Après Harry Potter, Eragon et Twilight, quel nouveau best seller va faire fureur chez les jeunes lecteurs ?
Bien que la plupart des éditeurs s’en défendent, cette question ne cesse de les obséder. Tous sont à l’affût de l’ouvrage ( de préférence une trilogie, ou une série ) qui fera un malheur et garantira quelques centaines de milliers ( ou millions ) de lecteurs, quelques années de répit aux directeurs littéraires ( et aux contrôleurs financiers ), ainsi que de jolis profits aux actionnaires.
En France, cette chasse au blockbuster littéraire ( même si l’adjectif littéraire semble parfois exagéré ) touche certains auteurs jeunesse qui tentent mille et une recettes susceptibles de leur faire toucher le jackpot.
Les recettes ?
Elles passent par un parcours obligé : l’ouvrage doit mettre en scène un héros ( ou une héroïne ) qui a l’âge du lecteur ou un peu plus, un personnage qui va évoluer dans un monde où la magie est de règle, et fait souvent irruption dans un univers presque identique au nôtre, un univers menacé par le Mal ( les forces de l’Obscurité, des Ténèbres, de la Nuit – importance des majuscules ) et que le héros est chargé de combattre pour faire triompher le Jour ( ou la Lumière, etc. )
Sorciers, dragons, vampires, loups-garous, farfadets, goules ( et êtres extraordinaires issus des contes en général et du fantastique en particulier ) sont les bienvenus.
Reste à planter ( et surtout à justifier ) ce décor, ces menaces, et à mettre en scène ces personnages dans une action qui va multiplier combats et rebondissements.
Attention : loin de moi l’intention de condamner en bloc les best sellers ou l’heroic fantasy ! Des auteurs sincères ont produit des œuvres majeures, de Tolkien à Bottero en passant par Robin Hobb - et j’ai salué ici même la sortie d’Avatar, dans le genre moins populaire de la SF !
Comment expliquer le succès de ces ouvrages où règnent l’irrationnel et la magie ?
A mes yeux, c’est assez simple…
Depuis des décennies, le conte a la cote. Il est politiquement correct. Il plaît à tous les âges et les adultes lui font confiance. L’enfant en est nourri, à l’école et chez lui.
D’ailleurs, l’irrationnel séduit aussi les adultes ( cf le succès de Dan Brown et Marc Lévy ) qui préfèrent des solutions magiques aux problèmes soulevés par les récits réalistes. A la télé, la réalité fantasmée ( Ko-Lanta, l’île de la passion… ) a plus d’adeptes que C dans l’air ou Le dessous des cartes.
En littérature, on aime aussi avoir ( ou se faire ) peur – d’autant plus que les risques sont, euh… limités. Au succès de la série Chair de poule va donc succéder celui de monstres d’autant plus acceptables qu’ils sont issus de l’imaginaire traditionnel et ne relèvent surtout pas du scientifique : oui au sorcier et au dragon, non au mutant et au clone !
Mais voilà : à mes yeux, cette tendance, à terme ( car enfin, il faut sortir des métaphores de l’enfance ! ) reflète un refus de la réalité, le refuge dans un irrationnel qui nous éloigne d’un réel de moins en moins supportable. D’autre part, le manichéisme de la lumière et de l’obscurité m’irrite ( ah… le fameux « axe du Mal » cher à George W. Bush ! ), parce que le monde est plus complexe et qu’il n’est pas peuplé de bons et de méchants.
Bref, le prochain best seller pour la jeunesse ( il sera porté à l’écran en 2013 ) pourrait être Hunger Games de Suzanne Collins. L’ouvrage évoque un jeu télévisé mortel dans un futur indéterminé. Un sujet mille fois décliné en SF, et illustré par le film Le prix du danger, tourné par Yves Boisset en 1983 !
L’héroïne de Hunger Games, Katniss, a 16 ans et vit dans une dictature. Ce succès semble, selon Télérama, « à la pointe d’un vaste engouement pour la dystopie, description d’un futur sombre et angoissant ».
Euh… cet « engouement » n’est pas si nouveau puisque le mot dystopie, s’applique à des romans comme Brave new World ( Le meilleur des mondes de Huxley, 1932 ), 1984 de George Orwell ( 1948 ) ou Fahrenheit 451 de Bradbury ( 1953 ). Et il serait bien dommage que l’arrivée d’un best seller pour la jeunesse ( ? ) dans le genre SF soit illustré par un récit gore et sanglant… pas de quoi redorer le blason d’un genre déjà tant décrié !
