Cet été, avoir vu le film Cézanne et moi, de Danièle Thomson, avec les deux Guillaume (Canet et Galienne) dans les rôles du peintre et d’Emile Zola m’a donné l’envie de me plonger pour de bon dans les ouvrages de Cézanne que je possède.
Pour de bon ? Eh oui : quand on sort d’un musée, ou à la suite d’une émotion devant le tableau d’un peintre, on achète un ouvrage d’art… qu’on feuillette la plupart du temps, en s’attachant davantage aux illustrations qu’au texte – surtout quand ce dernier est conséquent.
Or, je me suis aperçu que j’avais, dans ma vie, acheté quatre ouvrages sur Cézanne sans jamais avoir lu le texte dans son intégralité sauf, peut-être, pour un petit volume toilé dont je ne parlerai pas ici.
Restent trois volumes.
* Bizarrement, le premier, Cézanne, n’a pas d’auteur. Ni même d’éditeur affiché malgré une belle jaquette représentant Les grandes baigneuses (1898/1905… mais lesquelles ? Cézanne en a peint plusieurs !)
Mince (moins de cent pages… non numérotées !), il comporte 25 pages de commentaires, dont 44 concernant 44 tableaux assez bien choisis, dont on a une reproduction pleine (voire double) page en couleurs.
C’est à la fin de l’ouvrage qu’on apprend qu’il a été publié en 1988 par le groupe italien Fabbri SPA de Milan et édité la même année en France par CELIV (Paris) et que le texte a été rédigé par Deanna Bernard. Livre bon marché, il offre toutefois une bonne introduction à la vie et l’œuvre de Cézanne pour ceux qui veulent en avoir un simple aperçu.
* Le deuxième, Cézanne, portrait, de Pascal Bonafoux, publié chez Hazan, offre lui aussi une belle jaquette, avec (comme l’indique le titre de l’ouvrage) l’un des nombreux autoportraits de l’artiste : Cézanne au chapeau melon (détail, 1883/1885).
Il s’agit ici d’un ouvrage d’art de près de 300 pages, avec un texte conséquent, judicieusement illustré au fil des commentaires par un grand nombre d’œuvres de Cézanne : brouillons photos d’époque, crayonnés et principales toiles du maître. Le problème, à mes yeux… c’est précisément le texte, d’un spécialiste pourtant reconnu : l’historien d’art Pascal Bonafoux.
En effet, l’auteur s’adresse au lecteur comme si ce dernier connaissait déjà fort bien la vie et l’œuvre de Cézanne. Ses trente chapitres abordent un aspect très particulier de la vie et de l’oeuvre du peintre : ses autoportraits, ses natures mortes, ses liens avec Emile Zola…
Aussi, le lecteur novice risque-t-il d’être très vite (et même aussitôt) perdu dans un flot de faits, de jugements et d’extraits de la correspondance du peintre. Hélas, on ne trouve aucune chronologie – ni même de liens ou de direction – dans un texte très personnel mais parfois assez obscur. Pour le lecteur qui ne sait pas qui est Joachim Gasquet ou Théodore Duret, aborder ce livre risque d’être un pensum !
J’ajoute, pour les amateurs intéressés, que je ne possède que le grand format, relié et toilé, publié en 1995. Ici est indiqué avec chaque reproduction le titre, les dates probables de sa création, ses dimensions et le lieu où se trouve l’original.
Il existe une version brochée plus récente – et une autre livrée avec un CD Rom.
Le troisième me semble le plus intéressant… et le plus complet.
Publié par Edita (éditeur suisse) avec une jaquette représentant son Fumeur de pipe ( ou L’homme à la pipe, 1891), il offre un commentaire chronologique (ouf !) de Serge George qui débute par la biographie complète et détaillée du peintre, sa période impressionniste (même s’il refusa de faire partie du groupe), sa période constructive (natures mortes – ah, les pommes !) puis synthétique (ses joueurs de cartes, ses baigneuses…) Bref, 70 pages passionnantes, la vie de Cézanne est un roman !
