Comme le savent les enseignants de Lettres des collèges, les nouvelles instructions les invitent à bouder les textes de « littérature jeunesse » pour privilégier « les classiques ».
Cette nouvelle méthode va évidemment révolutionner l’enseignement du français et donner enfin aux plus jeunes l’accès aux textes majeurs de la littérature... ouf !
Je me demande quels spécialistes se sont prêtés à une telle analyse ?
Sûrement pas les profs des ZEP qui, dès la 6ème, ont déjà bien des difficultés à intéresser les jeunes à l’écrit en général, et à la lecture de récits qui pourraient faire de leurs élèves des lecteurs attentifs et passionnés !
J’ai connu l’époque héroïque, les années 80, où mes propres enfants ( qui sur le plan littéraire n’étaient pas vraiment des « laissés pour compte » ), peinaient sur la version intégrale des Misérables qui leur était imposée. Sans parler du Père Goriot lu en classe de 5ème.
Mais si, j’ai des noms, des lieux, des dates et des faits !
Bon, mes propres enfants étaient issus d’un milieu assez favorisé pour franchir l’obstacle et continuer à aimer lire... mais que de non-lecteurs définitifs a-t-on fabriqués à l’époque avec de telles méthodes !
Eh bien trente ans après, on y revient !
J’entends d’ici quelques réprobations :
1/ Mais alors, faut-il définitivement abandonner La Fontaine, Voltaire, Zola et Maupassant ?
Bien sûr que non ! C’est justement pour que les débutants lecteurs puissent un jour y avoir accès qu’il faut, en parallèle, leur proposer une autre littérature, attrayante et contemporaine, dont le vocabulaire et les thèmes les touchent ! Utiliser ces textes comme tremplin n’a jamais supposé qu’il faille remplacer Stendhal par Christian Grenier !
D’ailleurs, ces grands classiques sont abordés par les livres de lecture, qui en livrent des extraits. Il va de soi que notre grand fonds littéraire doit perdurer, et que les fables de La Fontaine ou les pièces de Molière restent d’actualité !
2/ Ah ah, vous prêchez pour votre chapelle ! C’est là un point de vue corporatiste !
Sûrement pas.
Même si je suis devenu un professionnel de l’écriture, j’ai trop longtemps été enseignant pour ne pas voir, au-delà des intérêts privés d’une profession, celui de la littérature en général... et des lecteurs en particulier !
Ce que je défendrai jusqu’au bout, ce n’est pas la littérature jeunesse ( on y trouve aussi le pire... comme partout ailleurs ! ), c’est la littérature tout court, dont certains grands textes de littérature jeunesse font indéniablement partie, et dont certains autres, parfois modestes, participent au plaisir et à l’élan nécessaires auxquels les jeunes lecteurs doivent avoir accès s’il veulent aborder plus tard les textes majeurs de nos grands ancêtres.
Ces mesures, si elles sont appliquées à la lettre, vont avoir deux conséquences évidentes :
* La reprise à grande échelle des grands classiques abrégés. Certains éditeurs en font leurs choux gras. Certes, publier une version réécrite et raccourcie de L’Iliade et L’Odyssée en 150 pages est une opération lucrative... et sans risque. Seulement la littérature, c’est aussi la vie, l’actualité et l’authentique. De même que les jeunes générations fournissent les retraites de leurs aînés, c’est la littérature d’aujourd’hui qui fait perdurer celle d’hier.
* La désaffection définitive de plusieurs classes d’âge pour la lecture en général.
A l’image de cette vieille publicité : « Un Ricard sinon rien ! », il sera proposé aux élèves des collèges : Une Chartreuse ( de Parme ) ou rien !
Grâce aux efforts déployés pour privilégier les écrans, ordinateurs et autres tablettes numériques au détriment des budgets alloués au Livre... gageons que le RIEN a de fortes chances de l’emporter.
CG
1 De Colette Broutin -
Bonjour !
J'étais professeure de français et j'ai longtemps enseigné en ZEP, à La Courneuve. Je suis en retraite depuis quatre ans et je déplore, comme vous, le contenu des nouveaux programmes. J'y vois une revanche idiote d'une partie du corps d'inspection. J'insiste sur ce point car j'ai vécu une période formidable où nos IPR de Lettres nous accompagnaient dans l'élaboration de la mise en oeuvre de pratiques pédagogiques intégrant la découverte de la littérature de jeunesse. J'écris, maintenant, pour la revue LECTURE JEUNE mais je constate, aussi, dans mes activités d'accompagnement scolaire combien les collégiens sont dégoûtés de la lecture !
