au pas, sur un périph engorgé, il révéla à l’improviste :

- J’envisage de vendre aussi mon domaine des Trois Rivières, en Guadeloupe. Je garderai celui des Landes, j’y suis domicilié.

Cette décision, il venait de la prendre. Oui, il voyageait beaucoup, beaucoup trop, lui reprochait son père qui déplorait les tonnes de carburant produites par les charters de touristes : deux millions de personnes volent en permanence au-dessus de la Terre, lui avait-il appris un jour.

Longtemps, Gérard avait espéré que son fils cadet deviendrait un artiste. Un peintre ou un écrivain. Rémi avait choisi une autre voie. D’une certaine façon, lui aussi avait fait fortune. Alors pourquoi, à force de vouloir bien gagner sa vie, avait-il peu à peu l’impression de la perdre ?

- Jette un coup d’œil sur le cahier de condoléances, on a tout le temps ! lui conseilla le Tchèque en désignant le panneau lumineux qui affichait : Porte de Clignancourt 24 minutes.

Il parcourut les commentaires ; élogieux et brefs, ils n’avaient rien d’original. En marge, leurs auteurs avaient laissé leur signature (souvent illisible), parfois leur nom et leur prénom. Plus rarement une adresse mail ou un numéro de portable.

Neuf fois sur dix, Rémi n’aurait pas pu mettre un visage sous le nom du signataire.

- Beaucoup de monde, à la crémation ?

- Une centaine de personnes. Peut-être un peu plus.

- Robert était là ?

- Oui. Nous nous sommes salués. Je l’ai perdu de vue pendant la cérémonie.

- Parlez-m’en, Bohuslav. Il y a eu des discours ?

- Quatre ou cinq, entre chaque extrait musical.

- C’est vrai, papa avait tout prévu. Vous avez trouvé la clé USB ?

- Sur son bureau, près du carnet d’adresses. C’est moi qui ai accueilli les participants. J’ai remercié nommément d’être venus ceux que je connaissais. J’ai lu un bref hommage à ton père et invité ceux qui le souhaitaient à venir me rejoindre au micro pour parler de Gérard.

- Quels sont ceux qui l’ont fait ?

- D’abord Cazenave. Puis Mériaux, le plus vieil actionnaire. Il semblait bouleversé ; il a versé des torrents de larmes. Niogret a pris aussi la parole, il a lu un texte en vers de mirliton. Très mauvais. Plus personne ne s’est manifesté et il a fallu enchaîner deux ou trois morceaux. Pendant l’un d’eux, une inconnue nous a fait face pour chanter sur la musique.

- Elle a chanté ?

- Oui, un lied en allemand. Très au point. Impressionnant. À la fin de sa prestation, les participants ont applaudi. Moi aussi. Et ça n’a choqué personne. J’imagine que Gérard aurait été ravi.

Rémi soupira ; aujourd’hui, on applaudissait pendant les enterrements. Après tout, en Guadeloupe, voilà bien longtemps qu’on accompagnait le cercueil en fanfare.

- Cette femme, vous la connaissez ?

- Non. Enfin... il se peut qu’elle ait accompagné ton père une ou deux fois, dans mon restaurant, il y a cinq ou six ans. Mais je vois passer tant de gens ! Un peu plus tard, entre les deux derniers morceaux, Lasoufrière a voulu prendre la parole. Il a improvisé, c’était touchant mais interminable. J’ai dû l’interrompre. Une heure vingt s’était écoulée et la moitié des gens étaient partis. À la fin de la cérémonie, j’ai serré pas mal de mains... difficile de me souvenir de tous ceux avec qui j’ai échangé. Ça n’en finissait pas.

- Pas grave. Et puis je dispose de ce cahier. Il me permettra de répondre aux condoléances.

- L’urgence, c’est de te rendre à la gendarmerie de Boisseux.

