Non, ce n’est pas un scoop mais un vœu pieux, une proposition en guise de lettre ouverte au Comité Nobel norvégien.
On peut s’étonner : pourquoi décerner ce prix à un « semeur d’espoir » ( titre d’un ouvrage de Pierre Rahbi, publié en 2013 ), un agriculteur philosophe qui n’a rien d’un révolutionnaire et encore moins d’un homme politique ?
Eh bien peut-être justement pour ces raisons là.
On le sait, Pierre Rabhi n’est pas partisan d’une action collective ni de bouleversements contraignants. Il prône l’action – et surtout la responsabilité – individuelle, à l’image des membres du mouvement Colibris – un nom dont il faut, pour ceux qui ne le connaissent pas encore, expliquer la métaphore : face à un incendie monstrueux que tous les animaux observent sans réagir, un colibri transporte dans son bec une goutte d’eau dix fois plus petite que lui. Face à l’étonnement et aux ricanements de ceux qu’il croise et lui disent : Tu es ridicule ! il se contente de répondre : Je fais ma part.
Une belle leçon qui nous rappelle que face à la désorganisation du monde : réchauffement climatique, dictatures, attentats, migrations forcées ( mais aussi appauvrissement des sols, usage de pesticides, centrales nucléaires… liste à compléter selon vos goûts et opinions ), il s’agit avant tout d’agir, en tant qu’individu responsable. Pas seulement voter, mais œuvrer au quotidien pour changer nos comportements – ce qui n’empêche pas, par ailleurs, des actions collectives !
Quant on déclare à Pierre Rahbi que ce sont les multinationales qui gouvernent le monde, il nous rappelle que non, c’est nous : ces société géantes, de Monsanto à Google en passant par Amazon, Barklays, Axa, Goldman Sachs ( j’en passe, la liste est longue hélas ) n’existent et ne prospèrent que grâce à notre action, notre complicité, nos comportements, nos achats.
Si elles nous ont rendu prisonniers, si elles nous ont persuadés que notre mode de vie ( et de consommation ) actuel était la seule voie possible, c’est avec notre complicité.
Si nous refusons de confier notre argent à nos banques, d’acheter des voitures ou certains produits, c’est leur faillite assurée – oui, mais aussi celle des emplois, allez-vous rétorquer.
Aussi, ce boycott doit être ciblé – le problème n’est pas simple et la pente risque d’être dure à remonter. Voilà pourquoi nous préférons laisser faire, faire avec – et râler tout en profitant jusqu’au bout ( c’est où, le bout ? ) des avantages du système.
On peut se positionner contre la décroissance, contre les migrants, contre le réchauffement.
Mais comme l’affirmait Pierre Dac ( mon philosophe préféré ), quand on dit : Ferme la porte, il faut froid dehors, ce n’est pas parce qu’on a fermé la porte qu’il fait moins froid dehors.
La décroissance, les migrants, le réchauffement… on peut être contre mais la réalité est parfois plus têtue que les opinions. Un jour, l’humanité n’aura plus le choix : ce qu’elle aura longtemps refusé lui sera imposé. Et elle en portera la responsabilité – collective, cette fois.
Parfois, je m’interroge ( et je ne suis pas le seul ) sur celles et ceux à qui le Nobel de la Paix est décerné. Elie Wiesel ou Mère Teresa ? OK. Mais Henry Kissinger, euh… pas d’accord.
Et si je ne cite pas d’autres noms, c’est parce que la liste des Nobel de la Paix douteux serait hélas plus longue que celle des personnalités ou des associations qui m’en semblent dignes.
On me rétorquera que les sympathies et positions idéologiques des membres de la famille de Pierre Rabhi sont parfois discutables… que la décroissance, la lutte pour la biodiversité et la « simplicité volontaire »… bon. Alors croissons et complexifions.
Et continuons comme avant. En changeant de smartphone deux fois par an.