Le reste (l’ouvrage compte 336 pages), ce sont les reproductions de ses œuvres. Plusieurs centaines y sont rassemblées, là aussi selon un ordre chronologique assez théorique.
En effet, Cézanne, qui ne signait pas toujours ses tableaux, et il ne les datait jamais. On imagine aussi qu’il lui arrivait de mettre une toile de côté pour y revenir des mois ou des années plus tard (Vinci n’a jamais fait autrement).
Ah… faut-il, en un mot, rappeler l’essentiel de la vie et de l’œuvre de Cézanne ?
Né en 1839 dans une famille aisée, d’abord attiré par les lettres (alors que Zola, son ami d’enfance, brillait en dessin !), le jeune Cézanne refusa d’assurer la direction de la banque de son père. D’un caractère entier, sombre et fermé, il voulut se consacrer à la peinture. Exclusivement. Avec, en tête, l’objectif d’offrir une œuvre originale et forte.
Cézanne, c’était un peu le Gustave Flaubert de la peinture : provocateur, fort en gueule, indépendant, souvent prêt à en découdre, il avait des avis tranchés. Il ne fut l’homme que d’une seule femme, Hortense Piquet, dont il cacha longtemps l’existence à ses parents (sa mère, notamment, subsistait en secret à ses besoins), et qu’il épousera bien après lui avoir fait un enfant… prénommé Paul !
Cézanne voyagea beaucoup, déménagea souvent, n’allant à Paris que pour fréquenter ses pairs (Pissaro, notamment, qui toujours le soutint) et tenter d’exposer. Le plus souvent en vain : sa peinture déroutait. Amoureux de la nature, il finit par se fixer (entre autres) à l’Estaque – on sait sa passion pour La montagne Sainte Victoire - avant d’être enfin reconnu, à la fin de sa vie. Il mourra en peignant, comme il le souhaitait, en 1906.
Précurseur du cubisme et de l’art abstrait (certaines de ses toiles, comme celles d’un Manet, jouent avec les couleurs et les privilégient au-delà du motif), il fut reconnu comme notre père à tous par la plupart des peintres du XXe siècle, Picasso en tête.
On l’aura compris : si je lis des romans et des essais, il m’arrive aussi de me procurer des livres concernant un domaine particulier de nombreux arts : la musique (j’en reparlerai !), la peinture, mais aussi la danse, l’architecture… j’en passe !
Je connais les arguments qu’on va me servir : à quoi bon acheter un livre, aujourd’hui ? On a accès à toutes les œuvres d’art du monde sur Internet.
D’abord, c’est faux : certains tableaux appartiennent à des collections particulières – et le seul accès pour les voir, souvent, c’est le livre, on ne trouve pas tout sur Internet !
Ensuite, l’approche de la peinture est multiple… heureusement !
L’idéal, c’est de connaître et de fréquenter les peintres, les écouter (s’ils acceptent de s’exprimer !) et les voir à l’œuvre. C’est aussi, bien sûr, de fréquenter les musées. Une chance : ils redeviennent à la mode ! J’ai connu l’époque, dans les années soixante, où les musées étaient quasiment déserts : Guimet, Carnavalet – et même le Musée de l’homme, l’Orangerie et le Louvre : on pouvait approcher La Joconde sans la foule… incroyable !
Mais le musée, c’est une visite limitée dans le temps. Elle ne remplace pas l’ouvrage d’art qu’on peut examiner à loisir – et lire dans le calme et l’intimité les commentaires d’un spécialiste, loin des visiteurs affublés d’un appareil qui diffuse des informations sur l’œuvre qu’on admire le temps d’être bousculé – enfin quoi, il faut avancer !
Des ouvrages sur Cézanne, il en existe des dizaines – peut-être même des centaines !
Les « critiques » de ces ouvrages particuliers ne sont là que pour vous convaincre d’aller plus loin, et de ne pas négliger, en matière de peinture, les « livres papier » !
Certains, chez Skira, sont des œuvres d’art à eux seuls !
CG