- Je sais. Un commandant m’a appelé plusieurs fois. Je dois y récupérer les affaires de papa. Sa pochette, son téléphone... (…) Et Carl, vous l’avez vu ?

- Oui. Je l’ai aperçu de loin, au Père Lachaise, à l’extérieur. Ton frère s’est éclipsé très vite avec lui. Et c’est très bien ainsi.

Carl hébergeait Robert dans un pavillon qu’il squattait. Voilà des années que Bob était sous l’emprise de ce petit malfrat. Au grand désespoir de Gérard…

- Et la tentative de cambriolage de l’appartement ?

Sans quitter la route des yeux, le conducteur hocha la tête.

- Tu soupçonnes Carl et ton frère, n’est-ce pas ?

Avant qu’il puisse répliquer, Bohu révéla :

- Moi aussi. Mais le mercredi 14, à 20 heures, au moment où l’on tentait de forcer le volet de la baie vitrée, nos deux lascars se trouvaient à la gendarmerie de Boisseux. Ils y avaient été convoqués. Un alibi en béton !

La C3 était enfin parvenue porte de Clignancourt.

- Au fait, les cendres de papa ?

- L’urne est toujours là-bas. J’ai pensé que tu serais content de la déposer toi-même à côté du cercueil de ta mère. Pour l’ouverture du caveau, il faudra prendre rendez-vous, tu t’en chargeras ?

Bohuslav laissa le véhicule chez Locacli. Il voulut entraîner Rémi vers le métro.

- Écoutez, je préférerais marcher. La rue Ramey n’est pas si loin. Et j’ai une valise à roulettes.

Il était étonné d’être aussi satisfait de retrouver la ville. À dix ans, il haïssait la foule. Toujours, il s’était promis de vivre au vert. Seulement voilà : la Guadeloupe, les Landes et La Réunion étaient de plus en plus fréquentées. Et se frayer un passage parmi les vacanciers sur une plage ou sous des pins lui semblait incongru, presque indécent. Ici, boulevard Ornano, il n’était pas choqué d’être cerné de passants, de voitures, de bâtiments.

Ils contournèrent la mairie et parvinrent au croisement des rues Ramey, Ferdinand-Flocon, Marcadet et Eugène-Sue. Le restaurant était là, toutes lumières allumées malgré l’heure matinale.

- Tu entres boire un café, manger un ou deux croissants ?

- Non, on nous a servi un petit déjeuner dans l’avion.

- Viens donc dans l’arrière-cuisine. J’ai les vêtements de Gérard. Ils sont dans un état… tu veux les récupérer ?

- Je n’y tiens pas, Bohuslav. Faites-en ce que vous voudrez.

- Bon. J’ai sa montre, son alliance, sa carte Vitale… j’ai récupéré tout ça à l’hôpital.

Il les sortit de sa poche. La montre était très ordinaire. Un jour, son père lui avait déclaré : une montre est là pour donner l’heure, pas pour montrer au premier venu qui te la demande que tu paies l’I.S.F..

- J’aimerais rejoindre son appartement. Vous avez les clés ?

- Comme tu voudras. Les voilà.

Dès qu’il les eut en main, une peur irraisonnée le saisit. Cette passation de pouvoir était brutale, inattendue. Un sentiment jailli de la petite enfance, l’impression de ne pas être prêt.

- Ces clés, je vous en confierai un double. Je veux que vous puissiez continuer à entrer dans cet appartement. Bohuslav... vous voulez bien m’accompagner jusque-là ?

Ils n’eurent que cent mètres à faire.

Au bas de l’immeuble, alors que le Tchèque tapait un chiffre sur le digicode, une voix familière les héla.

- Salut ! On vous attendait.

C’était Robert.

Il portait son vieux blouson d’aviateur, une horreur que son frère affectionnait depuis toujours. Deux pas en retrait se tenait Carl, comme en embuscade.

Bob lança joyeusement :

- Vous allez bien depuis hier, mister Griocek ?

Bohuslav ne semblait pas ravi.

