Gustave Flaubert & George Sand, Correspondance

     En janvier 1863, à la suite de la lecture de Salammbô, George Sand en fait une critique élogieuse pour le journal La Presse. Flaubert lui adresse un mot de remerciement.
     Sand répond. Un bref échange s’ébauche... et s’interrompt.
     En août 1865, le nouveau ( et dernier ) compagnon de George Sand, Manceau, meurt.
     Six mois plus tard, Sand accepte enfin d’aller à l’un de ces fameux « dîners chez Magny » où elle rencontre Flaubert pour la première fois. D’autres dîners suivent, chez Magny et ailleurs.
     Les deux écrivains se revoient, sympathisent et s’écrivent.
     Des courriers de moins en moins convenus et de plus en plus intimes dans lesquels ils échangent sur à peu près tout : leur famille, leurs amis, leurs collègues, la politique... mais surtout la littérature !
     Très active entre 60 et 70 ans, accaparée par son fils Maurice et sa petite-fille Aurore qu’elle adore, Sand continue d’écrire ( à temps perdu ) dans sa propriété de Nohant.
     Quant à Flaubert ( il a 44 ans en 1865 ), reclus à Croisset avec sa mère, il transpire sur chaque chapitre de sa future Education sentimentale.
     Sand et lui se croisent parfois à paris, chez Magny ou à Palaiseau ; parfois, elle pousse jusqu’à Croisset où l’ermite normand lui lit, des heures durant, son roman qu’il peine à achever...

     Comment résumer ces 420 lettres aussi passionnantes et touchantes les unes que les autres ? Quelle édifiante leçon de littérature, qui consiste à entrer dans les coulisses de l’écriture, de l’imaginaire et de la sensibilité de ces deux écrivains... que tout oppose !
     En effet, Sand écrit vite ( en se relisant à peine ) des romans qui débordent de sentiments. Flaubert, lui, « pioche » des heures durant, peaufinant des récits ( L’Education sentimentale, La tentation de St Antoine, Bouvard et Pécuchet et deux de ses « Trois contes » dont « l’écriture blanche » préfigure le futur naturalisme ?
     Une parenthèse concernant les relations particulières entre ces deux géants. On a parfois évoqué une liaison charnelle entre Sand ( qui, il est vrai, a collectionné les partenaires à une époque où cette coutume était réservée aux messieurs ). Une légende, accréditée par le fait que Sand a vite tutoyé son collègue. « Et vous, mon cher ami, que fais-tu à cette heure » ? écrit Sand à Flaubert dès le 22/11/1866 . Ce fait n’a pas échappé aux frères Goncourt, qui participaient aux mêmes dîners, les Goncourt dont on connaît le mauvais esprit. La vérité est qu’une immense tendresse reliait ces complices, tendresse soulignée par des confidences et des termes d’une affection peu commune. A noter que Flaubert a toujours dit vous à Sand.
     Le 12/11/1866, Flaubert écrivait : «  je ne sais pas quel espèce de sentiment je vous porte, mais j’éprouve pour vous une tendresse particulière... » Sand fait preuve d’une réelle modestie, elle ne se croit pas, comme Flaubert, un écrivain majeur. Elle juge ( comme moi ! ) que Salammbô « est un des plus beaux livres qui aient été faits depuis qu’on fait des livres ( 27/10/67 ) et avoue : « Je ne m’intéresserais pas à moi si j’avais l’honneur de me rencontrer ( 14/11/67 ) » ou encore : « Il n’y a d’intéressant, dans ma vie à moi, que les autres ( 18/09/68 ) »
     La sincérité, la générosité de ces deux auteurs ne peut que toucher, ainsi que l’actualité d’un grand nombre de réflexions : «  Ils sont rares ceux qui n’ont pas besoin du Surnaturel » écrit Flaubert le 19/09/68. « L’argent n’est pas non plus la vraie preuve du succès, lui confie Sand le 15/10/68, puisque tant de choses nulles ou mauvaise font de l’argent » ; « L’artiste est trop occupé à son œuvre pour s’oublier à approfondir celle des autres » ajoute-t-elle le 11/02/69. A propos de son travail, Flaubert avoue le 2/07/70, « Pour commencer un ouvrage de longue haleine, il faut avoir une certaine allégresse qui me manque (... ) j’ai autant de mal à me mettre au travail qu’à l’interrompre » «  On ne peut plus écrire quand on ne s’estime plus » (10/09/70 ) et, évoquant l’actualité, il ajoute ( le 3/08/70 ) en déplorant les conflits : « on verra, avant un siècle, plusieurs millions d’hommes s’entretuer en une séance » Quelle prophétie ! Socialiste, Sand se plaint que « la vie se passe à travailler pour ceux qui ne travaillent pas ( 19/12/72 ) » à quoi répond Flaubert, dans un PS de son courrier du 25/11/72 : « connaissez-vous dans l’histoire universelle (...) quelque chose de plus bête que la Droite de l’Assemblée nationale ? »
     Enfin, combien d’écrivains du XXIe siècle ne pourraient pas se reconnaître dans ce que confie Flaubert à sa complice, le 29/11/72 : « Du moment que la littérature est une marchandise, le vendeur qui l’exploite n’apprécie que le client qui achète, et si le client déprécie l’objet, le vendeur déclare à l’auteur que sa marchandise ne plaît pas. La république des lettres n’est qu’une foire où on vend des livres. Ne pas faire de concession à l’éditeur est notre seule vertu, gardons-la et vivons en paix ; même avec lui quand il rechigne, et reconnaissons aussi que ce n’est pas lui le coupable. Il aurait du goût si le public en avait. »
     Faut-il être un inconditionnel de Flaubert ( ou de Sand ) pour lire ce courrier ?
     Je ne crois pas. A l’heure où la correspondance traditionnelle disparaît au profit du téléphone, des mails et surtout des SMS au style plus que télégraphique, cette immersion épistolaire a quelque chose de magique. Ce recueil ferait partie des dix ouvrages que j’emporterais sur une île déserte, c’est un véritable livre de chevet.
     D’abord emprunté en bibliothèque, j’ai acheté l’ouvrage – et je l’ai, comme c’est hélas souvent le cas, prêté à un ami qui ne me l’a jamais rendu. Très bon signe !
     Avez-vous remarqué que ce sont les livres auxquels on tient le plus que l’on prête... et que l’on vous rend rarement ? A l’occasion d’une intervention à Nohant ( j’ai eu la fierté d’assurer une conférence dans ce lieu à mes yeux mythique ! ), j’ai racheté cet ouvrage que j’ai relu, et annoté. Une lecture émouvante, édifiante, indispensable à celles et ceux qui sont curieux d’entrer dans les coulisses de l’écriture des grands maîtres.
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