Enfonçons quelques portes ouvertes…
Première prise de conscience : vous qui lisez cette news, vous faites partie d’une caste de privilégiés, une élite – que vous le vouliez ou non.
Pourquoi ?
En France, depuis trente ans, l’analphabétisme progresse, on est passé de 5 à 8%.
Autre constatation ( article du Monde du jeudi 25 février 2010 ), 18% des élèves qui entrent en Sixième « ne savent pas lire. »
Autre conclusion du même article : « savoir lire » n’offre aucune garantie !
La lecture, ce n’est pas comme la bicyclette. Une fois acquise, il faut l’entretenir, on ne sait pas lire une fois pour toutes. Si bien que les jeunes qui « savent lire » vont très souvent… désapprendre au cours de leur vie. Tout ça parce qu’ils auront cessé de lire une fois le collège abandonné. Ce qui explique qu’un grand nombre d’adultes ( les analphabètes sont plus nombreux parmi les adultes que chez les jeunes ! ) lisent peu ou mal.
Eh oui…« savoir lire », qu’est-ce que ça veut dire ?
Ma petite-fille de quatre ans ( à l’image de certains élèves de 6ème ) déchiffre : « le… bébé…de… ma-man » Et soudain, son visage s’éclaire : oui ! le bébé de maman ! ( elle a compris le sens de ce qu’elle ânonnait sans en saisir le sens ).
Elle ne lit pas.
Ma petite-fille de six ans, elle, lit.
Du moins certains textes.
C'est-à-dire qu’aussitôt déchiffrés, les mots font sens.
A condition que le texte soit simple, fait de mots dont elle connaît le sens et de phrases qu’elle peut comprendre sans trop avoir à réfléchir.
D’autre part, elle a à sa disposition des parents et des grands-parents qui lisent, qui sont entourés de magazines, de romans, de textes.
Des adultes qui lisent et aiment ça.
Résultat : elle sait qu’il y a dans la lecture des trucs passionnants, et ça l’encourage.
Elle veut imiter, donc apprendre à lire et à prendre du plaisir dans ces textes qui ne sont pas encore à sa portée.
Mieux : les adultes qui l’entourent lui parlent, utilisent des mots et des tournures complexes. Si bien qu’elle aura, à l’école, toutes les chances de déchiffrer de mieux en mieux des textes élaborés.
Vous voyez où je veux en venir ?
On peut longtemps gloser sur les apprentissages de la lecture, les méthodes, le système éducatif, etc. En réalité, le problème est beaucoup plus large.
Un enfant de six ans qui, pendant six ans, n’a pas été entouré de livres, d’adultes s’adressant souvent à lui, avec un vocabulaire riche et des dialogues fréquents, un gosse abandonné soit devant Gulli ( ou la première chaîne ), soit parmi d’autres enfants ou des gens dont le vocabulaire ne dépasse pas trois cents mots… celui-là n’accèdera jamais vraiment à la lecture, quels que soient les enseignants dévoués et les méthodes performantes dont il bénéficiera.
Au mieux, il fera partie de ceux qui déchiffrent ( certains journaux, une recette de cuisine, un mode d’emploi… mais après tout, pourquoi vouloir mieux, hein ? ) mais jamais de ceux qui se plongent avec délices dans une fiction complexe.
Aux jeunes lecteurs qui m’affirment, spontanément et sincèrement :
- Moi, j’aime pas lire.
Je réponds :
- Faux. Tu manques seulement d’entraînement.
Mais je ne peux pas jouer les entraîneurs ni lui livrer des recettes miracles.
Je ne peux pas me substituer à son milieu familial ou à ses copains qui, eux, lui disent des trucs du genre : « la meuf de mon vieux, elle est zarbi. Moi, j’la kiffe grave… » ( mais ça, à dix ans, les plus médiocres lecteurs comprennent très bien )
J’ai coutume d’affirmer qu’à 64 ans, je continue d’apprendre à lire. C'est-à-dire à donner du sens à ce que je déchiffre. Par exemple ? Eh bien certains articles des pages économiques ou financières du Monde. Ou les dernières théories concernant le boson de Higgs, à la recherche duquel est parti le CERN ( accélérateur de particules ) de Genève.
Vous souriez ?
Pas moi. Parfois, les mots les plus simples, alignés, sont parfois très obscurs.
Des phrases du genre :
« Percé jusques au fond du cœur
d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d’une juste querelle
Et malheureux objet d’une injuste rigueur… »
Autrement dit, la lecture, c’est aussi de la culture.