- Vous nous guettiez depuis quand ?

Robert avait saisi son frère aux épaules et il le serrait contre lui, dans un geste d’affection inhabituel. Négligeant de saluer le Tchèque, il désigna le bistrot qui faisait face à l’impasse.

- Je savais que vous viendriez tous les deux ici. Rémi m’avait transmis l’heure de son arrivée à Orly.

- Tu aurais pu aussi bien m’attendre à l’aéroport, Bob !

- Je me doutais que le vieux copain de Gégé s’en chargerait.

Carl n’avait pas bougé. Son costume clair sans cravate ne parvenait pas à dissimuler son allure de mauvais garçon. Peut-être à cause de sa coupe de cheveux négligée, de son dos voûté et de ce sourire supérieur qui ne quittait pas son visage buriné. Si Bohuslav ne lui accorda pas un seul regard, Rémi se força à aller lui serrer la main.

- Vous allez bien, Carl ?

- Ouais, c’est cool.

Entre-temps, la porte de l’immeuble s’était ouverte.

Le Tchèque fit signe à Rémi d’entrer. Mais Robert le devança. Furieux, Bohuslav lui barra la route de son bras. Bob n’insista pas mais il grogna doucement :

- Là, mec, va y avoir un problème.

Prenant son frère à témoin, il ajouta :

- Tu veux monter dans l’appartement de Gégé ?

- Bien sûr. Là-haut, il y a des choses à faire. Ne serait-ce que répondre à ceux qui se sont rendus à l’incinération. Au fait, Bohuslav, le carnet d’adresses ?...

- Je l’ai remis à sa place. Sur le bureau.

- Papa a toujours laissé les clés de son appartement à Bohu, expliqua Rémi.

- Je sais. Mais ça, c’était hier. Ce matin, t’es là. Et les clés, maintenant, tu les as.

C’était vrai : il les tenait à la main.

- Et l’appart, il est à nous. À nous deux. Moi, j’ai le droit d’y pénétrer. Au même titre que toi. Mais pas lui.

Pour la première fois, Robert et Bohuslav s’affrontèrent du regard. Ce dernier capitula en contenant visiblement sa fureur.

- Je te laisse, Rémi. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.

Le Tchèque poussa du pied le bagage dans le vestibule et recula d’un pas. Carl en profita pour avancer jusqu’au seuil.

- Et lui ? fit alors Bohu d’une voix égale sans esquisser un geste. Dis-moi, Bob, il a le droit de t’accompagner, lui ?

Pendant une seconde de flottement, on n’entendit plus que le ronflement des voitures dans la rue Ramey, toute proche.

- Carl ? jeta enfin Rémi. Tu vas nous lâcher les baskets. Et nous laisser gentiment entrer dans l’appartement. Seuls.

Comme l’autre grimaçait, Bob finit par approuver :

- OK, on fait comme ça, les gars. Carl ? Retourne au bistrot. Et attends-moi là-bas.

*

Quand la porte du vestibule se referma sur eux, Rémi fut soulagé. Les frères prirent l’ascenseur ; ils n’échangèrent pas un mot jusqu’au huitième et dernier étage.

Le palier, illuminé par une verrière, était impeccable, à l’image de cet immeuble dont Bohuslav avait présidé à l’édification. C’était l’une des rares constructions récentes de ce quartier de Montmartre, protégé par l’architecte des bâtiments de France. 

À côté de l’appartement de Gérard Gémeaux se trouvait un deux pièces occupé par un couple de retraités. Rémi les savait absents pendant la moitié de l’année.

- Qu’est-ce que t’attends ? fit Bob.

Rémi se décida à ouvrir la porte – blindée, munie de trois serrures. Cet appartement, il le connaissait. Il avait pourtant l’impression de violer un tombeau.

