L’ESPACE PREND LA FORME DE MON REGARD, Hubert Reeves, Le Seuil

A 60 ans, en Sicile, au cœur de la nature et non loin de la mer, l’auteur réfléchit à la fragilité de l’Homme face à la nature, au cosmos et au Temps. Il nous fait partager sa fascination, le « vertige de cette formidable aventure de cette vie sur la Terre. »

Inspiré d’un vers de Paul Eluard, ce titre souligne l’anthropomorphisme de notre regard :

Et si l’univers n’existait que parce que nous le contemplons ?

Question philosophique plus pertinente qu’il n’y paraît, à laquelle s’ajoute, chez Reeves, une autre interrogation angoissante et liée à la première : y a-t-il, dans l’Univers, d’autres intelligences capables d’appréhender le cosmos de la même façon que nous ?

Notre univers visible et perceptible est-il vu et perçu ailleurs et par d’autres ?

Reeves se permet de citer une allégorie poétique ( de Gaston Bachelard ) qui pose la même ( ? ) question - autrement :

« J’ai vu une herbe folle.

Quand j’ai su son nom,

Je l’ai trouvée plus belle.

Elle est devenue plus belle d’être vue et plus belle encore d’être nommée. Depuis que Monet a peint les nénuphars d’Ile-de-France, ils sont devenus plus beaux, plus grands. »

Ainsi, la science s’interroge en se mêlant de linguistique – parce que cette affirmation traduit l’objectif de toute œuvre artistique : nommer, traduire, exprimer ( par les mots, la musique, le peinture… ) ce qui nous entoure, que ce soit de l’ordre du réel ou de la pensée…

Ceux qui ( comme moi ) ont lu les essais d’Hubert Reeves sur l’astronomie et l’univers ne seront pas étonnés que notre astrophysicien québécois préféré associe astronomie et philosophie.

Ses réflexions aiguës, profondes, émaillées de descriptions poétiques ( et de quelques photos en noir et blanc ) sont un tremplin pour la pensée scientifique… et l’imaginaire en général.

Hubert Reeves, on le sait, est un humaniste. Son essai a le pouvoir étrange d’apaiser, de rendre lucide, humble et ( paradoxalement ) euphorique.

En confidence, Reeves se souvient avoir menti à sa mère, en se penchant sur elle, sur son lit de mort, pour lui affirmer : « tu vas bientôt aller mieux ». Il le regrette ; pourquoi ne lui a-t-il pas déclaré : Tu vas mourir, et c’est le moment d’en parler. Pas d’accord ? La question mérite réflexion…

Science ou philosophie ?

A l’image des grands savants grecs, cette frontière est vite franchie.

Modestement, cette invitation ( savante et poétique ) à la sagesse et à la sérénité nous invite à « capturer un instant d’harmonie », à nous émerveiller d’être là – et à pouvoir prendre conscience que l’Homme est le fruit miraculeux d’une évolution lente et complexe, dont nous ne sommes, hélas, qu’un hasard provisoire.

CG

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