En 1984, dans un embouteillage à Tokyo, la jeune et séduisante Aomamé abandonne son taxi immobilisé sur une voie aérienne ; elle emprunte un escalier de secours et rejoint le niveau du sol. Elle a une mission urgente à accomplir : assassiner proprement un riche inconnu. Après quoi elle draguera à son aise un homme mûr et presque chauve, ses goûts sexuels la portant vers des sosies de Sean Connery…
Mais Aomamé comprend peu à peu que le monde a changé. D’abord, l’arme de service des policiers n’est plus la même… et renseignement pris, ce changement ne date pas d’hier ! Ensuite, une station habitée existe sur la Lune. Enfin, des événements inédits ont autrefois secoué le monde : une révolte a eu lieu, « les combats du lac Motosu », qui ont opposé les autorités à un groupe de révolutionnaires écologistes surnommé « L’Aube ». Il y a aussi ce fait divers bizarre, cet employé de la NHK qui, autrefois, a tué à coups de couteau quelqu’un qui… refusait de payer sa redevance télé !
Bref, le passé ne correspond plus à celui qu’elle a connu.
Cette modification du réel date du moment où elle a quitté son taxi… D’ailleurs, le chauffeur ne l’avait-il pas prévenue ? « si vous faites cela, il n’est pas impossible qu’ensuite le paysage vous paraisse un peu différent de celui de tous les jours. Mais il ne faut pas se laisser abuser par les apparences. La réalité n’est toujours qu’une. »
Elle s’interroge : qui est devenu fou, elle… ou le monde ?
De son côté, un autre personnage, Tengo, repense à son enfance, triste et solitaire, passée avec un père qui, chargé de faire payer la redevance télé, l’emmenait de force chaque dimanche chez les mauvais payeurs… Romancier débutant sujet à des crises étranges de « perte de réalité », Tengo se voit confier par son éditeur, Komatsu, la mission de « rewriter » le roman original mais maladroit de Fukaéri, une lycéenne de 17 ans. Dans ce récit de fantasy, La chrysalide de l’air, il est question d’un étrange petit peuple qui a besoin de boire de l’eau – de pluie, de préférence – les Little people. Pour convaincre la jeune Fukaéri de se prêter à ce subterfuge qui pourrait leur permettre de décrocher un prix littéraire, Tengo rencontre la lycéenne. Dyslexique et presque autiste, la jeune fille lui avoue, par bribes, qu’elle n’a pas écrit mais dicté son récit à une camarade plus jeune. En outre, pour qu’elle accepte cette proposition de réécriture, Tengo doit d’abord rencontrer Ebisuno, le « Maître » de la lycéenne.
Ebisuno, dont la fille est l’amie de Fukaéri, est un savant oublié qui vit reclus dans la montagne, il raconte à Tengo la naissance, autrefois, d’un groupe de dissidents écologistes, bien décidés à passer à l’action…
Mes lecteurs fidèles connaissent mon goût inconditionnel pour les ouvrages de Murakami. Dans ce premier opus d’une trilogie orpheline ( le tome 3 n’est pas encore sorti en France ! ) le maître contemporain de la littérature japonaise intrigue et fascine son lecteur plus que jamais. D’abord grâce à la personnalité de ses protagonistes, tout particulièrement Tengo et Aomamé ; ensuite à cause de la construction très particulière d’un récit qui flirte avec la SF en général… et avec l’uchronie en particulier ; enfin, en raison de son style très particulier, une écriture presque blanche dont la précision et l’efficacité scotchent le lecteur au récit sans autre raison particulière – un mystère !
A quoi bon mêler ma voix au concert de louanges qui a salué la sortie des deux premiers tomes de 1Q84 ? Un indice : ce titre, discret hommage à Orwell, diffère du titre original à cause de ce Q à la place du 9. Un décalage avec le réel. Un Q qui ( paraît-il ) se prononce en japonais comme le chiffre 9. Un Q, surtout, comme le mot Question…
Murakami a l’art, en effet, d’intégrer à la littérature générale les doutes que la SF s’ingénie depuis des décennies à insinuer aux lecteurs ; l’art de leur faire se poser des questions sur le monde, l’individu, l’enfance, le destin - et sur certains événements en apparence mineurs qui, au sein de nos sociétés, sont capables de bouleverser l’ordre des choses…
Un ouvrage hybride et inclassable, qui pourtant fera date.
Lu dans sa version unique, un superbe ouvrage grand format d’une sobriété exemplaire.
Quel plaisir de lecture !
1 De le buveur d'encre -
Tout à fait d'accord avec toi, Christian. C'est le premier livre de Murakami que je le lis et je suis scotché.
D'ailleurs, je suis actuellement dans le tome 2...