Robert entra le premier. Au même instant, une horloge toute proche sonna, égrenant lentement neuf coups. Comme pour saluer leur arrivée, 

- Incroyable ! jeta Bob en désignant le carillon Henri II sur le mur du vestibule. Cette mocheté est toujours là ?

Il n’avait pas tort : l’objet, incongru, n’aurait pas coté vingt euros en brocante. Mais il avait appartenu à la grand-mère de leur père et il ne s’en était jamais séparé.

Rémi ouvrit la fenêtre vitrée de la pendule et appuya sur un interrupteur.

- C’est quoi ?

- L’alarme. Avant de sortir de l’appartement, tu la mets en fonction. Tu as trente secondes pour sortir. Quand tu entres, tu as trente secondes pour la neutraliser. Le dispositif complet se trouve dans le placard. Le trousseau a aussi un biper qui permet de désarmer l’alarme. Mais je ne m’y fie pas, la pile peut tomber en panne.

- OK, tout ça, c’est bon à savoir.

Bob avisa, entre le carillon et le fameux placard, un panneau de bois garni de plusieurs trousseaux. Il s’empara du premier, identifiable grâce au biper gris identique à celui du trousseau de Rémi.

- C’est le double des clés de l’appart, non ?

- À première vue, oui.

- Tu vois un inconvénient à ce que je le garde ?

Son frère avait raison : il disposait des mêmes droits que lui. En même temps, il repensa à l’effraction de l’avant-veille. Dont ni Bob ni Carl ne pouvaient être les auteurs. Résigné, il déposa valise et bagage à main dans le vestibule et maugréa :

- Tu es vraiment pressé.

- Ouais. Et contrarié que ce foutu pédé ait pu entrer ici avant nous.

- En l’absence de papa, Bohuslav venait comme il le voulait. Carl t’a confié sûrement confié ses clés, non ? Tu vis toujours avec lui ?

- Pas avec, mec ! On n’est pas des tantouzes. Carl m’héberge dans son pavillon, c’est un pote, voilà tout.

Rémi faillit protester, ce pavillon n’est même pas le sien ! Mais il changea de sujet. Avec Bob, la dispute n’était jamais loin.

- Qu’est-ce que tu redoutes, Robert ?

- Pardi, qu’il ait pu accéder au compte bitcoin ! D’ailleurs, il a encore des actions dans la société, non ?

- C’est ridicule.

Pas une seconde il n’imaginait que Bohuslav ait eu des visées sur l’argent de son plus vieil ami.

- D’après toi, qui en possède le code d’accès ?

Cette question, Rémi ne se l’était encore jamais posée.

- À mon avis personne. Personne d’autre que papa.

- On est d’accord. Et il est mort. Ce qui signifie que la voie est libre. Il ne t’a pas confié le code ?

- Tu sais bien que non.

Son frère ne semblait pas mettre sa parole en doute.

- Ce code, Gégé l’a forcément noté quelque part. Ici. Dans son appart. À côté de son ordinateur.

- Allons, il devait le connaître par cœur !

- Impossible.

La certitude de son frère l’ébranla.

- Attends, Bob… quand tu te connectes sur un compte bancaire ou sur ta messagerie, tu ne connais pas ton mot de passe ?

- Non, pas toujours. Chaque mois, plein de sites me demandent de le modifier. En glissant ici ou là une majuscule, un chiffre, un point virgule ou des guillemets. Alors je finis par me mélanger les pinceaux. Faut bien que je note quelque part à qui ou à quoi correspond mon nouveau password ! Pour le compte en bitcoins, la clé d’accès est longue. Compliquée. Tordue. Impossible de s’en souvenir. Il a fallu que Gégé la note, crois-moi.

- Eh… comment peux-tu savoir tout ça ? Tu possèdes déjà un compte bitcoins ?

- Non. Mais j’aimerais bien. Et tant qu’à faire, je prendrais volontiers le relais de celui de pa... de Gégé. Avec toi, bien sûr.

