En descendant chercher son courrier, Jane trouve un paquet anonyme : le manuscrit d’un récit intitulé Le problème avec Jane… et qui relate avec une exactitude stupéfiante les neuf dernières années de sa propre vie. Une biographie qui, elle le constate aussitôt, s’achève sur les mots : « En bas elle trouva le paquet avec le manuscrit ».
Stupéfaite et intriguée, elle le lit.
Jeune enseignante célibataire à l’université Devayne, aux USA, Jane va vivre quelques années avec Josh, un étudiant de son âge ( 30 ans ). Elle a noué une relation ambiguë avec Norman Bronzino, un collègue marié, égoïste et radin qui a deux fois son âge. Elle tombe enfin amoureuse du bel Eric Blackwood, un jeune enseignant brillant, qu’elle épouse.
Mais des difficultés s’accumulent : la grand-mère d’Eric meurt, le couple va vivre un temps avec Nancy, la mère d’Eric. Et surtout, Jane voit à Devayne sa carrière bloquée : pour obtenir de l’avancement, il faudrait que soit publiée sa thèse sur Flaubert, dont aucun éditeur ne veut.
Eric et elle vivent bientôt séparés pour des raisons professionnelles ; et Jane devient l’amie ( pas l’amante ) de Francisco, un prof ( marié ) de son âge récemment promu à Devayne, un confident qui devient jaloux quand elle lui confie qu’elle s’est amourachée de Torben, un jeune écrivain danois. Irrité, Eric s’éloigne – avant de se séparer de Jane.
C’est un déchirement.
Mais pour Jane, la vie continue… et au fil de la lecture de sa propre existence, son agacement se transforme en irritation : qui, mais qui a pu rédiger ce texte aussi précis ?
Bien entendu, en lisant sa propre histoire ( une idée géniale que cette double mise en abyme ! ), Jane se demande qui peut connaître autant de détails intimes sur sa vie : son premier amour ( raté ) avec Eyal, sa longue liaison avec Josh, les circonstances ( difficiles ) dans lesquelles elle a dû avorter du bébé qu’Eric lui avait fait, et ne voulait pas garder ?
L’auteur de ce manuscrit serait-il Josh ? Son amie et confidente Allison ? Ou encore Ruth, l’étudiante avec laquelle elle a longtemps partagé une chambre à Paris ? Ou bien David Clark, l’étudiant-écrivain amateur, qui lui a un jour révélé qu’il voyait ( p. 186 ) « un lien étroit entre l’écriture et la couture ».
Le lecteur attentif est encore plus perplexe que Jane. Car personne ne peut connaître les détails aussi intimes de la vie de Jane, au point d’imaginer jusqu’à ses états d’âme !
Le plus stupéfiant… c’est que la réponse est livrée à Jane en même temps qu’au lecteur : dans les dernières pages ! Et là, on est bluffé par la construction du roman, digne d’un vrai roman policier. Ajoutons que Catherine Cusset parvient à tenir en haleine son lecteur de la première à la dernière page, avec son style d’une densité et d’une efficacité hors pair.
Agrégée, d’origine à la fois juive et bretonne ( ! ), dotée d’un frère comédien et d’un autre philosophe, partagée entre la France et New York ( lire La haine de la famille ! ) Catherine Cusset nourrit son œuvre avec des morceaux ( modifiés ) de sa propre vie ; elle sait de quoi elle parle – et en parle fort bien, au point qu’on se demande comment le Goncourt lui a échappé.
S’il existe un lien entre l’écriture et la couture, Le problème avec Jane est sans aucun doute l’œuvre d’un grand couturier ! Un vrai, un grand plaisir de lecture que les amateurs éclairés ( et les universitaires, dont les travers sont ici disséqués sans pitié ! ) dégusteront avec complicité !
Lu dans sa ( sobre et magnifique ) version classique. Un NRF à lire, à faire lire, à offrir et à recommander.