2 De Boutier Christophe -
Je partage mille fois l'avis de Christian et de notre collègue aujourd'hui retraitée. Pour ma part, je continue à me battre en poursuivant le projet de monter une fête de la littérature jeunesse au sein de mon collège : j’invite des auteurs jeunesse tous les ans. Nous préparons activement ces rencontres avec mes collègues et je crois pouvoir dire que les enfants adhèrent et aiment à se souvenir de ces belles journées de BONHEUR !!!! Tout n'est donc pas mort ! Je continuerai ces projets tant que je verrai la pupilles des élèves briller et tant que l’on m’en donnera les moyens. La DRAC (je suis en Auvergne) vient de m'accorder une subvention de 1000 € pour poursuivre le travail sur le goût de lire... Alors hauts les coeurs ! Courage à tous!
3 De grenier -
Merci, chère Colette Broutin, pour cette réaction rapide et spontanée... reste l'espoir que beaucoup réagiront comme vous et mettront tous les moyens en oeuvre pour doper la lecture chez les jeunes !
4 De saxaoul -
Documentaliste en lycée professionnel, je fais de la résistance et 99% des fictions que j'achète sont de la littérature de jeunesse ou du contemporain. Le peu de classique que j'ai dans mon fonds ne sort pas très souvent !
5 De Pascale Maret -
Des réflexions pleines de bon sens, dont les inspecteurs ou autres sbires du ministère de l'éducation semblent bien dépourvus.
6 De Gudule -
Mille et mille fois d'accord avec toi, mon cher Christian. Que de fois, lorsque je faisais des rencontres dans les classes, j'ai entendu les collégiens se plaindre : "On est obligés de lire "Madame Bovary (ou tout autre texte inadapté à leur âge, à leur langage et à leurs préoccupations). Alors qu'il existe tant de chemins pour les mener sans douleur au plaisir de savourer ces textes-là, justement. Et en les écoutant, je me disais : "Quelle insulte à Flaubert (ou à Stendhal, ou à Hugo...) que de faire de leurs œuvres un pensum, en contraignant un lectorat inadapté à les ingérer contre son gré. Que de fois ces grand hommes ont dû se retourner dans leur tombe ! Et comme ils protesteraient, s'ils étaient encore là ! Lire est un plaisir, et des instances ineptes s'échinent à le tuer dans l'œuf. Mais c'est pour le bien des enfants, n'est-ce pas !
7 De line illustrations -
Entièrement d'accord avec vous sur le fait qu'il faut d'abord faire naitre l'envie ... on est aujourd'hui dans une société qui fonctionne à l'immédiateté : il y a tellement de choix disponibles en terme de culture et de divertissement qu'une simple mauvaise première impression peut refroidir définitivement un jeune lecteur. Captiver et ferrer. Voilà le nouveau credo :-) .
8 De grenier -
Merci à toi, chère Gudule, merci à Saxaoul et à Line pour leur appui... ca réchauffe le coeur de savoir qu'on n'est pas seul et... qu'il y a de la résistance !
9 De Jessica -
Bonjour et merci pour cette analyse que je trouve très juste. J'ai heureusement conservé le goût de la lecture, mais je garde une certaine rancoeur face aux lectures imposées dans mes années lycée. J'ai, par exemple, un très mauvais souvenir de Germinal qui, lu à 14 ans, m'a presque traumatisée. J'avoue honteusement n'avoir plus jamais ouvert un livre d'Emile Zola depuis... Les professeurs devraient se rendre compte que ce n'est pas parcequ'il a une dimension historique et littéraire reconnue, qu'un texte ne peut pas choquer un enfant.
Je me pose quelques questions face à l'immobilisme de l'Education Nationale. En effet, les grands classiques n'ont pas changés depuis plusieurs décennie... Est-ce que les grands auteurs de la littérature française seront à jamais les même ? Fera t-on toujours lire Maupassant et Stendhal aux élèves dans les années 2090 ? Aucun livre écrit depuis 1862 ne peut-il concurrencer la lecture des Misérables ? Ou est-ce que la nostalgie affecterait notre jugement littéraire ?
