Pourquoi vous écrivez ?

( les lecteurs de l’éditorial du site peuvent passer au chapitre suivant ! )

Ou, posée par les adultes : Pourquoi écrivez-vous ? Ou encore :

Vous écrivez… pourquoi ? Pour quoi ? Un quoi qui sous-entend pour quoi faire et pour qui ?

Cette question pourtant simple ( trois mots ! ) me plonge dans l’embarras !

Souvent, je réponds : demande-t-on à un chanteur un peintre ou un alpiniste pourquoi il chante, peint ou part à l’assaut des sommets ?

C’est à la fois gratuit et assez mystérieux.

Gratuit ?

Oui. A dix, quinze ou vingt ans, je n’écrivais pas pour gagner ma vie mais par passion, par besoin. D’ailleurs, il y a mille autres moyens plus rapides et plus efficaces pour vivre, 49 écrivains sur 50 ont un autre, un vrai métier.

Ce n’était pas non plus pour devenir célèbre – ou même avoir mon nom sur la couverture d’un bouquin.

Ce qui ne répond pas à la question.

Longtemps, j’ai répondu : « j’écris pour changer le monde », à l’image de Jean Ferrat qui avouait : « je ne chante pas pour passer le temps ».

C’est vrai : j’ai des angoisses, des convictions, des espoirs. Et l’écriture est un acte magique ( au sens propre ) qui me permet de les matérialiser.

C’est une façon de les formuler et de me désinhiber, je suppose.

On me rétorquera que je raconte d’abord des histoires avant de vouloir en tirer des leçons. Sans doute. Mais depuis mon premier récit ( Les méchants sont toujours punis, conte utopique écrit à six ans et demi ), je cultive le besoin de communiquer avec d’improbables lecteurs, le premier d’entre eux étant moi-même à qui je formule souvent une question déguisée ou un défi.

Ecrire, c’est dialoguer avec soi par écrit, pour fixer sa pensée et la faire avancer.


Suite de la réponse livrée dans l'éditorial :


Ces questions, la fiction me permet d’y répondre au moyen de personnages et d’aventures imaginaires, parce que la vie courante ne me permet pas d’agir.

Ecrire, c’est donc se projeter dans d’autres situations – de même que lire, c’est vivre d’autres vies par procuration.

Soixante ans plus tard – eh oui ! – se profile un autre élément de réponse, que Jules Renard a formulé de façon lapidaire :

Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu.

Là encore, mes lecteurs vont sourire : quand vous parlez, on ne vous interrompt pas !

Détrompez-vous. Quand je suis en intervention, je trompe mon monde. On me laisse la parole et je la prends. Mais dans la vie courante, j’écoute surtout mes interlocuteurs. Je m’intéresse à ce qu’ils me confient. Un écrivain est souvent un auditeur attentif, qui fait son profit de tout, qui le digère pour le ressortir magnifié sous la forme déguisée d’un roman.

Enfant, je n’avais pas la parole. J’ai grandi en écoutant. En ruminant et en cogitant. Ecrire, c’était je crois « parler sans être interrompu ». Sans qu’on m’oppose une interdiction, un rire ou la formule : Les enfants n’ont pas la parole...  Tu te tais...  Tu comprendras plus tard !

Aujourd’hui, les enfants ont la parole. Et les ados s’expriment bien plus qu’avant. Ne serait-ce qu’avec les SMS, textos, blogs et autres réseaux sociaux. Echanges à la frontière de l’oral, souvent superficiels et factices.

Très tôt, j’ai utilisé l’écriture pour construire et formuler ma pensée. Sans génie, simplement par imitation. Parce que les auteurs que je lisais ( que faire d’autre que lire quand on n’a ni télé, ni frère et sœur ni copains ? ) me faisaient réfléchir et rêver. Et que, sorti de l’école, ces deux activités meublaient et comblaient ma vie.

En même temps, soixante ans plus tard, il m’arrive de m’interroger : » Tu écris encore et toujours. Mais pourquoi ? Que d’énergie et de temps perdus ! » Au fond, l’écrivain n’est pas vraiment responsable. Ecrire devient peu à peu une maladie, une drogue, un besoin. Une obsession que des milliers de lecteurs, parfois, encouragent. Une douce aliénation qui peut tourner à la frénésie maniaque et solitaire. Car à l’inverse du comédien qui a besoin du public, l’écrivain n’a pas toujours besoin du lecteur.

Au fond, face à l’écriture, deux attitudes sont possibles :

1/ Je veux publier, être lu, rejoindre ce prestigieux club fermé. Je veux devenir le nouveau Rimbaud ( Flaubert, Tolkien… Hugo voulait bien être « Châteaubriand ou rien » ! ) et, pour cela, me plier au besoin… aux besoins et aux désirs des lecteurs – ou des éditeurs, question de plus en plus épineuse. Faute de quoi écrire est inutile et vain.

2/ Le besoin d’écrire me dévore ( lire Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke ) et je l’utilise pour m’exprimer, au sens propre : faire sortir en mots ce que j’ai en moi. Du moi au mot. Des mots à l’émoi – quitte à ne pas être lu ou compris, dès l’instant où je peaufine et grandis mes exigences.

Bien sûr, la plupart des auteurs ne cessent de louvoyer, d’hésiter ( parfois leur vie durant ) entre ces deux nécessités, ces deux exigences.

Sans caricaturer, disons que les échanges épistolaires entre Flaubert et Sand ( voir ma lecture du mois du ) évoquent souvent ces deux points de vue extrêmes, Sand écrivant pour faire vivre sa famille, Flaubert de façon plus gratuite.

Pourquoi, pour quoi écrire ?

Une question simple et grave, qu’un auteur se pose sa vie durant, et à laquelle il ne cesse de répondre de façon souvent nuancée et différente.

CG

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