Ce soir, les Du Vivier ( en deux mots ) reçoivent. Il n’y aura sûrement pas de fausse note grâce à Sonia, leur bonne, aussi efficace que discrète, et Othman ( compagnon de Sonia ), cuisinier que tous les amis des Du Vivier leur envient.
Le premier couac, c’est la défection tardive des Marchelier, qui oblige Sophie Du Vivier à refaire son plan de table. Le deuxième, c’est l’arrivée d’Hubert d’A. qui n’était pas invité – il s’apercevra un peu tard qu’il s’est trompé d’hôtes et d’étage !
Le troisième, c’est la constatation consternée de la plus discrète des convives, l’épouse de M. Le Châtelard : « Mais nous sommes treize à table ? ». Les Du Vivier tentent de prendre la chose à la légère, et comprennent que c’est très sérieux – que faire ?
L’invité principal, George Banon, ( dit Djorge, un industriel important avec lequel Thibaut du Vivier est en affaires ) a alors la fausse bonne idée de proposer que Sonia se mêle à eux. Il semble séduit par la jeunesse et le charme de cette servante ( publié en 2009, ce roman n’a rien à voir avec la récente affaire DSK ).
Ils sont donc 14, l’honneur est sauf ; et il faudra bien qu’Othman ( jaloux et contrarié ) quitte sa cuisine de temps en temps pour servir à table. Cela ne serait pas un couac ( car Sonia, d’une tenue exemplaire est la discrétion même ! ) si Marie-Do, la provocatrice de service, ne demandait à la bonne… si elle s’appelle vraiment Sonia.
Poussée à bout par des invités surpris par la culture de la nouvelle venue, la jeune femme leur apprend qu’elle s’appelle Oumelkheir ; française d’origine maghrébine, elle boucle à la Sorbonne une thèse de doctorat et « fait la bonne » pour… boucler ses fins de mois.
Ces révélations changent la donne. Car les invités rivalisent alors de maladresse en révélant leur arrogance, leur fatuité, et un racisme aussi naïf que maladroit « Ah, j’adooore le Maroc, Tanger, Mogador, Djerba (… ) Et… vous vous plaisez en France, Sonia ? »
Devenue bien malgré elle la vedette de la soirée, Sonia sera sans doute la seule à tirer son épingle du jeu. Parce que ce dîner ( de cons ? ) s’est révélé pour les uns une farce, et pour d’autres une vraie tragi-comédie !
Un dîner à Paris, affirme l’auteur ( ou Sonia ? ) est en soi une comédie française.
Un aveu : je suis un fan d’Assouline !
La faute en est au biographe ( il faut absolument lire son Simenon, son Gaston Gallimard et ce fabuleux thriller qu’est Daniel-Henry Kahnweiler, L’homme de l’art ), dont le style et l’efficacité le disputent au romancier. Cette peinture au vitriol d’une ( grande ? ) bourgeoisie contemporaine se déguste ligne après ligne, grâce à un style à la fois vachard et élégant, dont l’affectation apparente mais sournoise cache mille et un pièges.
Ce récit est d’autant plus subtil que Sonia semble en être la narratrice indirecte.
Quelques exemples : A entendre la logorrhée cultivée de Me Châtelard et à écouter les silences de son épouse, on comprenait vite qu’elle avait plusieurs fois divorcé de lui sans même qu’il s’en aperçoive ( p. 51 ) Ou encore : Elle avait des amis comme on a des meubles. ( p 55 ). Ou encore, évoquant la fatuité d’un beau parleur : Ce qu’il était parlait si fort qu’on n’entendait pas toujours ce qu’il disait. ( p. 101 ) – ou l’attitude de ceux qui ont si peu le goût des autres (…) qu’ils croient devenir sourds lorsqu’ils n’entendent plus parler d’eux. ( p 116 )
Assouline se révèle ici un La Bruyère moderne. Il croque page 51 le portrait d’une femme que n’aurait pas renié l’auteur des Caractères ; et il a sans en avoir l’air l’art de jeter des apophtegmes : N’importe quelle idée ne semble-t-elle pas personnelle dès qu’on ne se rappelle plus à qui l’on a empruntée ? ( p. 147 ) ou, évoquant les aveux d’un écrivain : écrire lui était devenu le seul moyen de parler sans être interrompu ( p. 150 – euh… je confirme ! )
Vous avez aimé L’élégance du hérisson ? Vous adorerez Les invités ! Et vous comprendrez que le titre du roman de Pierre Assouline peut se comprendre de bien des façons…
Lu dans la « collection blanche », qu’on ne présente plus. Un grand classique qui a fait ses preuves ! Sauf que depuis quelques années, la blanche s’offre une jaquette.
Comme quoi il n’y a pas que les enfants qui veulent des images !