Le silence des rives, Roger Judenne

1940… L’exode.

Lucien, Marthe Bailly et toute leur famille fuient et tentent de franchir la Loire avec Antoinette dite Toinette, leur fille mongolienne de 12 ans. A la suite du bombardement d’un pont, Toinette est séparée des siens. Incapable de livrer son nom de famille précis et celui du village de ses parents, elle est perdue sans son cher « Papou » ; elle est provisoirement adoptée par d’autres exilés avant d’être recueillie par les soeurs de St Joseph qui, incapables de la gérer, la confient à un asile d’aliénés – comme c’était le cas pour tous les enfants « différents ».

Une fois la guerre perdue et l’armistice signé, Lucien ( dont la femme Marthe est morte pendant le bombardement ) retrouve sa ferme, sa belle-fille ( dont le mari, son fils, est prisonnier en Allemagne )… mais pas Toinette.

Au village, on persuade le père de Toinette que sa fille est sans doute morte pendant le bombardement qui a tué Marthe ; mais Lucien, qui adore sa fille, la recherche activement, il s’accroche à un dernier espoir malgré les mois qui passent…

Dans le même temps, après la défaite, le médecin-capitaine Roger Vanacker, trop âgé pour être déporté prisonnier en Allemagne, est nommé ( provisoirement ) directeur de l’asile où vit désormais Toinette. Veuf d’une infirmière Hollandaise décédée en 14-18, il se voit confier par un collègue une jeune Allemande juive et communiste ; Clothilda a fui son pays et s’est réfugiée en France. Pour elle, le seul moyen d’échapper aux contrôles de la police française est de passer pour une grande dépressive. Hélas, avec le temps qui passe, la complicité du régime de Vichy et les indélicatesses d’un personnel réduit à la famine ( que de vols, dans les hôpitaux ! ) Roger Vanacker ne fait que gérer la pénurie : à l’asile, on maque cruellement de bois et de nourriture – normal, puisque cette population de « fous » constitue la lie de l’humanité. Sa disparition ne peut être que bénéfique pour l’amélioration de la race humaine !

Malade, sous-alimentée, Toinette semble destinée à mourir quand Roger Vanacker découvre une piste ( le nom du docteur de famille, Péchard, dont elle se souvient ! ) qui pourrait lui permettre de retrouver le village où elle vivait ; en même temps, il apprend que les autorités de Vichy ont nommé un authentique médecin psychiatre ( tout dévoué à Vichy ) qui va débarquer d’un jour à l’autre, accompagné de gendarmes dont la mission est de vérifier les identités des malades… Clothilda va être démasquée !

Auteur pour la jeunesse primé et consacré, ancien enseignant ( et l’un de mes amis ! ) Roger Judenne est hélas moins connu pour ses romans de terroir ( plutôt destinés aux adultes et tous publiés chez De Borée ).

Très documenté, son beau récit est d’abord un roman fort et émouvant, qui séduira à la fois les adultes qui connaissent ( ou ont vécu ) cette période, et les adolescents.

C’est aussi, en arrière-plan permanent, un plaidoyer qui aborde le sort mal connu des aliénés et autres handicapés pendant l’occupation, un sort qui empira avec la publication de l’ouvrage d’Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, qui prônait l’eugénisme et… l’élimination des êtres humains que ce Prix Nobel de médecine ne jugeait pas dignes de vivre !

En 1940, cette thèse apportait opportunément de l’eau au moulin des nazis.

Le style de Roger Judenne se fait aussi discret que l’homme : simple, retenu, efficace et sans pathos, il permet au lecteur d’entrer aussitôt dans l’action et de frémir aux périls de ses héros, pétris d’une humanité touchante – preuve qu’on peut faire de la bonne littérature avec de bons sentiments !

( Magnifique ouvrage en format géant, belle et large typographie, photo de couverture conforme à l’histoire - et à l’Histoire - quatre cents pages qu’on lit avec aisance et plaisir )


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