Dans la pénombre, les frères s’affrontèrent en silence. Ici, dans ce vestibule ne filtrait que la vague clarté du séjour voisin, dont l’unique porte-fenêtre était fermée par un volet roulant. Celui que des intrus avaient tenté de forcer six jours auparavant.

- Avant qu’on aille plus loin, reprit Bob, j’aimerais que ce soit clair entre nous. Jusqu’ici, j’ai eu une vie de merde.

Il s’interrompit, attendant une réplique du genre, mais ça tu l’as bien cherché. Rémi ne réagit pas, il ne voulait plus tomber dans ce piège.

- Tu vois, j’aimerais qu’on reparte à égalité. Même si le vieux m’a défavorisé. Il me détestait.

- Non, Bob. Tu te trompes.

- Maman, elle, m’aimait.

Ce souvenir brutal fut murmuré à mi-voix. Un silence. Puis :

- Surtout quand j’étais petit...

Aline avait eu un rôle dans le méchant destin de leur fils aîné : après l’avoir chouchouté, cajolé, elle l’avait délaissé six ans plus tard, quand son second fils - lui, Rémi - était né. De ce combat souterrain, il était sorti vainqueur. Sans effort, ignorant du conflit qui l’avait transformé malgré lui en ennemi aux yeux de son aîné : perdant buté et dépité, ce dernier s’était enfoncé dans la défaite avec un plaisir masochiste. Aujourd’hui, il allait avoir cinquante ans et toute une vie bien ratée, comme l’avait titré autrefois Pierre Autin-Grenier.

- Bob ? Je ne crois pas que papa t’a déshérité.

- Attends... tu ne crois pas ? Qu’est-ce que t’entends par là ?

- Il a laissé un testament chez son notaire.

- Quoi ? Tu le savais et...

- Je n’en savais rien ! C’est Trébuchet qui m’a appelé et me l’a appris, il y a trois jours.

- Trébuchet ?

- L’expert-comptable de papa – enfin, de JFT.

Bob laissa échapper un ricanement.

- C’est bien ça : Gégé laisse un testament et ses enfants sont même pas au courant ! On parie qu’il abandonne sa fortune aux restos du cœur ? Ou aux apprentis d’Auteuil ?

- Non, il n’a pas pu faire ça.

- Rappelle-toi : quand on était ados, Gégé nous a dit qu’il nous ferait pas de cadeau ! Il jugeait l’héritage injuste !

Exact. Rémi se souvenait que leur père répétait en public : de quel droit les enfants disposent-ils des biens que leurs parents ont si durement acquis pendant leur vie ?

Devenu homme d’affaires, il avait gardé des principes de gauche. Pire : utopistes.

- Il a dû s’arranger pour me déshériter !

- Inutile de gamberger, Bob. On va prendre rendez-vous chez le notaire. On sera vite fixés.

- Autre chose. Rassure-moi : Gégé était domicilié en France ?

- Oui. Tu sais bien qu’il vivait ici.

- La propriété de Neuilly ?

- Il s’en est séparé depuis belle lurette.

- Et sa petite maison au Maroc ?

- Il l’a vendue à la maman de Mo, tu ne t’en souviens pas ?

- Son fidèle chauffeur. C’est vrai : ce bougnoule a bien su l’exploiter, lui aussi ! Gégé lui a fait un vrai cadeau.

- Pourquoi toutes ces questions ?

- Parce que si t’es domicilié à l’étranger, c’est le moyen de contourner la loi française si tu veux déshériter tes enfants. Tu te rappelles, la succession de Johnny ?

Excédé, Rémi soupira, voilà une demi-heure qu’ils débattaient dans le vestibule. Il prit son frère par l’épaule et l’entraîna dans le grand séjour où Robert jeta son blouson d’aviateur sur le canapé avant de renchérir :

- En tout cas, pour le compte bitcoin, on fera le partage cinquante cinquante. Quoi qu’il arrive. T’es d’accord ?

- On n’en est pas là, Bob. Si ça se trouve...

