Madame Pylinska et le secret de Chopin, Eric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel - Le livre de poche

Le narrateur se souvient… de l’horrible piano droit Schiedmayer, un bien familial inopportun qui, après que la jolie tante Aimée eut interprété avec lui un morceau de Chopin, convainquit l’adolescent qu’il devait apprendre de toute urgence à maîtriser l’instrument, essentiellement pour jouer Chopin !

Après de vains balbutiements, on fit appel à une pianiste polonaise exilée, Mme Palinska, qui devint le mentor du jeune E.E. Schmidt. A son grand étonnement, la prof, mécontente de son jeu, ne le mit pas face au clavier : elle lui livra des conseils en apparence saugrenus : se coucher sous le piano, fréquenter le jardin du Luxembourg tout proche pour observer les fleurs, les cueillir sans faire tomber la rosée, écouter le silence, faire l’amour avant de venir jouer...

Fan absolue de Chopin, Mme Pylinska fait peu à peu comprendre à l’apprenti pianiste comment apprivoiser un compositeur que la virtuosité intéressait beaucoup moins que les sentiments et les effluves de l’âme.

Entretemps, le narrateur obtient les confidences d’Aimée, sa tante aimée concernant moins Chopin que sa propre vie privée.

Souvenirs et faits authentiques ? Probablement… mais qu’importe ! Cette confidence en forme de nouvelle est un petit bijou en soi.

Certes, les conseils de Mme Pylinska frôlent parfois la caricature. Certes, les dialogues entre le jeune E.E. Schmitt et elle ne sont là que pour offrir au lecteur une magistrale leçon de musique, un approfondissement inattendu de l’œuvre et les motifs d’un Chopin créateur.

Le lecteur se laisse vite emporter par la narration même si l’action et les rebondissements sont infimes. En effet, ce récit pourrait être sous-titré : « une leçon de musique » : Bach pratiquait le dessin, Chopin la peinture (…) Beethoven se servait du piano, il ne le servait pas (…) Liszt assène. Chopin s’incline (…).

Aucun doute : E.E. Schmitt connaît la musique ; à travers Mme Palynska, il en parle de façon magistrale, avec des raccourcis étonnants.

Mais bien sûr, c’est aussi, grâce au portrait d’une Polonaise autoritaire, intransigeante et quelque peu obsédée, une vraie leçon de vie. Obsédée ? Oui : ses meilleurs auditeurs sont ses chats, qui portent des noms d’interprètes célèbres et… une araignée apprivoisée !

Eric-Emmanuel Schmitt, décidément, étonnera toujours : auteur prolixe, il touche à tout : le roman (et même la SF, avec son uchronie La part de l’autre), la nouvelle, le théâtre…

On sait aussi qu’il intervient parfois auprès de ses lecteurs en jouant du piano. On comprend mieux alors, après la lecture de cette longue confidence, quelle philosophie sous-tend l’œuvre de l’écrivain.

Après les « petits manuels de François Cheng » (relire ses Cinq Méditations sur la mort et sur la beauté), on a, en lisant Madame Pylinska, une étrange impression de continuité.

Lu dans sa version de poche, un livre bien mince (90 pages !) mais très dense, qui vous mobilisera une bonne heure et vous laissera… une sensation de bonheur !

CG

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