Le livre numérique remplacera-t-il le livre papier ?

Cette question, qui m’a été récemment posée par deux collégiennes de Troisième, mérite une réponse simple et claire :

- NON !

Mais elle mérite aussi... les justifications que voici.

Dans mon roman Virus LIV 3, qui aborde indirectement la question,j'imagine, de façon provocatrice, que des "Lettrés" gouvernent l'Europe dans le futur. Une hypothèse à laquelle je ne crois, hélas, pas une seconde !

Aussi, la SF n'a pas pour mission de prophétiser, mais, à partir d’hypothèses farfelues, provocatrices ou même impossibles (voyager dans le temps ou dépasser la vitesse de la lumière )... de faire réfléchir le lecteur.

Contrairement à ce que je développe dans mon roman Virus LIV 3, notre société privilégie l'écran. Elle est même devenue une sorte de "dictature douce" dans laquelle on a partout ( y compris dans l'enseignement ) tendance à favoriser les nouvelles technologies au détriment du livre et du papier.

Autrement dit, c'est l'inverse qui, en apparence, est en train de se produire, notre société créant ainsi une sorte de ghetto... celui des Lettrés, de plus en plus laissés pour compte !

Mais le livre, heureusement, n'a pas dit son dernier mot.

Si l’on revient en arrière, souvenons-nous que vers 1840, avec l'apparition de la photographie, les peintres ont craint pour leur avenir. Eux qui souvent vivaient du portrait n'allaient-ils pas disparaître puisque désormais, on pouvait reproduire la réalité d'un simple clic ?

 On sait qu'il n'en a rien été : la photographie n'a pas détrôné la peinture, qui, du coup, a dû évoluer. On peut même penser que l'impressionnisme, le fauvisme et l'art abstrait sont nés grâce ( ou à cause ) de la photographie. Puisque la photo représentait la réalité, la peinture devait se tourner vers d'autres objectifs !

Certes, comparer la peinture/photo avec le livre papier/numérique ne constitue pas en soi la preuve que le livre traditionnel va perdurer.

Si certaines technologies perdurent, certaines, a contrario, en remplacent d'autres quasi définitivement : les utilisateurs de machines à écrire ou de disques vinyls sont désormais rares. Et sur le plan de l'écriture et de la lecture, les tablettes d'argile et les rouleaux ( volumina ) ont bel et bien disparu avec l'invention du "folio".

Cependant, le vélo n'a pas remplacé la marche à pied, ni la voiture le vélo, ni l'avion la voiture... tous ces moyens de déplacement perdurent !

Dans le domaine du documentaire, l'information-papier ( via les journaux et magazines ) est sérieusement concurrencée par les moyens actuels de diffusion. Eh oui, Internet offre une rapidité d'information plus efficace qu'un quotidien, qui doit prendre le temps d’être imprimé.

Mais la radio offre aussi cet avantage... et, tiens tiens, la radio n'a pas supprimé les journaux. Les hebdomadaires risquent de perdurer car on y trouvera des réflexions et des analyses sans commune mesure avec la diffusion brute, et parfois fausse, de l'information.

Dans le domaine de la lecture, les avantages de "l'objet livre " sont si nombreux qu'on peut espérer qu'il sera encore là dans quelques siècles. Pour mille raisons trop longues à énumérer, la première étant pourtant le côté pratique du livre...

Le livre n'a pas besoin d'électricité ni de piles pour fonctionner. On peut le manipuler,  le feuilleter, l’annoter, le conserver. Le livre est un objet unique( il ne contient qu'un seul texte ! ) qu'on peut admirer, posséder, transmettre, et dont la lecture est souvent associée au papier, à la couverture, la collection, la typographie, etc. C’est aussi et surtout un objet REEL. C’est pourquoi les vrais lecteurs préféreront toujours avoir de "beaux", de vrais livres, surtout pour une lecture „longue". Je ne me vois pas lisant A la recherche du temps perdu sur un écran ! Ni même Balzac ou Zola.

On va m'opposer à cela que le numérique progresse.

En France, très peuet beaucoup moins que prévu : pour l'instant, 1% du marché de la fiction. Et si l'on peut offrir ( ou s'offrir ) un Kindle ou une liseuse... rien ne prouve qu'on utilisera longtemps, de façon définitive et régulière, ce qui s’apparentera peut-être très vite à un gadget !

Et s’il y avait là un phénomène de mode ? Un phénomène identique à celui qui consistait, dans les années soixante, à prédire, avec la généralisation de la télévision,  la disparition du cinéma ? Aujourd'hui, on a compris que le confort et l'ambiance d'une salle n'avait rien à voir avec la télévision familiale, même promue au rôle de home cinema !

Autre constatation rassurante : on n'a jamais autant lu ni publié autant de livres !

Lu ?

Mais oui.

En 1950, les livres coûtaient trois fois plus cher qu'aujourd'hui et contrairement à une légende persistante, on lisait beaucoup moins.

En 2012, on lit beaucoup plus ( mais peut-être pas mieux ? ) qu'en 1950 !

Les jeunes, fait étonnant, écrivent plus qu’avant. Avec la popularisation des ordinateurs, des claviers et des téléphones portables, courriels, SMS et autres textos font fureur. Paradoxalement, et contrairement à ce qu’on craint et affirme, les écrans ont sans doute été les meilleurs vecteurs de la lecture et de l’écriture !

Publié ?

En effet.

On publie dix, cent fois plus de livres qu’il y a un siècle !

Les chiffres le prouvent même si, depuis deux ans ( deux ans seulement, ai-je envie d'ajouter ) les chiffres du livre stagnent, se tassent et tendent à se réduire un peu.

On pourrait bien se trouver dans une sorte de "creux de vague" : certes, en ce début du XXIe siècle, les écrans font la loi. Mais cet engouement, lié à un mode de consommation frénétique ( et sans doute provisoire, pour des raisons d'économie et de réductions obligatoires dans les décennies à venir ), verra le livre survivre et sans doute revenir au premier plan.

Malgré tout, on peut aussi penser que la tendance inverse vaincra : l'objet livre deviendra alors plus rare, il sera utilisé par un petit nombre, ceux que Stendhal appelait "le happy few", une minorité privilégiée qui saura apprécier, goûter la lecture, la culture, la fréquentation à la fois des grands auteurs et de la vraie littérature, forcément boudés par les écrans qui invitent à une consommation rapide, superficielle et renouvelée.

Du même coup, cette littérature et ces auteurs exigeants seront délaissés par les inconditionnels des écrans, ceux que j’ai surnommés les Zappeurs – ceux qui préfèrent l'image ( facile ) aux mots ( complexes, mais porteurs de tant de sens ! ).

Même s'il se raréfie - ce qui à long terme n'est pas certain ! - , le livre, à mon avis, restera, quitte à n’être utilisé que par des lecteurs privilégiés, peut-être une sorte de caste, voire de secte, ceux que les Zappeurs d’aujourd'hui qualifient, avec un certain mépris, d'intellos.

Comme si l'intelligence pouvait être un défaut !

CG

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