Les rencontres avec mes lecteurs (deuxième partie)


Il y a quelques mois, Corinne Seyral me demandait de répondre à quelques questions relatives aux motifs et aux conditions de mes rencontres avec des classes de collèges.
Il m’a semblé intéressant de livrer ce dialogue en pâture à mes lecteurs…

Voici la seconde partie de notre échange.


Quelles raisons vous poussent à accepter une rencontre ? Les vraies et sincères invitations… ?
Elles sont multiples et très subjectives.
La première est… la première impression de la prise de contact : l’enthousiasme du demandeur, la nécessité absolue affirmée qu’il faut… venir rencontrer les lecteurs !
Parfois, c’est l’ouvrage abordé ( parce qu’il m’est cher, et/ou qu’il est rarement abordé ! )
Il m’arrive de refuser une rencontre que je « sens » mal, ou parce que le lieu est trop éloigné. Parfois, je refuse pour des motifs pratiques évidents : venir assurer deux heures de rencontre à 1 000 kilomètres de chez moi est inenvisageable… sauf exception ! Deux jours de déplacement pour deux heures de rencontre, c’est beaucoup de fatigue et de frais. Mais parfois, cela vaut la peine !
La personnalité de l’organisme ou de la personne qui m’invite a son importance. Très souvent, je le ( la ) connais. Et je sais que tout est réuni pour que la rencontre soit réussie.

Etes-vous souvent sollicité ?
Oui. Plusieurs fois par semaine. Mais je n’assure qu’une trentaine de rencontres par an, et je juge souvent que c’est peut-être trop.

Etes-vous demandeur ?
Jamais.

La rémunération de ces rencontres représente, pour certains auteurs, 50 % de leur revenu, pour certains plus… Vous sentez-vous contraint  d’accepter certaines rencontres ?
Jamais. Je vis ( bien ) de ma plume, comme on dit. Je n’ai pas besoin de « mettre du beurre dans les épinards ».
C’est un vrai luxe : je ne rencontre mes lecteurs que lorsque j’en ai envie, quand le jeu en vaut la chandelle ( voir : Quelles raisons vous poussent à accepter une rencontre ? ). Il m’est arrivé d’intervenir sans être rétribué – et j’ai pas mal de camarades qui l’ont fait !

Trouvez-vous toujours la même motivation lorsque les séances sont très nombreuses ?
En général, oui.
Ce n’est jamais la durée ou le nombre des rencontres ou le nombre des élèves qui lassent ou fatiguent, c’est la mauvaise qualité de la rencontre. On peut juger décevante et épuisante une rencontre après un quart d’heure – et passionnante et trop courte une rencontre de deux heures avec trois classes rassemblées ( cela m’est arrivé, dans des lycées techniques ).
Cela dit, je limite moi-même les rencontres. Je sais qu’au bout de deux jours, après avoir vu des centaines d’élèves, je dois faire un break.
Pas question d’enchaîner trop de rencontres.
Je ne me plains jamais qu’on me pose les mêmes questions.
Pour la plupart des lecteurs, c’est la première fois qu’ils rencontrent un auteur. Toute question, même naïve ou maladroite, est légitime.

Rencontrer des enfants a-t-il un impact sur votre création ?... Lequel ?
Sans doute – mais je n’y ai jamais vraiment réfléchi.
Rencontrer des lecteurs redonne peut-être de l’élan ?
Difficile à évaluer : j’ai écrit de 7 à 23 ans sans jamais avoir de lecteurs, sans être publié – et sans même avoir envie de l’être.
Il m’est arrivé, entre 1980 et 1989, d’assurer très, très peu de rencontres ( j’étais alors directeur de collection chez Gallimard, puis journaliste, puis scénariste ). Cela ne m’empêchait pas d’écrire !
S’il m’arrivait de ne plus assurer rencontres, et même si je n’étais plus publié, cela ne m’empêcherait pas, je crois, de continuer à écrire.

Si les rencontres deviennent trop importantes, pensez-vous qu’elles puissent nuire à la création ?
Oui.
D’abord parce qu’elles dévorent du temps et monopolisent l’attention.
Ensuite, comme je le dis souvent aux lecteurs que je rencontre :
« Ce que je fais aujourd’hui est exceptionnel, inhabituel. Mon métier, c’est écrire, ce n’est pas… parler de l’écriture. Si je n’étais pas là en ce moment, je serais devant mon ordinateur, dans mon bureau. J’écrirais. Et même si je suis ravi de vous rencontrer, mon vrai plaisir, ma vraie passion… c’est d’être seul face au récit que je construis. »

D’après-vous, la banalisation de ces rencontres épuisera-t-elle cet exercice ? Peut-il y avoir un revers de la médaille ?
Il y a un danger, en effet. Une rencontre doit conserver un caractère sinon rare, du moins exceptionnel.
Le danger vient aussi de l’attitude de certains auteurs qui « racolent », qui sont très demandeurs d’interventions, le plus souvent pour des raisons financières ( que je comprends ).
Mais l’écrivain intervenant doit toujours avoir en tête cette notion de responsabilité. Intégrer dans les droits d’auteur l’argent généré par ces rencontres est très discutable – même si, à la Charte, cela fut une revendication quasi unanime. Certes, que j’aie été contre cette mesure peut s’expliquer par le fait que je vis de ma plume. Mais pendant vingt ans, cela n’a pas été le cas. J’ai donc été prof, j’ai travaillé dans l’édition avec un salaire… je ne fais pas partie de ceux qui jugent qu’un écrivain doit absolument vivre de ses droits d’auteur… surtout si ceux-ci sont essentiellement dus à des rencontres !
Dans le « bulletin de la Charte » ( je suis l’un des trois membres fondateurs de la Charte ), j’ai un jour pointé le danger de la banalisation des rencontres dans un article sévère que j’avais intitulé : auteur, animateur… ou animauteur ?
Devenir un « animauteur », c'est-à-dire un professionnel de la rencontre avec ses lecteurs, c’est le pire qui puisse arriver à un écrivain. Mais c’est hélas une demande de la part du public, et une tendance issue de la télé et des émissions people.
L’intérêt d’une rencontre doit être la littérature, au service de laquelle doit rester l’écrivain, quelle que soit la force ou l’originalité de sa personnalité.

Haut de page