Culture de comportements, de traditions… j’en passe.
Faut-il supprimer Le Cid des programmes scolaires ?
Faut-il privilégier la littérature jeunesse qui utilise le vocabulaire actuel des gamins pour les faire accéder au plaisir de lire ?
Ni l’un, ni l’autre.
Il faut, me semble-t-il, prendre conscience que c’est la société toute entière qu’il convient de réformer ( en même temps que le système éducatif, mais pas seulement en ne s’occupant que de ce système, ce qui est forcément voué à l’échec ! ). Mais sans la niveler par le bas.
Il existe une littérature jeunesse de qualité qui, avec des mots simples, permet de faire aborder peu à peu des notions compliquées ( comme il existe une littérature vieillesse qui aborde des notions simples avec… des mots compliqués ! ).
La négliger, la mépriser, c’est se priver d’un outil privilégié.
C’est faire croire qu’en imposant des classiques inabordables ( par de nombreux enfants ou adolescents ), on leur livre le meilleur et on les hisse d’un coup à la Culture.
C’est un leurre.
Un leurre qui permettra aux seuls enfants de médecins, d’avocats ou d’enseignants de s’en tirer, et de laisser sur le bord de la route une majorité de jeunes.
Mais après tout, c’est peut-être là l’objectif ?
Christian Grenier
1 De fred -
Quel bonheur de vous lire... Quel bonheur de lire, tout simplement... Ceux qui ne sont pas entraînés ne savent pas tout ce qu'ils perdent...
Fred
PS impossible de s'abonner pour le moment, je réessaie plus tard...
2 De Maëlle -
Quel plaisir de voir ce blog naître! Enfin un blog ou nous pourrons réagir en direct!
Je retiendrai une bien jolie phrase : en ouvrant un livre, je continue d'apprendre à lire! Tellement simple et pourtant tellement vrai!
Si tu réponds "tu manques seulement d'entraînement" aux enfants qui te disent qu'ils n'aiment pas lire, moi je leur réponds qu'il n'ont pas encore eu le bonheur de tomber sur le livre qui leur correspond et les transporte!
Bravo aussi à Patrick pour cette merveilleuse idée de blog! Ca va être un plaisir de le parcourir!
3 De Sofia -
C'est une des plus intéressante Niouze Letter. Fait réfléchir, fait vibrer...peut-être que j'exagère un peu, peut-être pas. Mais ce que j'ai compris en la lisant, c'est qu'on peut être fier d'apprendre à lire et qu'on peut plaindre ceux qui ne veulent pas le faire.
Car je pense que tout est une question de volonté. Même si on n'a pas été élevé dans un milieu littéraire et cultivé,ne peut-on pas très bien retrouver ce goût de lire et d'apprendre à lire, ne serait-ce qu'en allant au CDI et en choisissant des livres qui nous correspondent ?
Etant fille de deux avocats, je ne peux répondre à cette question.
Peut-être est-ce juste une question de chance. Il y a peut-être ceux qui, dès la naissance, affichent un goût certain pour la littérature. Et ceux qui , dès la naissance, n'en n'ont rien à faire. Peut-être que ça n'a rien avoir avec le milieu dans lequel on évolue, finalement.
Mais je reste sur mon idée que tout est une question de volonté.
Je termine ici mon monologue.
Cordialement
Sofia.
P.S: Excusez-moi si tout est un peu mélangé, mais j'ai écrit ça comme je le pensais, sans rien préparer auparavant. En fait, je devrait peut être organiser mes idées avant de tout balancer comme ça dans un commentaire. Mais j'aime ça, que tout soit brouillon, cela me correspond. Enfin, cela correspond à ma personnalité mais pas à ce que je montre, pas à ma façade.
J'arrête de raconter ma vie.
4 De Matthias -
Yiah ! J'attendais depuis longtemps que cette niouze letter passe au format blog, qu'elle mérite amplement.
Et encore merci pour ces mots de sagesse monsieur Grenier. ;)
5 De Jean-Claude et Rosette -
Encore une fois, quelle vérité que vous énoncez dans votre dernière niouze au sujet de la lecture !
Nous nous en apercevons également avec nos deux petits fils qui baignent dans les livres avec des lectures quotidiennes qu'ils réclament,
avec des "mots de grands" et un langage de grand que leurs parents (et nous mêmes quand nous les "gardons") utilisent.
Hélas ce n'est pas le cas pour des milliers d'enfants actuellement.