Luttons pour ce que nous prétendons être des avantages acquis et des droits.
Sans trop nous poser la question de savoir à qui ça profite.
A nous ? De moins en moins.
Et plus pour très longtemps.
CG
1 De Vincent CAILLIEZ -
Cher Christian,
Je vous remercie d'avoir mis en lumière la pensée humaniste et humanisante de Pierre Rabhi. J'ai raté son passage sur Limoges il y a 2 ou 3 ans et je le regrette. Je suis tombé sur une émission de radio matinale où il était invité par un animateur très connu qui fait habituellement dans le populisme. Par sa présence et ses propos, il a transformé ce qui est habituellement un talk-show remuant vite oublié en une parenthèse réflexive à laquelle a contribué l'animateur lui-même. Donc, oui, penser l'humanité et son devenir n'est pas qu'un passe-temps de philosophe ou de personne âgée, cela a une utilité opérative.
Je lisais récemment le propos d'un sociologue selon lequel la ré-organisation incessante des structures et produits du travail avait pour but évident la perte de la notion d'expérience chez les employés (ce qui permet une interchangeabilité accrue) mais aussi de manière plus diffuse, dans l'ensemble de la société, une consommation de temps qui n'est plus utilisée pour penser, avec un slogan politique qui deviendrait en réalité « travailler plus pour penser moins » au lieu de « travailler plus pour gagner plus ». J'en ai autant à dire avec un certain nombre de divertissements télévisuels abrutissants « regarder plus pour penser moins » voire avec certains spectacles mettant en scène la sur-activation de nos pulsions intimes... mais par discrétion, je n'écrirai pas le slogan correspondant.
Je suis également d'accord avec vous sur le fait que le temps nous est compté pour la concrétisation sociale de ces pensées humanistes, avec cependant une nuance sur ce qui arriverait si on ne le fait pas. Les prises de position d'un Yves Cochet, sur lesquelles vous renvoyez dans votre édito de janvier-février, où d'un Jean-Marc Jancovici, ingénieur énergie-climat connu comme vulgarisateur et lanceur d'alerte sur l'épuisement des ressources, renvoient l'idée d'une période de chaos (un « âge sombre ») de quelques dizaines années à l'issue de laquelle les survivants de l'humanité pourraient recommencer leur histoire en tirant pleinement partie des erreurs commises jusqu'à présent via une société à évolution lente, très économe de ses ressources et intégrée modestement dans le fonctionnement de la biosphère.
Mes connaissances de climatologue, spécialisé dans le changement climatique observé et dans la (re-)définition du climat, ne laissent pas, hélas, la place à cette possibilité. Avant d'aller plus loin, je dois prévenir que ce qui vient après est un « spoiler » autrement dit, en français, un « gâcheur », en l'occurrence un gâcheur de la joie de vivre. Je comprendrais que vous le retiriez de votre blog.
En effet, nous avons désormais la capacité de calculer assez précisément la date du point de non-retour de l'emballement de l'effet de serre, comme ce qui s'est vraisemblablement produit sur la planète Venus, il y a environ 3 milliards d'années. Je vais produire ci-après le raisonnement le plus simple qui serait jugé simpliste par un confrère mais qui donne un résultat convergent avec des raisonnements plus sophistiqués et qui a l'avantage de pouvoir être suivi sans grande connaissance de la physique de l'atmosphère.