- Stop ! Regarde-moi dans les yeux.

C’était un jeu datant de leur petite enfance. Jusque là, aucun d’eux n’avait triché. En un éclair, dans les traits prématurément vieillis de son frère, il entrevit le jeune adulte qu’il avait connu, à l’expression fraîche et bienveillante. Un aîné prêt à guider un petit frère mal dégrossi, timide et peu sûr de lui.

- Répète après moi : je suis d’accord, que ce soit toi ou moi qui déniche le mot de passe et quel que soit le contenu de ce foutu testament, on partage ce que contient le compte bitcoin.

À cet instant, il pressentit que Bob en savait plus que lui. Et il devina qu’accéder à ce compte n’était pas gagné. Si leur père avait gardé le code en mémoire sans le noter quelque part, l’argent serait perdu. Pour eux. Mais sans doute pas pour la banque virtuelle.

 

(Pour craquer le code, Carl propose aux deux frères de faire appel à une hackeuse surnommée La Mouche.

Extrait du chapitre 3) :

 

Bob ouvrit le fichier, sous Word, qui contenait une seule page et sur une seule ligne, la mention : N.I.V. Bank Ok&!w9/*jX.

- Ça confirme, grommela-t-il. C’est bien son identifiant. Reste le mot de passe… où l’a-t-il fourré ? Peut-être sur l’un des fichiers des autres comptes bancaires.

Ouvert, chacun des fichiers révéla l’historique et les dernières évaluations des biens de leur père. Sans surprise.

Le fichier Testament proprement dit, lui aussi sous Word, commençait par : Voici mes dernières volontés. Si je me trouve, par accident ou par maladie, dans un état de souffrance tel que…

Bob lut la suite à mi-voix. Quand il arriva à : Jugeant que le décès entraîne la disparition du corps… son frère l’interrompit.

- C’est la copie du document que papa nous avait remis, à Bohuslav et à moi. Le compte bitcoin n’y est pas mentionné.

Bob explora rapidement le contenu des autres fichiers.

Le plus important, Musique comportait des centaines d’œuvres enregistrées, classées là aussi par ordre alphabétique d’auteur. Rien dans Vidéo. Rien dans Jeux.

Bob revint à l’accueil, il ne cachait pas sa contrariété.

Le deuxième sous-dossier de Documents avait été baptisé Journal intime.

Bob l’ouvrit. Vingt-cinq fichiers Word apparurent, baptisés : année 1996, 1997… jusqu’à année 2020. Bob ouvrit le fichier année 2009  et il fit une recherche sur le mot bitcoin.

À la date du 22 février, l’auteur avait simplement noté : j’ai créé un compte en bitcoins.

Laconique. Pas question de la moindre clé.

Bob entreprit une nouvelle recherche sur six mots : bitcoin, clé, mot de passe, password, compte et code. Ils trouvèrent des dizaines d’occurrences mais l’information n’était jamais accompagnée de chiffres ou des signes caractéristiques d’un mot de passe. Le rédacteur se contentait de préciser : j’ai alimenté le compte bitcoin. Ou : dépôt sur le compte B.

La recherche sur le mot Retrait ne donna rien.

- Il n’aurait jamais rien retiré ? demanda Rémi.

- Faut croire.

Bob se remit à explorer le journal intime.

- Si le vieux a caché son code là-dedans, faudra des semaines pour le dénicher !

- Rien ne prouve qu’il l’ait fait. À mon avis, papa l’a rangé dans un lieu plus sûr. Ou alors il le connaissait par cœur.

- Impossible, confirma Carl qui était resté silencieux et se tenait un mètre derrière eux.

- Impossible ? Et pourquoi ?

- Ce code d’accès peut comporter jusqu’à 80 caractères. On est loin des cinq lettres d’Aline ! Tu as vu combien de temps La Mouche a mis pour craquer le code d’accès à l’ordi ? C’est à la portée du premier bidouilleur venu !

