Le premier, Aurélie Boullet, est une jeune fonctionnaire qui a commis l’erreur d’écrire ( sous pseudonyme ! ) un pamphlet ( Absolument dé-bor-dée ! chez Albin Michel ) dénonçant les pratiques et abus de son service. Assignée en justice par sa hiérarchie, passée en conseil de discipline pour manquement à son devoir de réserve ( ? ), elle a été condamnée à quatre mois de suspension d’activité. Que lui reproche-t-on ? D’avoir révélé certaines vérités pas bonnes à dire ! Son avenir professionnel semble plutôt compromis.
Que les policiers, gendarmes, ou hauts fonctionnaires aient un « droit de réserve », passe encore. Mais qu’une fonctionnaire soit condamnée pour avoir publié un livre… cela pourrait faire rire au pays des droits de l’Homme qui lutte pour la liberté d’expression en Chine ou en Corée du Nord ! Je l’avoue : je n’ai pas lu cet ouvrage signé Zoé Shepard ; d’ailleurs, il se peut que son contenu me révolte. Mais je me déclare solidaire de son auteur !
Le deuxième écrivain est Alain Vircondelet, l’auteur de l’ouvrage Séraphine ( biographie de Séraphine Louis ). Il a déposé une plainte pour contrefaçon auprès des producteurs du film Séraphine, y dénonçant des emprunts à son ouvrage. Sa plainte a abouti, et les producteurs ( ainsi que le réalisateur, Martin Provost ) s’en étonnent et protestent : « Si quelqu’un réalise un film sur Victor Hugo, devra-t-il acheter les droits de tous ses biographes ? »
A première vue, cet argument semble pertinent. A mes yeux, il est totalement faux.
Le réalisateur a avoué avoir lu le livre… et « s’en être nourri » ( ainsi que des deux autres biographies de Séraphine Louis )
Le premier problème, c’est que Martin Provost n’aurait sans doute jamais réalisé le film Séraphine s’il n’avait pas lu l’ouvrage de Vircondelet. De toute évidence, le film reprend d’ailleurs certaines scènes imaginées par l’auteur du livre. Les producteurs auraient donc dû demander le droit d’utiliser certaines scènes évoquées par l’ouvrage. Ce qui supposait un contrat, un accord… et un petit pourcentage sur les entrées.
Visiblement, l’auteur du livre Séraphine n’a rien eu. Certes, les sept César du film et ses 850 000 entrées ont provoqué par ricochet la réédition de son récit ( en clair, 3 ou 4 000 exemplaires, soit 3 ou 4 000 euros pour l’auteur )
Le second problème, c’est que réaliser un film sur Séraphine Louis n’a rien à voir avec un film sur Victor Hugo. Séraphine était une inconnue ; Hugo est un personnage célèbre, comme Napoléon ou De Gaulle.
C’est donc une biographie qui a fait connaître Séraphine à un réalisateur ( dont le talent a été de réaliser un excellent film ).
Je vis ce petit conflit à la lumière d’une de mes futures publications chez Bayard : Pour l’amour de Vanille, biographie romancée d’Edmond Albius.
Edmond Albius, ça vous dit quelque chose ? Non ?
C’est le jeune esclave noir de 13 ans qui a découvert le secret de la reproduction de la vanille en 1836, sur l’île de La Réunion.
Eh bien imaginons qu’en 2015, un réalisateur sorte un film sur Edmond Albius. Et qu’on retrouve dans ce film des scènes entières empruntées à mon ouvrage. Imaginons que ce réalisateur avoue qu’il a lu mon récit, mais qu’il ait négligé de prévenir l’éditeur.
Ce dernier ne serait pas content.
Moi non plus.
Et si le film était un succès, j’imagine mon dépit. Pour des raisons financières ? Certes, mais aussi parce que la bonne idée de sortir Edmond Albius de l’ombre passerait désormais pour être celle du réalisateur, et non la mienne.
J’ajoute que je ferais
une drôle de tête si, rencontrant plus tard les lecteurs de mon
ouvrage, ces derniers me demanderaient sûrement :
C’est en allant voir le film que vous avez eu envie d’écrire le livre ?
1 De Hélène Louise -
J'ai adoré votre article, votre franchise et votre lucidité sont bien rafraîchissantes.
Et j'ai bien ri aussi et ça, ça n'a pas de prix !
2 De Louise Michel -
Bravo et merci pour l'auteur Alain Vircondelet!