Entre 1990 et 2016, le taux annuel d'élévation de la teneur en CO2 de l'atmosphère s'est accru d'environ 120% alors que, dans le même temps, l'accroissement des émissions annuelles de CO2 n'a été que de 65%. La différence entre les 2 vient de la rétro-action (ou renforcement) de la biosphère qui commence à être sérieusement perturbée dans son fonctionnement par le Changement Climatique réellement observé. Si on tient compte du fait que vers 1990, cette rétro-action n'était pas détectable (0%), on trouve qu'en 26 ans elle s'est accrue de 55%. La question qu'on peut (et doit) se poser c'est à partir de quand cette rétroaction atteindra les +100%. En effet à ce moment là, même si nous n'émettons plus du tout de CO2 (soit -100% d'émission), la rétroaction de la biosphère le compensera intégralement et impliquera un accroissement annuel de la teneur en CO2 qui ne pourra plus diminuer. Le calcul pratique, en supposant que nous n'accélérons pas les processus de dégradation de la biosphère, ce qui est très modéré par rapport à ce qui se produit vraiment actuellement , est une simple règle de proportionnalité : (durée pour +100%)=(durée pour +55%)*100/55 soit environ 48 ans après 1990, c'est à dire vers 2038. Des raisonnements plus complexes et indépendants donnent environ 2040. Les données de base que je viens d'utiliser sont vérifiables sur le site de la NOAA (administration américaine de la surveillance de l'atmosphère) pour les teneurs en CO2 année par année et sur le site du Global Carbon Project pour les émissions de CO2.
Ce genre de terme (au sens terminal), incroyablement proche à l'échelle de l'histoire humaine sur la Terre, me fait dire que s'il ne faut pas négliger la contribution individuelle de chaque colibri ou rossignol que nous sommes, il y a une impérieusement nécessité d'une action collective immédiate pour « dévier le Titanic » de sa trajectoire historique fatale.
Ce que j'ai à proposer modestement c'est que, chacun à notre place, lorsqu'on nous présente une évolution climatique du proche futur (dans le cadre d'une présentation publique ou professionnelle) nous exigions que l'on nous fasse la preuve que cette trajectoire simulée est bien compatible avec le véritablement changement climatique tel qu'il s'opère déjà réellement sur nos territoires. Je peux vous assurer que c'est très rarement le cas et que, sans entrer dans des détails qui allongeraient ce message déjà copieux, ceci implique que les diverses mesures d'adaptation et d'atténuation qui sont en train d'être prises pour lutter contre le Changement Climatique se révèlent en fait contre-adaptatives et contre-attenuatives. Si le colibri doit continuer à amener sa petite goutte d'eau, il faut désormais empêcher que d'autres animaux de plus grosse taille ne continuent à propager le feu.
Merci, mon cher Christian, de maintenir notre conscience éveillée sur ce sujet.
Vincent CAILLIEZ
2 De christian grenier -
Cher Vincent,
Je découvre votre long message le 15 mars, après une période pendant laquelle j'ai eu très peu de temps ( livraison urgente de textes, double opération de la cataracte, déplacements, etc. )
Votre contribution est très précieuse.
Et loin d'éliminer votre commentaire de mon site, je me propose bien au contraire de créer un lien vers votre analyse dès la parution de l'édito suivant ( ce 15 mars, l'édito de ce mois n'est toujours pas mis à jour... preuve que mon webmaster est au moins aussi submergé que moi ! )
Je ne doute pas de l'authenticité de votre analyse, corroborée par ailleurs, à deux années près, par d'autres spécialistes ( américains ! ) du climat.
Mon seul gros problème, c'est le manque de moyens ( doublé d'un manque de volonté ? ) mis en oeuvre pour alerter la population de la menace qui pèse sur notre planète.
Mon blog est une goutte d'eau, à l'image de ce colibri - et j'ai bien conscience d'être une toute petite voix, très impuissante à relayer la vôtre, qui pourrait faire autorité.
Comment agir ?
Je le fais aussi, à ma mesure, en me déplaçant dans les collèges, en parlant - mais là encore, ce discours est impuissant : on préfère fermer les yeux, attendre ou faire confiance à des autorités ( aveugles ?! ) jugées plus compétentes.
En attendant, et pour reprendre votre métaphore, le Titanic avance... sauf que l'iceberg est déjà en vue, et que rares sont ceux qui le voient. Il faudra le heurter pour comprendre enfin qu'il existe !
Ma fidèle amitié - et mes vifs remerciements !
Christian