- 80 caractères ? Tu es sûr ?

- Certain. T’es pas obligé d’en utiliser la totalité. Mais la plupart des clients le font. Ils vont pas se contenter d’une clé à cinq chiffres ou à huit lettres, trop de risques. D’ailleurs, ça serait refusé par les mineurs de la blockchain.

Rémi réalisa que Carl et Bob en savaient beaucoup plus que lui sur cette crypto monnaie. Il joua les candides :

- Mémoriser 80 caractères, ce n’est pas si compliqué. Ca peut être le début d’un poème. Une expression. Ou un dicton : on a souvent besoin d’un plus petit que soi… Percé jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle…

- Trop facile à décoder, assura Carl. Si une phrase a un sens, ou si elle correspond à un extrait enregistré sur le Net, le code est aussitôt craqué. Pas vrai, La Mouche ?

Depuis le canapé, l’interpellée approuva. Avant de préciser :

- Ton pote a quand même raison : le procédé classique, c’est une phrase de référence. Qu’on interrompt de chiffres ou de signes particuliers : virgule, points, majuscules... À partir de comme le temps passe, on peut créer le code : co7m.Me-l etEm4p&aSse. Mais le plus sûr, ça reste un enchaînement incohérent.

- Montre-lui, La Mouche.

Elle gagna l’ordinateur et inscrivit, sans doute au hasard :

1jG%oFQ3!4m$hiit&mVJ}YsxtCBH~MK4u9qghy

Avant de préciser :

- Ici, on n’a que 38 caractères.

- Tu doubles ce genre de truc, ajouta Carl. Et tu essaies de mémoriser ça… bon courage ! Le plus simple et le plus rapide, c’est de le noter quelque part sur ton ordi. Et de faire un copier-coller quand tu te connectes sur ton compte. Tiens, je l’imprime.

Trois secondes plus tard, une feuille A4 jaillissait et Rémi examinait la ligne continue de caractères… C’était évident, mieux valait noter ce type de clé. L’enregistrer. Le garder à portée de main.

D’instinct, il saisit le plumier.

- Il y avait deux clés USB ici, ce matin ! Où sont-elles ?

- Ici, dit Carl en les tirant de sa poche.

- Quoi ? Eh, mais de quel droit…

- Je les ai prises tout à l’heure mais je te les aurais rendues, mec ! Faudra vérifier ce qu’il y a dessus, of course !

- Écoute, Carl…

- On se dispute et on discute dans le vide, coupa Bob. Tu te connectes sur la N.I.V. bank, identifiant : Ok&!w9/*jX, La Mouche ?

- Ok&!w9/*jX. C’est fait.

Aussitôt s’afficha sur l’écran :

Password ?

- On y est. Vas-y, La Mouche. À toi de jouer.

La hackeuse commença par vider sa deuxième canette de bière… et à décapsuler la dernière. Sans doute en prévision d’un temps de travail indéterminé.

Puis elle relia sa boîte magique à l’ordinateur. De petites lampes témoin clignotèrent. Elle se mit à taper sur son clavier à une telle vitesse qu’il était impossible de la suivre.

Une minute s’écoula. Puis deux.

Carl s’impatientait.

- Alors ?

- Ça travaille. Mais l’attaque par force brute est inopérante, au bout de dix échecs, il y a une heure d’attente. On va essayer de contourner la difficulté mais…

- Tu sais ce qu’on t’a promis, La Mouche ? Bob et moi, on est d’accord : si tu débloques le compte, on double la mise.

La hackeuse haussa les épaules, une façon de dire que ça ne changeait rien à son problème. Ce qu’elle traduisit par :

- Ça risque de prendre du temps.

Elle retira ses lunettes et soupira. Mauvais signe.

- Beaucoup de temps, ajouta-t-elle avant d’entamer sa canette.

- Tu précises ?

- À ce rythme, un siècle ou deux.

- Tu rigoles ?