10 De Hélène Louise -
Comme toujours, je trouve les propos de M. Grenier très pertinents et éclairés.
Pour ma part j'ai tant trouvé de bonheur à lire depuis le CP que je bataille pour que tous les enfants autour de moi connaissent ce plaisir - en plus de ceux que propose notre société par le biais d'internet, que je suis loin de bouder moi-même !
Le premier point important est qu'il faut mettre le pied à l'étrier et là, à mon sens, tout est bon : BD, albums, mangas, livres jeunesse faits "sur mesure" (même si la qualité de certains laisse à désirer). L'accroche est fondamentale et ne doit jamais être douloureuse. Et je suis convaincue qu'il n'est jamais trop tard pour commencer, mais qu'il faut s'adapter aux attentes de chacun. Par exemple, mon fils n'a lu que des BD jusqu'à l'âge de 11 ans, alors que sa soeur aînée a plongé tête baissée dans la lecture à la première occasion. Le premier a commencé par de la fantasy jeune adulte (Eragon) et je peux vous dire que j'ai pris le train en marche en lui proposant de la fantasy à gogo ! Et pourtant les lectures scolaires passent bien, il a aimé Les trois mousquetaires, un Clavel que j'aime beaucoup, etc.
Les classiques ont de bonne raisons de l'être : ce sont des livres qui passent les siècles et aussi qui vieillissent bien avec le lecteur. J'ai parfois été déçue en relisant très longtemps après des livres adorés, mais des classiques, jamais ! Je les ai redécouverts, mêlant mes souvenirs à mes nouvelles impressions.
Je suis donc également convaincue qu'il faut proposer de la variété à l'école, du début à la fin : niveau de lecture, genre, classiques... en variant ces derniers, d'ailleurs : il y a des classiques que j'adore et d'autres qui m'ennuient beaucoup.
Voilà, je sais qu'en chaque enfant ou adolescent un lecteur sommeille, et que tous les efforts doivent être faits pour l'éveiller, en respectant ses possibilités et ses goûts initiaux, sans snobisme de genre, pour le faire évoluer jusqu'à être capable d'apprécier la variété et même, à terme, de lire un livre sans forcément l'adorer, simplement parce que ça peut être intéressant aussi ...
11 De CLO -
Bonjour Christian (si vous me permettez)...
Je suis tout à fait d'accord avec vous et déplore aussi l'abandon de la littérature de jeunesse dans les nouvelles orientations de collège. Mais rassurez-vous : je suis parvenue à vous intégrer à mon programme de français de 4ème. Je vous dirai comment une autre fois. Pour l'instant, je suis toute à mon enthousiasme d'avoir découvert la page de Marc Mosnier qui explique comment s'est réalisée la couverture de votre nouveau roman et à l'élaboration de mon "rallye virtuel" que j'effectue à partir de votre page de site Internet.
Pour vous garder avec nous (oui, les enfants adorent vos livres), il y a des passerelles... Nous devons apprendre à nos élèves à utiliser Internet et à acquérir des compétences informatiques, par exemple. Par ce biais, on peut faire rentrer encore des livres de littérature de jeunesse. Après, l'enseignant peut proposer un blog "lecture" ou toute autre activité.
Je n'ai pas trop le temps de m'attarder mais je vous écrirai prochainement afin de vous mettre au courant de ce que j'ai imaginé pour mes élèves. Juste un petit bonheur pour ce matin : je peux vous dire qu'ils ont été très sensibles au personnage de Cyrano. Ainsi l'ont-ils découvert d'une manière attractive et nul doute que le prochain livre qu'ils auront entre les mains sera la pièce d'Edmond Rostand ! On va ainsi de leur monde à la littérature et ils s'approprient les grands textes par plaisir et non sous la contrainte.
Je souhaiterais que mes élèves entrent en relation avec vous. Est-ce possible ? J'espère que vous lirez ces lignes et voudrez bien me donner toute indication pour que cette correspondance puisse se réaliser.
D'avance, merci.
Clothilde.
12 De christian grenier -
Merci, Clothilde, pour ces commentaires si positifs.
