En transit à Milan, le narrateur ( Jean, un journaliste ) évoque le suicide récent d’une jeune femme ( Ingrid Theyrsen ) dans l’hôtel où il se trouvait.
Elle venait de Paris et se rendait à Capri.
Or, Jean avait rendez-vous avec cette femme. Il avait décidé de disparaître au lieu de prendre comme prévu ( et comme il l’avait dit à tous ceux qu’il connaissait ) l’avion pour Rio de Janeiro. En réalité, il se rend à Paris…
Disparaître ? Oui !
Marié depuis 18 ans avec Annette ( une danoise ), Jean avait décidé de changer de vie. Peut-être, entre autres, parce que sa femme le trompe avec son ami Cavanaugh – occasionnellement, elle trompe aussi son amant avec un jeune Kabyle de leurs amis.
Jean va donc se réfugier dans un hôtel près de la Porte Dorée, à Paris.
Là, dans un long flash back, il évoque le souvenir de sa première rencontre « avec Rigaud et sa jeune protégée, Ingrid Teyrsen », qui l’ont autrefois pris en stop et emmené avec eux sur la Riviera, près de Saint Tropez. Une rencontre qui va marquer Jean à jamais et l’entraîner dans une étonnante enquête sur le passé d’Ingrid, une jeune Juive de 16 ans, fille d’un médecin autrichien exilé à Paris pendant l’occupation.
Car Ingrid elle aussi a fui – pour éviter une rafle – et elle a été recueillie par Rigaud, à l’époque où il était jeune et squattait un appartement réquisitionné à un Juif...
Etrange... je me battais ( il m’arrive de le faire ) avec la première partie de L’Homme sans qualités de Robert Musil – l’un des rares récits qui me résiste encore – quand, pour me laver la tête, j’ai choisi de lire ce Modiano, l’un des 2 ou 300 ouvrages achetés et en souffrance depuis 15 ou 20 ans.
A l’époque, je m’en souviens, il avait fait grand bruit puisqu’à l’origine de ce livre existe un lien évident avec un fait réel : la disparition de Dora Bruder ( publié en 1997, un grand succès de l’auteur ) devenue ici Ingrid Teyrsen.
Je suis donc passé de Musil à Modiano... quelle rupture !
Aux antipodes des digressions philosophiques de Robert Musil, Modiano m’a fait l’effet d’une eau fraîche : un style clair, des phrases simples et ( loin, très loin de Vienne ! ) des lieux familiers, ceux de ma propre enfance : le boulevard Ornano, le métro Barbès, le cinéma le Montcalm, la rue de l’Atlas, l’avenue Simon Bolivar...
Impression agréable mais trompeuse.
Parce que, certes, un Modiano se lit facilement, d’une traite ; mais sa simplicité apparente dissimule une stupéfiante complexité – temporelle, géographique et humaine. Ce Voyage de noces ( on notera l’absence significative d’article ! ) a un titre allégorique et funèbre : en fuite sur la Côte en 1942, Rigaud et sa protégée Ingrid se réfugient dans un hôtel quasiment désert, puis dans une propriété... en faisant croire à tous qu’ils sont mariés, et « en voyage de noces ». Un faux voyage, de fausses noces qui dissimulent d’autres voyages et d’autres noces : les retrouvailles imaginaires, au-delà du temps, avec Dora Bruder disparue et recherchée ( on connaît l’anecdote de cet avis de recherche qui a tant inspiré Modiano ! )
Le souvenir d’Ingrid obsède en effet le narrateur. Et ce roman cache en vérité une enquête : géographique, historique et... identitaire.
Un récit étrange, attachant, aux entrées multiples, dont la terrifiante réalité ( l’occupation, les rafles... ) est noyée dans une narration bien plus complexe qu’il n’y paraît.
CG