Wilfred Ingram, 24 ans, petit vendeur de chemises, est appelé au chevet de son oncle Horace qui va mourir dans sa belle propriété de Wormsloe. Seul vrai point commun entre le vieil homme et le héros : tous deux sont catholiques, dans une famille où la religion réformée fait loi. A Wormsloe, Wilfred retrouve son cousin Angus, dont il envie l’aisance, et sa mère, la sèche et hautaine Mrs Howard qui se méfie de ce petit pauvre. Avant de mourir, Horace confie secrètement à Wilfred une enveloppe qui contient quelques titres et les brûlantes lettres de ses maîtresses, car l’oncle était… un chaud lapin. Peu après arrivent à Wormsloe un cousin lointain et inconnu, James Knight et sa jeune et séduisante épouse Phoebé.
Wilfred est très troublé. Car contrairement à l’image de candeur et de pureté qu’il dégage, il aime lui aussi les femmes… sauf qu’il craint la colère de Dieu. Mais il croit aussi en son Pardon.
Peu après son départ, il reçoit d’Angus un aveu qui le trouble, une déclaration d’amour à peine voilée. De retour d’une messe dans une église inconnue, il se fait aborder par un jeune inconnu insistant, Max, qui déclare lui envier sa foi. Mais le drame qui va plonger Wilfred dans le désarroi, c’est une nouvelle rencontre avec la belle Phoebé : il est vraiment tombé amoureux de sa cousine ; mais elle est mariée. Fidèle. Et surtout, il y a le regard de Dieu…
Aucun doute : je suis de la génération de Julien Green, j’ai grandi sinon avec lui, du moins avec ses romans, son style, ses convictions. Green est d’ailleurs avec Greene ( Graham ! ) l’un de mes écrivains de chevet, tous deux étant d’ailleurs des convertis hantés par le péché !Sur le fond, ce roman a d’ailleurs vieilli. Son thème principal est la foi, modulé d’un débat permanent ( dans ce récit comme dans presque toute l’œuvre de son auteur ) entre catholicisme et religion réformée. C’est aussi, de façon très classique, une histoire d’amour contrarié – une sorte d’Education Sentimentale revue et corrigée un siècle plus tard, Gide, Peyrefitte ( je pense aux Amitiés particulières ) et Bernanos étant passés par là. On y trouve cependant, au chapitre 26, une scène ( entre Wilfred et Phoebé ) qui rappelle furieusement celle qui, chez Stendhal, scelle le destin de Julien et de Mme de Rénal le fameux soir où il lui prend la main sous le tilleul à l’instant où dix heures sonnent.
Chaque homme dans sa nuit ( titre étrange qui suggère la solitude de l’individu face à la foi confrontée au désir ) reste cependant très exotique. Même pour un roman qui accuse cinquante ans, on est étonné de trouver « des hymnes latines » et, entre deux jeunes gens un dialogue où le centre d’intérêt est… un chapelet :- Fais voir, dit Max. Est-il indulgencé ? Le mien est indulgencé.
- Le mien ne l’est pas, mais il a une croix de bonne mort.
En 2012, est-il possible de partager les espoirs et les angoisses de ce jeune Dom Juan très ( trop ? ) croyant ? Est-il judicieux de rester à la fois perplexe et ému dans ces dernières pages surprenantes, une conclusion très inattendue ?
Oui, dans la mesure où, si le décor ( américain ) peut sembler suranné, avec ses domestiques noirs et sa société très hiérarchisée, le style de Green, lui, n’a pas pris une ride.
C’est un modèle de simplicité, d’efficacité, de rigueur.
Initialement paru chez Plon en 1960, ce roman a été édité en Livre de
Poche. J’ai dû l’acheter et le lire à sa sortie, en 1967. Sa couverture
d’époque, qui n’a pas pris une ride, évoque davantage le polar que le roman de
mœurs, avec son visage inquiétant en gros plan… et en noir et blanc !
1 De Christophe -
Ah, Julien Green !
Je retiendrai davantage la trilogie « Les pays lointains », « Les étoiles du Sud » et « Dixie ». Même si existent quelques incohérences (Hilda, ce personnage qui disparaît totalement au cours du roman : j’aurais bien aimé savoir ce qu’elle était devenue ; ou ces enfants qui sont vouvoyés par leurs tantes dans la première partie du roman, puis tutoyés dans la seconde ...) ou agacements (tous le monde est amoureux d'Elisabeth).
Toutefois, il s'agit là d'une belle trilogie dans laquelle le lecteur suit l'évolution d'Elisabeth à travers ses aventures amoureuses. Il est aussi beaucoup question du Sud (et de son idéalisme), de la Guerre de Sécession et de l'esclavage, mais aussi – bien évidemment, de religion ! Ah, les questions mystiques !!! (nous sommes avec Julien Green). La narration du temps qui passe est étonnante : 1000 pages décrivent une année : les 400 premières une semaine ! Julien Green dresse le portrait de personnages complexes lesquels évoluent dans une trame politique omniprésente (l’histoire de l’Amérique) et réellement passionnante (peut-être est-ce là la sensibilité du féru d’histoire qui s’exprime). Les mythes y sont défaits : comme celui du bon nordiste anti esclavagiste...
Peuit-être as-tu lu cette trilogie, Christian ?
Christophe
2 De christian grenier -
Evidemment, Cher Christophe, j'ai lu Les pays lointains - et la suite. Je me souviens même avoir acheté ces volumes en plusieurs exemplaires ( il y a... 20 ans, car ce n'est pas tout neuf ! ), pour les donner à mes amis proches.
Notre fille Sophie a d'ailleurs fait de même, c'est une fan !
On retrouve dans Les pays lointains et Dixie une sorte d'écho d'Autant en emporte le vent... en plus humain, et en plus littéraire, puisque Julien Green est le plus français des écrivains américains ( ce qui nous change des "plus américains des écrivains français" ! )
Je suis aussi un fan de son "journal" - mais comme cela doit sembler dépassé, aujoourd'hui, à de jeunes lecteurs !