« Robert Schumann commença à aimer Clara Wieck quand il avait dix-huit ans, et elle huit. Il ne parvint à l’épouser qu’après une longue lutte », nous dit Michel Schneiderdans sa préface. Ces deux phrases à elles seules pourraient résumer les dix ans ( 1830 -1840 ) de lettres choisies qui suivent. Pour apprécier ces échanges ( ceux de Clara et Robert, certes, mais parfois aussi les courriers du père de Clara, de sa mère naturelle – son père s’était remarié – voire une lettre, en français, de Franz Liszt ! ), il faut bien sûr connaître la situation des protagonistes, le contexte historique… et surtout ( c’est mon cas ) aimer la musique !
La musique, en effet, est la toile de fond permanente de cette correspondance.
Normal : les parents de Clara étaient musiciens ; et Robert lui-même a longtemps été l’élève du père Wieck avant de devenir compositeur. Quant à Clara, élève surdouée, elle a été, très jeune, une pianiste de renom avant de renoncer à une possible carrière de compositeur.
Comme le relève Michel Schneider : « En 1830 ( Clara a onze ans ), Robert ( il en a dix-neuf ) comprend que la pianiste, c’est elle ; et il s’arrange pour s’abîmer tellement la main ( en 1833 ) qu‘il sera forcé de devenir compositeur et non interprète. A l’inverse, elle renoncera à composer parce qu’elle sait que le génie est en lui et qu’elle devra faire vivre avec ses doigts la maison Schumann. »
Un seul obstacle – mais de taille : Wieck, le père de Clara, qui s’oppose à leur union.
Très vite, avec quelques revirements puis une obstination qui ira jusqu’aux insultes et à la délation ( il accusera Robert Schumann d’ivrognerie ), il va contrecarrer l’amour partagé des deux jeunes gens et interdira leur union.
C’est grâce au jugement d’un tribunal que le couple finira par avoir gain de cause !
Si le père de Clara reconnaît les talents de son ancien élève, il le juge incapable de gagner sa vie ; il pense que l’interprète géniale qu’est sa fille est indigne de ce garçon. Aussi, les dix ans d’échanges qui vont suivre auront un leitmotiv permanent : comment convaincre le père Wiek que Robert est un composteur authentique et que sa fille et lui sont faits l’un pour l’autre ?
On sourira souvent devant l’ingénuité de cette passion partagée, les disputes éphémères, les serments romantiques ; devant la culpabilité et les revirements d’une Clara qui aime son père et est souvent épouvantée par son comportement. Ces lettres nous apprennent aussi que ce qui a longtemps dopé Robert Schumann, c’est sa passion pour Clara.
En effet, c’est avant son mariage ( en 1840 ) qu’il a sans doute livré le meilleur de son œuvre, avec l’appui et l’admiration de ses pairs comme Chopin, Mendelssohn et Franz Liszt.
Clara évoque ses tournées triomphales, ses concerts, ses succès ; et nous en apprenons beaucoup sur les comportements et les goûts de l’époque : les jeunes Schumann tentent d’imposer Bach ( encore peu interprété près d’un siècle après sa mort ! ) et un Schubert dont le génie commence à être reconnu alors qu’il est mort dans la misère dix ans auparavant.
En revanche, écrit Clara ( le 12 novembre 1837 ) si « on connaît tout de Chopin et on le comprend ( … ), Mendelssohn est presque inconnu. » La vedette de l’époque, c’est Thalberg – en 2015, qui s’en souvient ?
Robert, lui, parle de ses compositions, de ses états d’âme. Pour Clara et Robert, s’ils veulent conforter leur célébrité ( ils n’ambitionnent pas forcément la gloire ) c’est surtout pour que le père de Clara finisse par plier !
La suite… eh bien on ne la connaît pas puisque nos deux tourtereaux, enfin mariés… ne correspondent plus !
Hélas, les quatorze années qui vont suivre seront difficiles…
Le couple aura huit enfants, mais Robert connaîtra une fin dramatique ; il devra être interné. Peut-être sent-il déjà la folie le guetter puisqu’il écrit le 11 février 1868 : « Pendant des années, j’ai roulé les pensées le plus lugubres, et je parvenais avec une maîtrise sans égale à imaginer ce que le vie peut offrir de plus sinistre et de plus désespéré. J’en étais moi-même effrayé, et je pensais souvent m’arracher à cet enfer. »
Schumann aimera Clara jusqu’au bout, sans doute « à la folie ».
Mais ce ne sera pas l’inverse, « comme si la folie de Robert avait éteint l’amour de Clara ».
Le 27 février 1854, Robert fait une tentative de suicide en se jetant dans le Rhin.
Brahms arrive le 3 mars. Clara ne reverra son époux que le 23 juillet 1856, six jours avant sa mort. Pour Clara, c’est le début – en vérité la suite – d’une longue liaison ( platonique ? ) avec Brahms... Elle s’éteindra en 1896 après avoir défendu toute sa vie l’œuvre de son mari, et exigé d’être inhumée à côté de lui.
CG
1 De Jean Louis Bobin -
Lors d'un séjour aux Etats Unis, j'étais tombé sur un article du New York Times écrit par un médecin sur la maladie de Robert Schumann. Pour l'auteur, le diagnostic ne faisait aucun doute. La paralysie de la main, les états dépressifs, l'internement final étaient caractéristiques de la syphilis sans qu'il puisse en préciser l'origine: héréditaire ou conséquence d'un péché de jeunesse. On comprend mieux certaines réticences du père Wieck qui devait être au courant. Leipzig était à l'époque une ville de 40 000 habitants, petite suivant nos standards, et dans la population cultivée, dont les étudiants, tout devait se savoir y compris ce dont on ne parlait pas ouvertement, les MST étant considérées comme honteuses. L'ivrognerie avait bon dos même si les beuveries d'étudiants germaniques sont entrées dans la légende.
Il n'empêche. L'amour de Robert et de Clara nous a valu de la belle musique. J'exclus "le gai laboureur" que j'ai massacré comme tant de petits français qui prenaient des leçons de piano. J'ai entendu Yuri Boukoff excellent dans les études symphoniques. Et je regrette que trop souvent les interprètes ne donnent pas au troisième mouvement du concerto pour piano (qui est d'après 1840) un caractère résolument dansant.
2 De christian grenier -
Cher Jean-Louis Bobin,
J'ignorais que le grand physicien que vous êtes - avec lequel j'ai eu l'honneur d'intervenir à Scientilivres dimanche dernier - était aussi féru de musique !
Un très grand merci pour ces précisions édifiantes.
Il va de soi que le mot syphilis n'est jamais prononcé ( ou plutôt écrit ! ) dans la correspondance de cet ouvrage. Mais le père Wieck a dû en parler à sa fille...
Cette maladie faisait bien des ravages parmi les musiciens.
Nul doute que Schubert, quelques années auparavant, avait succombé au même mal... et même fréquenté les mêmes demoiselles !
Pour compléter votre judicieuse remarque sur l'interprétation de Yuri Boukoff, je recommanderais aux amateurs des oeuvres de Schumann l'enregistrement de la jeune Yuja Wang des Etudes symponiques... jamais une interprétation ne m'avait autant impressionné par sa clarté, sa richesse, sa finesse - et sa force.
Une vraie (re)découverte !
Encore merci pour votre mail;
Pour vous, Cher Jean-Louis Bobin,ma vive amitié !
Christian Grenier.