1 De Hélène Louise -
Votre analyse est très fine.
En tant que lectrice de fantasy (évolution récente mais vorace), c'est tout à fait ça !
Curieusement, en tant qu'auteur, c'est assez différent, du moins pour l'incitation initiale. J'ai commencé par écrire une histoire dans le monde réel. Puis j'ai réalisé la terrible entrave que constituait la nécessité d'obéir à un contexte précis, imposé : école, organisation de la vie de tous les jours, omniprésence d'internet et des téléphones portables... Pour un roman historique le cadre peuvt être choisi mais il faut tout de même suivre des règles.
Ces contraintes m'ont vite paru insupportables et je me suis lancée avec bonheur dans la fantasy, pour être libre d'imaginer tout ce que je voulais; c'est très libératoire, non ?
Le phénomène des suites est agaçant, je vous le concède. J'ai récemment lu d'excellents livres dans le domaine de l'imaginaire qui, à mon sens, n'auraient jamais dû avoir de suite.
Mais l'avantage de faire une quelque-chose-ologie, c'est d'avoir le plaisir de faire évoluer tout doucement les choses, de faire mûrir lentement les personnages, de jouer sur les révélations (sensément) fracassantes...
(J'avoue que je ne connaissais pas vos livres, mes recherches n'avaient sans doute pas été assez approfondies ! Je vais y remédier, en commençant par "Virus L.I.V.3 ou la mort des livres").
2 De Claire K -
Non, tous les succès jeunesse ne sont pas de la fantasy! En lisant votre message, j'ai pensé à la série d'espionnage CHERUB, de Robert Muchamore (bon, c'est une série et c'est anglais). Bon, bien sûr, ça reste de la fiction, mais relativement réaliste et documenté, et ça a du succès! Le héros est (à mon sens) un parfait boulet, enfin disons le stéréotype de l'adolescent-de-base pour rester correct, il ne cherche pas à sauver l'humanité du Mal et ne découvre pas de monde parallèle. Et ces livres illustrent le fait que les méchants peuvent aussi être drôles, généreux, avoir une famille et manger des chips dans leur salon comme tout le monde.
C'est sûr qu'il y a des vagues de thèmes à succès et que les éditeurs cherchent, au choix, celui qui va en redéfinir les codes ou celui qui surfera le mieux dessus, en attendant de découvrir LE nouveau thème qui va relancer le mouvement.
Je ne pense pas que la fantasy soit plus facile que le "réaliste". D'accord, on a la liberté de créer n'importe quoi, mais il est d'autant plus difficile de le rendre crédible et de le faire tenir debout... Quand on reste dans une intrigue en rapport avec le monde réel, celui-ci impose des contraintes, mais est aussi un socle sur lequel s'appuyer. Remplacer intégralement le réel, c'est dur aussi, je trouve.
Hélène Louise, c'est marrant, j'ai fait le contraire: j'ai commencé à écrire de la fantasy, mais j'ai réalisé que je n'étais pas capable de créer de toutes pièces un univers avec ses propres règles. Alors je suis passée au réalisme (pas au sens balzacien du terme, hein!), qui me réussit plutôt bien...^^
3 De Christian Grenier -
> réponse au message du Lundi 04 avril 2011, 22:22 par Hélène Louise
Un aveu, Hélène : je ne connaissais pas vos livres non plus… mais je vais aller voir du côté des Editions de la Chimère !
4 De Christian Grenier -
> réponse au message du Mercredi 27 avril 2011, 15:15 par Claire K
Cette réaction bienvenue, Chère Claire, va m’obliger à nuancer mon propos ! Il va de soi qu’existent de grands récits de fantasy, et que l’essentiel d’un ouvrage ( c’est mon discours depuis quarante ans ) ne vient pas du genre auquel il appartient, mais de ses qualités intrinsèques ! Il y a de grande SF… et de la mauvaise poésie – mais c’est plus tendance de mépriser la SF et d’ « aimer la poésie » ! Non, mon regret est que certains éditeurs, pour vendre, préfèrent publier de la mauvaise fantasy ( elle sera achetée et lue… parce que c’est de la fantasy ! ) que d’autres ouvrages de haute tenue dont le genre littéraire risque de ne pas être plébiscité !