Trente ans de littérature jeunesse … anéantis ?

On le sait : de récentes mesures ministérielles ont récemment imposé aux enseignants des collèges de restreindre - voire de supprimer – la lecture des textes dits «  de littérature jeunesse » pour privilégier celle… des classiques.

Prenant le train en marche, des gens importants de la littérature, écrivains ( comme Danièle Sallenave ) ou critiques spécialisés ( comme François Busnel ) tirent à boulets rouges sur cette littérature porteuse de tous les maux, suspecte de véhiculer une médiocrité littéraire obligée. Ces pourfendeurs affirment d’ailleurs qu’eux même ont fort bien grandi avec Robinson Crusoé, Jack London, Stevenson, Maupassant – et même L’Iliade et l’Odyssée !

Pendant plusieurs dizaines d’années, des spécialistes, des critiques, des enseignants, des bibliothécaires ( et des auteurs ) ont tenté de montrer, et ont même démontré, combien certains textes dits « jeunesse » permettaient de faire entrer en littérature des enfants qui, jusque là, en étaient plutôt rebutés avec le passage obligé du Père Goriot de Balzac en classe de Cinquième.

Beaucoup croyaient ce combat enfin gagné.

Ils se trompaient : un simple texte de loi, quelques instructions ministérielles ont suffi pour renverser la vapeur. Les derniers chiffres fournis par les éditeurs sont éloquents : l’achat des textes pour la jeunesse, notamment par les collèges, a chuté de façon vertigineuse ! On élimine Brisou-Pellen et Odile Weulersse au profit des valeurs sûres comme Maupassant et Zola.

Au dernier salon de Montreuil, le bruit court que les ventes en jeunesse et la fréquentation ont chuté de 20 à 25%.

Quant aux textes jeunesse dit « prescrits » ( c’est à dire recommandés par les instructions des années précédentes ), leurs ventes a chuté d’une façon vertigineuse ! Si l’on ajoute aux conséquences de ces nouvelles directives les subventions des conseils généraux plutôt orientées vers les tableaux électroniques et l’achat d’ordinateurs que vers les livres, on comprendra que la situation du Livre en général et du Livre Jeunesse en particulier devienne… préoccupante !

J’en entends certains ricaner : « On tue la poule aux œufs d’or ! Les éditeurs et les auteurs jeunesse vont moins vendre, voilà pourquoi ils pleurent ! »

En-dehors des questions financières, les plus grands perdants seront sûrement… les lecteurs. Les jeunes lecteurs. Donc, à terme, les lecteurs en général, ceux qui plus tard auraient lu Gracq, Proust et Jean-Philippe Toussaint !

Désormais, le fossé (qu’il avait fallu des dizaines d’années à combler ! ) se creusera encore plus entre les jeunes gens rebutés par des lectures difficiles, accessibles à une élite, attirés par les écrans – et une frange de plus en plus réduite de jeunes lecteurs bien armés : ceux qui, sans nul doute, s’orienteront vers Prépa, HEC, l’ENA ou Polytechnique. Ceux qui savent, de gré ou de force, que la culture et la réflexion passent davantage par les écrits que par les écrans.

Vision pessimiste ?

J’aimerais me tromper.

Mais ici et là fleurissent à nouveau les discours de ceux qui ne jurent que par la vraie, la grande littérature, accessible bien entendu dès le CP. Ceux-là, bien entendu, n’ont jamais approché que de loin une littérature jeunesse où l’on trouve certes le pire, mais aussi le meilleur – comme dans la littérature vieillesse, d’ailleurs !

CG

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