LA VIE EN SOURDINE, David Lodge, Rivages

Double à peine modifié de David Lodge, Desmond, prof d’université ( et de linguistique ) récemment retraité, rédige son journal intime et confie au lecteur les conséquences du problème qui, depuis des années, lui gâche l’existence : il devient sourd, un handicap qui, malgré le port ( acrobatique ) de discrètes prothèses auditives, est l’objet de mille et un tracas quotidiens…

A la suite d’u cocktail et d’un malentendu ( à tous les sens du terme ), il devient le tuteur illégal et clandestin d’Alex Loom, une étudiante trentenaire très collante au comportement ambigu qui rédige une thèse sur « les lettres des suicidés ». Eh oui : Desmond doit cacher bien malgré lui cette relation professionnelle à Winifred ( dite Fred ), sa seconde épouse divorcée ( lui-même est veuf ) que la surdité de son mari encombre, irrite et compromet de plus en plus l’avenir de son entreprise : Décor ( aménagement et ameublement d’appartements luxueux ), dont elle partage la responsabilité avec sa vieille amie et complice Jakki.

Autre handicap de Desmond : son père ( sourd, lui aussi ! ), un vieillard avare et têtu qui se néglige et refuse de quitter sa maison et ses ( mauvaises ) habitudes.

Comment Desmond va-t-il…

1/ se débarrasser de cette « groupie doctorante, importune et peu scrupuleuse » ( page 333 )

2/ apaiser son épouse et faire avec elle la paix ( professionnelle et sexuelle )

3/ convaincre son père, atteint peu à peu de démence sénile, d’entrer dans une maison de retraite ?

A lire ce résumé, on pourrait croire que La vie en sourdine est un récit banal et plutôt tragique. Il n’en est rien !

C’est un roman trépidant et drôle – peut-être parce que je partage avec David Lodge un léger début de surdité et qu’il m’arrive de vivre les inconvénients et quiproquos qui font tout le sel de cette lecture. Mai aussi parce que, comme l’indique son titre ( en anglais : Deaf sentence ), ce handicap en apparence mineur est le leit motiv, le fil conducteur des 400 pages de ce récit !

Bien sûr, Desmond prend souvent un mot pour un autre ( félicitations aux traducteurs ), mais c’est surtout l’enchaînement des conséquences ( cocasses, inattendues ) de son handicap qui font l’intérêt de cet ouvrage, sans parler des savoureux portraits de tous les protagonistes, conjoints et enfants du narrateur.

J’admets : j’ai depuis longtemps un faible pour David Lodge, son syle ( phrases à rallonge, dialogues de sourds ) et sa façon tour à tour drôle et dramatique de juger les aléas de l’existence… un humour typiquement anglais.

Le récit s’achève sur un bref séjour de Desmond en Pologne où il s’oblige à aller visiter ( au galop ) le camp d’Auschwitz-Birkenau, la porte de la mort, étonnant prélude à ce qui attend le narrateur… et son père : une « sentence de mort » ( death sentence ). Parce que la surdité, aux yeux ( pardon : aux oreilles ) du narrateur, c’est le crépuscule de la communication, le deuil de l’écoute d’autrui, une forme d’enfermement progressif, inexorable, comme l’avait déjà exprimé Beethoven dans son fameux « testament d’Heiligenstadt ».

Bref, si l’on exclut une conclusion grave, émouvante ( voire grandiose, presque philosophique ), La vie en sourdine offre une lecture jouissive et réjouissante qui fait écho aux meilleurs ouvrages de Julian Barnes et de Jérôme K. Jérôme.

Lu dans sa version d’origine, un fort élégant et sobre grand format, d’une lecture bien agréable.

CG

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