6 De Sei -
Hi bonjour CG, Je parle souvent sur le site de Rageot (C'est Emilie du 59) mais je n'ai jamais vraiment répondu aux "Niouze Letter". Il faut un début à tous !
" Un enfant de six ans qui, pendant six ans, n’a pas été entouré de livres, d’adultes s’adressant souvent à lui, avec un vocabulaire riche et des dialogues fréquents, un gosse abandonné soit devant Gulli ( ou la première chaîne ), [...]"
Je dois avouer que ce fut mon cas étant petite (enfin moi c'était canal J), avant d'atteindre l'âge de 10 ans je n'avais jamais lu un livre en entier (à par ceux qu'on devait lire pour l'école) Mes parents ne sont pas du tout lecteur et donc je n'ai jamais grandi à travers les livres. Puis un jour hop le déclic, je vois Harry Potter à l'école des sorciers en film... et puis je me dit tiens "et si j'essayai de lire les livres" et puis hop, depuis je dévore tous les livres qui m'attire... (même si à ce jour je ne suis plus aussi fane d'Harry Potter qu'à mes dix ans, je lui dois quand même un peu de respect, c'est lui qui m'a donné le goût de la lecture !).
Et je dois avouer que je ne suis pas la seule dans ma famille. Sur quatre enfants, on est trois lecteurs ! Donc tout est possible.
Voila, voila, Bonne journée à vous CG.
Emilie
7 De Frédérique -
Je suis une "dévoreuse" de livres depuis ma plus tendre enfance. Je suis effectivement fille d'enseignants pour qui la lecture a toujours représenté le principal loisir et je me sens bien quand je suis entourée de livres.
Pour ma soeur et moi, les livres étaient des cadeaux habituels et cela reste encore le cas. Et quand un livre plait particulièrement à l'un de nous, il fait le tour de la famille et chacun y va de son commentaire.
J'ai 3 fils. L'aîné est au collège. Il aimait les livres quand il était tout petit puis il les a "abandonnés" quand il est allé à l'école : ses copains disaient ne pas aimer les livres et son père trouvait que la lecture était une perte de temps. Il voit par contre à quel point les livres font partie de ma vie et nous en discutons souvent. Il devait, récemment, exposer un livre en classe. Indécis quand au livre à choisir, sa prof de français l'a aidé en le questionnant sur ses goûts et, ensemble, au CDI, ils ont choisi "L.I.V.3". Mon fils l'a lu de façon un peu superficielle en me disant :"Ca m'embête de devoir de le présenter en classe parce que dans l'histoire, moi, je me sens plus du côté des méchants (à savoir "les zappeurs"...)". Je me suis dit que finalement, le pari de la lecture n'était pas perdu : il a pu s'identifier à certains personnages... et donc rentrer dans l'histoire par la lecture ! J'ai lu moi aussi ce livre et lui ai dit à quel point il m'avait entousiasmé. Nous avons pu en discuter ensemble et cela crée une complicité que j'aime.
Mon 2è fils est en fin de primaire et n'a jamais eu de goût particulier pour les livres : il n'appréciait même pas particulièrement quand je lui lisais des histoires quand il était petit.
Quant au 3è, il est au CP et avide de déchiffrer et comprendre les lettres et les mots depuis la maternelle. Il revient de l'école plein d'entrain quand la maîtresse, en guise de récompense, lui a donné un magazine ou permis d'emprunter un livre à la bibliothèque.
Je répète régulièrement à mes enfants que, d'après moi, s'il existe un seul trésor dans le monde, ce sont les livres car on y trouve tout : des documents, des romans, des histoires vraies, des fictions, de quoi rire et de quoi réfléchir... Je ne peux pas dire qu'ils soient fous de lecture mais ils sont sensibles à ce qu'ils perçoivent de mon propre goût de la lecture.
Merci, M. Grenier, pour vos livres qui s'adressent si bien à nos collègiens !
8 De Christian Grenier -
Dans le domaine de la lecture… rien n’est jamais perdu !
Je suis bien sûr très flatté que votre premier fils ait pu renouer avec la lecture grâce à mon Virus LIV 3 ! L’attitude de votre petit dernier fait chaud au cœur. Quand au deuxième… il suffit d’attendre. Il se peut que grâce à votre passion, son goût pour la lecture se déclenche un jour ou l’autre, qui sait ?
L’essentiel, en effet, Frédérique, est que votre propre goût persiste !
CG
9 De Frédérique -
Merci d'avoir pris le temps de la réponse !
Cordialement