1944… pendant le fameux « Blitz » de Londres, le grand écrivain anglais H.G. Wells, amer et oublié, est en fin de vie, entouré de ses enfants Gip ( l’un des deux fils qu’il eut avec Jane ), Anthony ( le fils qu’il eut de Rebecca West) et Rebecca elle-même la dernière ( ? ) femme de sa vie.
C’est le point de départ d’un long flash back de… 700 pages, au cours duquel est relatée la vie intime de l’écrivain, moins littéraire que familiale, sentimentale ou même érotique.
Souvent au moyen de questions que Wells, dit Aigie, se pose lui-même ( ou que David Lodge, complice érudit, impose à son interlocuteur défunt ), nous est racontée… toute une vie bien remplie, pourrait-on dire en parodiant Pierre Autin-Grenier. Une vie remplie de livres mais aussi et surtout de femmes. Une vie consacrée à l’écriture, à une jolie collection de maîtresses, et à une certaine idée du socialisme et de l’avenir de l’humanité.
Car H.G. Wells, après une adolescence effacée et un mariage raté avec une cousine dont il avait un peu trop rêvé, finit par épouser Jane… et par la tromper très vite.
Très tôt adhérent de « la société fabienne » ( l’ancêtre du Parti Travailliste, pour faire court ), Wells devint vite un fervent adepte de ce qu’il appela l’un des premiers « l’amour libre ». Une pratique qu’il finit par faire admettre à Jane, épouse sage et résignée à laquelle il fit deux enfants. Mais oui : Jane accepta et accueillit même les autre femmes que son mari connut, depuis les simples passades ( en français dans le texte ) à des relations sérieuses et souvent… très encombrantes ! Ainsi en fut-il de la jeune Amber, admiratrice et fille de vieux amis du couple, une maîtresse dont il tomba amoureux… et eut une fille. Amber qui, poussée par son amant hélas déjà marié, finit par épouser Blanco White dit Rivers, un rival ambigu…
Passons sur la liaison de Wells avec l’écrivain Elisabeth von Arnim ( dite Little E. ) pour ne garder que sa passion pour Rebecca West, écrivain dont l’intelligence le fascinait. Une passion que perturba une liaison de fin de vie avec la Russe Moura, rencontrée lors d’un voyage en URSS. Moura qui fut sans doute la maîtresse de Gorki… mais aussi une espionne, et probablement un agent double !
Comment résumer autrement ce que David Lodge a lui-même baptisé la « biographie romancée de H.G. Wells » ? Un « homme de tempérament, Wells ? » Disons que le titre « Un chaud lapin » aurait nettement mieux convenu ! En effet, parmi les hommes de Lettres amateurs de femmes, Wells pourrait sans doute se vanter d’arriver juste après Simenon ( et chronologiquement un siècle avant DSK ! ) !
Avec plusieurs justifications…
1/ Wells n’a jamais caché à quiconque son intérêt pour le sexe et les femmes, ni à G. Bernard Shaw, ni à Henry James ( écrivains avec lesquels il entretint toute sa vie une correspondance et des rapport parfois orageux ), et encore moins avec les femmes qu’il épousa et/ou dont il eut des enfants
2/ Auteur universellement reconnu ( le plus célèbre au monde en 1920, affirme David Lodge ) notre Don Juan des Lettres devait affronter de nombreuses « fans » qui, connaissant son goût pour les aventures passagères, n’hésitaient pas à forcer sa porte – ce qui finit moins par le servir que par l’encombrer !
Soyons clair : ce récit est une somme colossale, passionnante, une entreprise qui d’ailleurs dut dépasser David Lodge lui-même, car arrivé à la page 626… on sent que l’auteur se résout à résumer les 25 dernières années de la vie de son héros.
Une vie qui va s’achever dans une amertume grandissante…
En effet, si le jeune Wells a vite connu la célébrité avec La machine à explorer le temps ( 1895 ), L’île du Dr Moreau ( 1896 ), L’homme invisible ( 1897 ), La guerre des Mondes ( 1898 ) et Les premiers hommes dans la Lune ( 1901 ), qui connaît, qui a lu La guerre dans les airs, Anne Véronique et Tono-Bungay ?
Auteur prolixe et engagé, Wells ( qui mourra en 1946 ) aura passé les quarante dernières années de sa vie à militer pour la paix et un hypothétique « gouvernement mondial ».
Dès le début du XXe siècle, il prédit les chars d’assaut, l’usage de l’aviation dans les guerres futures et… la bombe atomique ! Il envisage aussi de rédiger une Encyclopedia Universalis et rêve que chacun puisse disposer d’un moyen ( Internet ? ) d’accéder à toutes les informations disponibles dans le monde. Il se veut aussi, dans ses derniers ouvrages ( plusieurs dizaines, hélas tous passés à la trappe ! ) le chantre d’une nouvelle société, et il œuvre pour un gouvernement mondial… qui ne verra jamais le jour.
Cassandre moderne, prophète devenu misanthrope, il aurait même fait graver sur sa tombe l’inscription provocatrice : « Je vous l’avais bien dit, bande de cons ! »
Autant le révéler : même si David Lodge ne fait pas ici étalage de son humour habituel, c’est là, dans son genre, un texte à mes yeux majeur. Mais je crains qu’il ne soit apprécié que par certains inconditionnels ( de David Lodge et d’H.G. Wells )… dont je fais bien sûr partie.
Lu dans son unique version en grand format, un très beau livre épais et souple, au papier fin mais blanc, de si bonne qualité qu’il a supporté toutes les annotations à l’encre dont j’ai émaillé presque chacune de ses pages !