Je vais mieux, David Foenkinos, Gallimard

La narrateur mène avec sa femme Elise une vie de couple paisible, même s’il vit assez mal le séjour étudiant d’un an de leur fils à New-York et le mariage de leur fille avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Lors d’une après-midi passée avec leurs amis Edouard et sa femme Sylvie ( dont le narrateur a été autrefois amoureux ), il ressent une douleur dans le dos. Qui persiste. S’installe. Et dont l’intensité varie mystérieusement au fil des jours.

Il se décide à consulter, passe une radio, puis un IRM – mais on ne décèle aucune cause à sa douleur. Edouard, qui est dentiste, lui recommande un ostéopathe. Sans effet. Notre héros contacte une psychologue ( chez laquelle il rencontre une jeune femme attachante promise à un brillant avenir avec lui ) puis une magnétiseuse qui lui affirme que son mal n’est pas d’ordre physique.

Entre-temps, le narrateur, architecte, se fait doubler et duper par un collègue hypocrite.

Malgré le soutien de sa fidèle secrétaire, il finira par se faire licencier pour avoir agressé sans regret le coupable. Un règlement de compte qui, miracle, interrompt son mal de dos !

Il comprend alors que jusque là, il a « pris sur lui », comme on dit : il a sans cesse courbé l’échine : devant son ami Edouard, son patron Audibert, son père qui, pendant son enfance, n’a jamais cessé de le dénigrer ( et il continue ! ) – et, au fond, devant son épouse… qui lui annonce un beau jour qu’elle veut divorcer. Une décision qui va lui faire quitter son foyer, dormir à l’hôtel et bientôt bouleverser sa vie sentimentale et professionnelle.

Après Le potentiel érotique de ma femme ( voir ma critique du 11/11/2013 ), Foenkinos a connu un joli succès avec La délicatesse ( voir ma critique du 14/12/2011 ) et a été consacré avec son récent Charlotte. Etrangement, certains de ses romans sont restés dans l’ombre.

Je vais mieux a des allures autobiographiques : le narrateur, qui ne révèle jamais son prénom, se voit déclarer ( p. 200 ) par son père, à propos de son mal de dos : « Tu pourrais parler pendant des heures de ton dos (…) Tu serais capable d’en faire un roman ! » . Et son titre, Je vais mieux, est en totale contradiction avec une douleur qu’il cache, qu’il négocie et dont il tente en vain de déceler l’origine. Il offre ainsi au lecteur un récit à la fois confidentiel, à l’humour décalé, une sorte de journal aveugle et en apparence improvisé. En effet, je me suis demandé si, en rédigeant Je vais mieux, Foenkinos ne savait pas lui-même où il allait.

Faux : malgré une conclusion un peu déroutante, le récit ( en cinq parties dont le contenu est de plus en plus réduit ) est en réalité très construit,. Parce que le lecteur ne prend que peu à peu conscience des faiblesses du narrateur : c’est un lent, un velléitaire, un gentil, qui fait profil bas et fuit les conflits. Il faudra un coup de gueule ( et de poing ) envers son indélicat collègue pour en prendre soudain conscience. Pourtant, de nombreux signaux auraient pu l’alerter : le timide soutien de sa secrétaire Mathilde, une rivalité mal dissimulée avec son ami Edouard, un repas ( raté, comme d’habitude ) avec ses parents, la mort de son beau-père – qui l’affecte ( trop ) peu. Et surtout ses innombrables contacts avec des praticiens divers qui lui démontrent que son mal est psychosomatique.

Un bon résumé du roman pourrait être ce dialogue pince sans rire de la page 163 :

  • Ca ne va pas trop.

  • Ah bon ? Rien de grave, j’espère ?

  • Non… non… c’est jute que j’ai perdu mon travail… qu’Elise veut divorcer… et puis je souffre toujours le martyre avec mon dos…

Ce récit aussi léger que la chanson Tout va très bien, Madame la marquise se lit comme on boit du petit lait : sans effort, avec un plaisir d’autant plus évident qu’il est teinté d’un humour permanent et semé d’aphorismes ou de jugement moins banals qu’il n’y paraît :

« parler est un palliatif au passage à l’acte ( p. 50 )»

« j’étais comme un VRP de ma douleur ( p. 143 ) »

« On devrait vivre sa vie à l’envers pour ne pas la rater ( p. 171 ) »

« Il faut perdre les gens pour enfin les regarder »

« Les femmes sont en avance sur les hommes, elles entrent toujours les premières dans l’ère du concret ( p. 180 ) »

« c’est très difficile de constater le manque de bonheur quand on n’est pas dans le malheur ( p. 181 )» 

« La vie moderne est incompatible avec le sommeil. On ne sait plus se mettre sur pause » (p. 216 ) »

« Etre ami avec quelqu’un, c’est ne pas coucher avec sa femme ( p. 219 ) »

« Elle était trop jeune pour être vieille mais déjà trop vieille pour être jeune ( p. 221 ) »

La liste pourrait être aussi longue que… non pas «  La liste de mes envies » ( clin d’œil de Foenkinos au roman de Grégoire Delacourt, voir ma fiche du 22/04/2012 ) mais la liste des frustrations que le narrateur finit par égrener, au début de la quatrième partie.

Conscient que « notre douleur serait la somme de nos riens ratés » ( p. 260 ), le narrateur en conclut que « pour ne pas avoir mal au dos, il ,ne faut pas garder les choses en soi ».

330 pages lues d’une traite dans La Blanche de Gallimard.

A offrir à ceux qui en ont plein le dos et ont besoin d’une salutaire séance de thérapie récréative.


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