Le 4 septembre 1942, l’écrivain et académicien Paul-Jean Husson adresse un long courrier au Sturmbannführer de la Kommandantur de la ville d’Andigny, où il vit.
Dans cette véritable confession, il explique comment, après la mort de son épouse et celle de leur fille aînée, il a eu un différend idéologique avec son fils Olivier, qui a rejoint Londres et la Résistance.
Paul-Jean Husson est en effet un collaborateur et antisémite convaincu ; il fréquente d’ailleurs Drieu La Rochelle, Jacques Chardonne, Brasillach, et écrit parfois à Philippe Pétain puisque le nouveau « père de la patrie » a été autrefois académicien, lui aussi.
Mais voilà : Olivier s’est marié avec une jeune et jolie blonde que Paul-Jean a longtemps soupçonné d’être juive, avant d’en avoir la confirmation à la suite d’une enquête.
Cette Allemande, Ilse Wolffsohn, a été, quelques années auparavant, une actrice célèbre.
Depuis les lois antisémites et son mariage, elle cache soigneusement ses origines et ne fréquente plus ses parents, qui ont d’ailleurs judicieusement disparu.
Le problème, c’est que Paul-Jean Husson est très vite tombé amoureux d’Ilse – il se demande d’ailleurs si elle n’a pas épousé Olivier autant par amour… que pour se forger une nouvelle identité !
Ilse donne vite le jour à deux enfants ( juifs, juifs, songe tragiquement le narrateur ! ).
Après le départ d’Olivier, elle fréquente de plus en plus souvent la villa dans laquelle vit son ( riche et célèbre ) beau-père, à Andigny…
Bien entendu, le lecteur s’interroge très vite : puisque Ilse est juive et que le narrateur l’aime, comment se fait-il qu’il en fasse la confidence au responsable allemand ( et nazi ) de cette petite ville de Normandie ? Il faudra attendre les cent dernières pages, trépidantes, sanglantes et dramatiques pour le comprendre.
Sous couvert d’une longue lettre ( de 250 pages ! ), l’auteur, Romain Slocombe, nous livre le portrait d’un écrivain antisémite et collaborateur convaincu torturé par un dilemme : celle qu’il aime est juive – et, par surcroît, c’est sa belle-fille. Ce qui frappe le lecteur, c’est d’ailleurs le luxe de détails dont le narrateur fait preuve, avec un personnage dans la peau duquel on doit se mettre alors que ses opinions affichées sont… insoutenables !
A cet égard, ce récit est déjà une réussite teintée d’ambiguïté : n’y a-t-il pas le risque que ces arguments affichés et démontrés ne finissent par convaincre un lecteur un peu influençable ?
Qu’on se rassure : ce n’est évidemment pas l’objectif de Romain Slocombe : il est lui-même d’ascendance juive – et il cumule les talents : il est aussi réalisateur, traducteur, illustrateur, auteur de BD et photographe. Aux antipodes du Front National, il a ( dès 2012 ) soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon ! D’autre part, les scènes finales, presque insoutenables, rectifient le tir d’une façon spectaculaire.
Un autre aspect majeur de Monsieur le Commandant est la peinture précise d’une certaine France des années 40 ( très exactement les années 40, 41 et 42 ), une peinture si détaillée qu’on a parfois l’impression que Paul-Jean Husson a existé, et que l’auteur a utilisé un écrivain réel pour en changer le nom. Les références historiques ( ah… les scènes de la débâcle et de l’exode… on croirait que Romain Slocombe – né en 1953 ! – les a vécues… ) raviront les amateurs d’Histoire et… de littérature. Parce que ce courrier éclaire, ici ou là, l’attitude de nombreux écrivains – Céline en tête, certes, mais aussi André Gide, Henri de Montherlant, Sacha Guitry ( j’en passe ), sans parler de certains éditeurs ( Denoël, Gallimard ) dont les responsables littéraires ont été oubliés… ou blanchis.
Parenthèse utile et édifiante : ce récit a été dédié à… Pascal Garnier, dont j’ai dit ici même le plus grand bien avant qu’il ne nous quitte prématurément/
En dépit ( ou à cause ? ) d’un contexte historique et social remarquablement restitué, ce roman est passionnant et exemplaire. Si vous avez calé devant Les Bienveillantes ( difficile de ne pas faire le rapprochement ! ), rassurez-vous : vous lirez Monsieur le Commandant d’une traite, quitte à mettre un certain temps pour vous remettre des émotions qu’il vous procurera...