Tout ce que vous me confiez concernant le passage de mon @ssassins.net au Cyrano d'Edmond Rostand me ravit. Car l'un des rôles de la littérature jeunesse est précisément de servir de passerelle !
Pour me joindre, deux possibilités : utiliser le bas de la page d'accueil de mon site ( écrire à l'auteur ) ou, plus directement, m'écrire à mon adresse mail perso :
chrisgrenier@sfr.fr
A bientôt, et plein d'amitiés !
13 De christian grenier -
Et merci aussi à Jessica et Hélène Louise pour leurs commentaires si pertinents.
Nous sommes bien d'accord ; c'est précisément pour que les jeunes puissent accéder aux classiques que l'usage de la littérature jeunesse peut être recommandé...
Il n'a jamais été question de rayer les classiques des programmes, mais bien au contraire d'utiliser TOUS les moyens permettant à des lecteurs peu expérimentés d'y accéder, et d'apprendre à les aimer !
14 De Didier Dufresne -
Cher Christian,
Une fois de plus, ton analyse est bonne. Et en ces périodes où notre système éducatif est extrêmement menacé, il en faudrait encore plus, des Christian(s) Grenier(s) pour dire tout haut ce que certains (moi le premier...) pensent tout bas sans assez l'exprimer !
15 De Jennifer Dalrymple -
Bonjour Christian et tout le monde sur le oueb. Je pense que les classiques sont intemporels parce que ce dont ils parlent pourrait (presque ) se passer à toute époque. Ce qui me plairait serait qu'on lise Zola en faisant un lien très clair avec les sweat-shops d'Asie dans lesquels sont fabriqués nos petits souliers, que l'on relise Molière ou La
Fontaine en se demandant si la situation est différente ou bien s'il y a toujours des tartuffes, des précieuses et si la loi est différente selon qu'on est puissant ou femme de chambre. Et Les humanistes s'ils pouvaient nous inspirer à l'action, ici et maintenant. Ce serait bien si ces livres là pouvaient être lus pour leur contenu et non pas pour le programme...
Bises à tous et la bise à Annette. Jennifer
16 De Roselyne Bertin -
Je prends le train en marche et mets le clavier en route afin d'apporter ma pierre à l'édifice. Merci à toi, Christian, de crier haut et fort ce qui m'a révoltée tout au long de ma vie de prof, à savoir les sacro saints programmes qui ne tiennent absolument pas compte des goûts, des centres d'intérêt, des désirs de nos élèves...
D'accord avec vous tous pour pour dire que les classiques, ils y viennent un jour, à condition que l'on ne les ait pas auparavant dégoûtés de la lecture sous prétexte de respecter des directives ministérielles ridicules. Respectons d'abordle moi profond des adolescents que nous avons en face de nous !
Au plaisir de te revoir, Christian !
Roselyne
17 De Claire K -
Je suis entièrement d'accord.
D'un point de vue d'élève, la littérature classique apparaît comme un cauchemar (le jour où la prof de français, en seconde, nous a annoncé qu'on allait lire le Père Goriot en oeuvre intégrale, tout le monde sans exception a soupiré). Même dans un lycée "favorisé".
Il fut un temps où les "classiques", comme les livres de Dumas, ou même de Hugo, étaient des romans-feuilletons dans les journaux populaires qui étaient sans doute méprisés par l'élite culturelle, comme le sont aujourd'hui les livres "jeunesse".
Je connais des collégiens qui considèrent que "la lecture, c'est nul!" (voire font des cauchemars) après avoir étudié Maupassant, sa vie, son oeuvre, ce qui est dommage pour la littérature... Il faudrait une approche plus progressive des classiques, comme vous le dites, à travers des livres plus modernes: c'est tellement dommage, même au lycée (ou au-delà), de séparer les ouvrages "citables en dissertation" et ceux qui sont à en bannir...
18 De Roselyne Morel -
Auteur, ancienne documentaliste, mère et grand-mère, je me réjouis de ce que tu écris de manière aussi limpide et je te renvoie à un article que j'ai écrit dans la Revue des Livres pour Enfants (p. 145, n°256, décembre 2010). Tout à fait d'accord sur "le passage" de l'une à l'autre littératures et sur la qualité littéraire -et les horreurs- que l'on trouve en adulte comme en jeunesse.
Amitiés