La pire des récessions, c’est sans doute le repli.
Un repli sur son pays ( nationalisme ) ou sur soi ( égoïsme ) qui suggère que si les autres, ce n’est pas encore l’enfer, ils ne deviennent sympathiques et fréquentables que s’ils sont loin de vous.
A l’occasion du dernier Salon de Montreuil, je suis allé passer quelques jours à Paris.
Ne plus vivre dans la capitale, y faire un saut bref deux ou trois fois par an, c’est être soudain frappé par une évolution rapide des comportements…
En six mois, il m’a semblé que le nombre des SDF s’était multiplié : impossible de faire cent mètres dans la rue ou de prendre le métro sans être croisé par quelqu’un qui vous demande une cigarette, un ticket-restaurant, un euro.
Peut-être pour échapper à ces indésirables solliciteurs, la plupart des passants et passagers du métro s’isolent au moyen d’un de ces nouveaux trucs électroniques sans lesquels vous passez désormais pour un plouc : I-Pad, DS, tablette, liseuse, téléphone portable… bref, un machin muni soit d’écouteurs ( pour vous occuper les oreilles ) soit d’un écran ( pour vous occuper les yeux et les doigts ). Privé de cet accessoire indispensable et tendance, vous êtes tout nu. Ou bien vous rejoignez un club privé, si intime que leurs adeptes ne communiquent que par un humour distant et complice.
C’est ainsi que je me suis retrouvé, début décembre, assis ( par chance ! ) dans une rame de métro de la ligne 9, un livre entre les mains ( La délicatesse de Foenkinos, voir ma critique sur le blog ! ). Ayant levé les yeux ( « bon, j’ai encore trois stations avant Robespierre » ), j’ai soudain noté qu’autour de moi, tous les passagers étaient occupés à communiquer avec l’un des appareils susnommés, chacun bien isolé dans sa bulle. Une vraie séquence de SF ! Un extrait vivant de THX 1138 ( premier film de George Lucas pour les non initiés ).
C’était si comique que je me suis surpris à sourire. Un sourire dont j’ai tout à coup aperçu l’écho sur les lèvres de la passagère qui me faisait face. Forcément : elle lisait, elle aussi - un livre de poche dont je n’ai pu voir ni le titre ni l’auteur.
En une seconde, son regard a balayé le wagon avant de revenir vers moi.
Traduction : « Incroyable, non ? Nous sommes deux à lire ! Et… à communiquer sans même avoir besoin de parler ! Nous faisons partie d’une espèce en voie de disparition… »
Les yeux de la passagère se sont abaissés vers l’ouvrage que j’avais en main. Elle a incliné la tête et son sourire s’est accentué.
Traduction : « Très bon choix. Je l’ai lu. Vous allez voir, c’est formidable. »
Puis elle a replongé dans sa lecture. Et moi dans la mienne.
Un bref moment de complicité qui m’a ravi.
Je ne critique pas celles et ceux qui passent leur vie avec ces nouveaux moyens de communiquer. Après tout, le livre est aussi un moyen de fuir le réel et de dialoguer… avec des écrivains souvent disparus et des héros virtuels !
Mais je m’interroge.
Mes petites-filles n’échappent ni à la règle, ni aux modes. Pendant les congés de Noël, elles se disputaient souvent pour accéder aux deux ordinateurs de la maison connectés sur Internet tandis que l’aînée, entre deux devoirs, tripotait elle aussi son téléphone portable pour rédiger des textos.
Rentrée chez elle à Paris, notre fille a eu la bonne idée de les interroger :
- Quel a été le meilleur moment de vos vacances de Noël ?
Elle pensait qu’elles évoqueraient le repas du réveillon ou la découverte des cadeaux… eh bien non !
L’une a répondu : « Les parties de scrabble qu’on faisait le soir tous ensemble ! »
Une autre : « Le puzzle qu’on a mis trois jours à finir ! »
La dernière ( la plus jeune, 6 ans ) : « L’après-midi passée en forêt à cueillir des champignons ! »
Nous ne sommes pas trop guettés par le repli.
Et le réel a encore de beaux jours devant lui.
Merci, les enfants !
C.G.
1 De Le cédéiste -
Ah, la belle société humaine de consommation que la nôtre ! I-pod, i-pad... tripod.. quadrupode et... i-paye !!!!!
Et pendant que la pelouse du stade de foot de l'AJ Auxerre est chauffée (ouf ! le match aurait pu être annulé), des gens meurent de froid !
Les jeux de société, fantastiques vecteurs de partage et de communication ! Des jeux qui, pour la plupart, sont ... allemands ! (Aïe !) Car en Allemagne on regarde -apparemment - moins la télévison que chez nous...
On embrasse la famille Grenier.
Christophe
2 De Sei -
C'est fou à quel point le métro Parisien et le métro Lillois sont différent ! Justement jeudi dernier en cours,une élève originaire de Paris se disait surprise de prendre le métro sur lille, car ici, les gens laisse descendre les passagers avant de monter dans la rame (ce qui parait logique !) alors qu'à Paris c'est "on monte d'abord et les autres descendent s'ils y arrivent !".
Bref, juste pour ajouter que la comparaison ne s'arrête pas là. Je prends le métro tous les jours pour aller à la fac et pendant au moins une demi heure. je peux vous assurer que les lecteurs de Livres et de journaux remplissent une bonne moitié de la rame de métro (Lillois !). Mais bon j'avoue qu'une bonne moitié écoute aussi de la musique. Moi je ne me reproche rien, je fais les deux à la fois !
Une bonne soirée à tous.
Sei.
3 De Lysa -
Merci Christian de nous faire partager ce moment de vie. Gardons espoir ! la preuve, les enfants aiment encore jouer au jeux de société, se balader en forêt et le puzzle ! tous cela révèle que l'être humain est fait pour la relation (jouer ensemble...) et non l'enfermement (les yeux braqués sur un écran et les oreilles bouchées sur les cris, autour, de tant de personnes qui ont besoin d'un sourire, d'une poignée de mains, d'un peu de pain...)
4 De GRENIER -
Merci, un grand merci à vous, Lysa, Sei et Christophe... votre réaction me réchauffe le coeur, résistons !
Je n'ai jamais pris le métro de Lille, Sei, mais je crois qu'il vaut le détour. Il se peut aussi que du côté des universités, dans le métro, la lecture soit plus tendance que les jeux vidéo.
Oui, Lysa, les mots clés sont sans doute relation et partage... le contraire de l'enfermement !