- Ben non. Il y a des milliards de milliards de possibilités. Et mon engin est au max de ses performances.

Carl serra les dents, contenant son impatience. Ou sa fureur.

- Y a pas un matériel plus efficace ?

- Si. Un ordinateur quantique à 128 qubits. Ou le D-Wave. Avec ses 2000 qubits, on craque tout ce qu’on veut.

- Et t’as pas ça chez toi ?

- Difficile, il coûte 15 millions de dollars. Et seules les entreprises de cybersécurité ont le droit de se le procurer.

Bob désigna l’écran.

- Tu peux déterminer la date de la dernière connexion ?

La recherche prit quelques secondes.

- Voilà. Le 30 septembre. Il y a trois semaines.

- Ça correspond, murmura Carl avant que Bob ne suggère :

- Et si Gégé s’était connecté hors de chez lui ?

- Pareil, assura La Mouche. La dernière fois qu’on a ouvert le compte Ok&!w9/*jX, c’était le 30 septembre, à 11H14. Garanti.

- Je vais vérifier sur son journal intime.

Carl fit signe à la hackeuse de se lever. Il examina le texte rédigé fin septembre où avait été sommairement noté : Dépôt sur le C.B.. Puis la mention laconique : Déjeuner MdP.

- Personne n’a touché au compte depuis cette date, en conclut-il. Pas de lézard, le compte est bon !

Il rit de son propre trait d’humour et se déconnecta.

Le portable de Rémi bourdonna. Il s’écarta du groupe pour répondre.

- Monsieur Rémi Gémeaux ? C’est la gendarmerie de Boisseux. Vous êtes à Paris ? Vous pourriez passer dans nos locaux ?

- Aucun problème. Demain ?

- Ecoutez, nous avons là une personne qui veut s’entretenir avec vous. Vous auriez une heure à lui consacrer, en fin d’après-midi ?

- Je vais essayer. De qui s’agit-il ?

Il y eut un bref silence - ou plutôt, au loin, une conversation à mi-voix.

- Quelqu’un de la Brigade Criminelle.

Ce fut à son tour d’accuser le coup.

- C’est bon. J’essaierai d’être là avant 18 heures.

- Du nouveau ? demanda son frère dès qu’il eut raccroché.

- Eh, les mecs, je peux avoir de la bière ?

La hackeuse tendait à bout de bras sa canette vide, la troisième et dernière.

- J’y vais, dit Bob. Je descends.

- Je te suis, ajouta Carl en sortant son paquet de cigarettes.

Rémi faillit partir lui aussi. Mais il ne voulait pas laisser la hackeuse seule dans l’appartement.

Dès que les deux hommes eurent claqué la porte, il demanda :

- La Mouche ? Comment Carl a-t-il pu découvrir que la clé du compte comporte  80 caractères ?

Elle haussa les épaules.

- Pas compliqué. Suffit de créer un compte. D’y verser des bitcoins. Puis essayer d’en retirer. On te demande alors de taper ton code perso. Avec 80 caractères maximum.

- Tu peux connaître la somme qui figure sur le compte ? demanda-t-il en désignant l’écran.

- Négatif. Pour le savoir, il faut entrer dedans.

Il décida de jouer franc-jeu :

- Mon frère prétend connaître le total. À un poil près. D’après toi, comment a-t-il fait ?

La hackeuse fronça les sourcils, ce qui fit cliquer les épingles en argent qu’ils supportaient.

- Je sais pas. Mais si tu crèches à deux pas, c’est pas très compliqué d’installer un mouchard sur l’ordi de ton voisin en utilisant le même réseau wifi. Ici, il y en a six ou sept, ajouta-t-elle en désignant à la fois l’écran et les immeubles d’en face. Faut aussi disposer du matériel. Et d’un certain savoir-faire.

- Attends, tu as parlé d’un mouchard ?

- Ouais. Un logiciel espion qui te permettra de récupérer certaines données.

 

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