Utiliser l’anglais à l’université pour attirer les jeunes étrangers en France ? C’est évidemment une fausse bonne idée. D’abord parce que si de jeunes étrangers viennent en France… c’est pour apprendre le français et le parler, y compris s’ils veulent entreprendre des études scientifiques. Ensuite parce que véhiculer l’idée, a priori évidente, que l’anglais puisse devenir la langue internationale est à la fois pervers et dangereux.
Pourquoi les Français parlent-ils français ?
Parce que la Gaule a été envahie par les Romains qui ont imposé leur langue : le latin. Devenus gallo-romains, les descendants des territoires occupés ont peu à peu intégré la langue de l’envahisseur. Siècle après siècle, ils l’ont adaptée à leurs us et coutumes. Le français est ainsi devenu une langue étroitement liée à une culture, des usages – et une littérature faite de milliers d’œuvres, qui ont additionné une somme incommensurable de significations, de « sens ».
Un mot n’est jamais neutre, il porte en lui un usage, une histoire, une densité dont l’utilisateur ignore en général la puissance et l’impact. « Les mots sont des pistolets chargés », affirmait Brice Parain.
La Convention de 1794 et Jules Ferry le savaient, qui ont - je simplifie, désolé - imposé l’usage du français dans tout l’hexagone ( et en Algérie ! ) en interdisant à l’école celui des langues régionales et des patois. Pour unifier un pays, une langue commune est indispensable, nos rois en ont fait l’amère expérience au Moyen Age !
D’étranges préjugés circulent : si l’anglais s’impose dans le monde, c’est parce qu’il est facile à apprendre. Rien n’est plus faux - et je ne parle pas de l’accent. ! Non, les anglicismes sont innombrables, et les pièges nombreux. La vérité, c’est que l’anglais est tout simplement la langue de l’idéologie dominante, comme le disaient les marxistes - et cela reste vrai. Or, une langue véhicule avec elle une culture, des usages. Autrefois, c’était une culture littéraire ; aujourd’hui ( et là encore je simplifie ), c’est surtout celle d’un certain cinéma et de l’americain way of life. C’est si vrai que pour être accepté, lu, vu et compris, les Français eux-mêmes sont contraints d’en passer par là : des chanteurs aux réalisateurs de films, on utilise de plus en plus l’anglais… parce que c’est le meilleur moyen d’être vendu ( pire encore : d’être estimé ! )
Hors l’anglais, point de salut. On va me rétorquer : Après tout, quelle importance, si l’anglais peut devenir peu à peu le moyen de communiquer partout dans le monde ? Hélas, c’est là le piège !
Cet anglais là, basique, celui des films d’action, des chansons et de la technologie, semble approprié pour communiquer un peu partout. C’est faux et j’en ai fait l’amère expérience, à Hanoï, où, sortant de l’aéroport pour prendre un taxi, j’ai vu la tête stupéfaite du chauffeur devant l’adresse de mon hôtel, rédigée… avec des caractères européens. Le chauffeur n’y comprenait rien ! Je lui ai bêtement demandé :
- Do you speak english ?
- Yes, yes ! m’a-t-il répondu, très soulagé.
Sauf que s’il comprenait mon anglais, je ne comprenais pas un traître mot du sien. Parce que l’anglais basique prononcé par un Vietnamien, c’est comme de l’allemand parlé par une vache espagnole, comme on dit à Berlin.
Bref, se plier à la fausse évidence que l’anglais puisse devenir la langue internationale ( même si elle l’est devenue de fait dans les communications scientifiques ), c’est, je le répète, un piège. Si l’on avait vraiment voulu imposer une langue commune à tous les pays, on aurait pu le faire avec le volapuk ( cher à de Gaulle ! ) ou l’esperanto, qu’on apprend en trois mois ! Une langue certes artificielle, mais qui a l’avantage ( et le défaut ) de ne porter en elle aucun poids historique, aucune culture littéraire ou idéologie particulière.
Il y a mille et un moyens d’asservir pacifiquement les peuples, de leur imposer un mode de vie et, surtout, de réflexion. La langue est une arme d’autant plus subtile qu’elle paraît pacifique, sans danger. C’est oublier que les mots transportent du sens et modèlent la pensée.
Si vous en savoir plus sur ce sujet… lisez Claude Hagège, notamment Contre la pensée unique ( Odile Jacob, 2012 ) !
1 De Le cédéiste -
Bonsoir à tous,
A lecture des propos de Christian, je pense aussitôt à une chanson de Jean FERRAT.
Bonne réflexion à tous !
Christophe
La langue française a fait son temps
Paraît qu'on n'arrête pas l'progrès
Que pour être vedette à présent
Il vaut mieux chanter en anglais
Et moi et moi pauvre de moi
Qui me tais depuis si longtemps
Faudrait qu'je fasse gaffe à tout ça
Que je m'reconvertisse à temps
J'ai pris la méthode assimil
My tailor in the pocket
Pour avoir l'air comme les débiles
D'arriver du Massachusetts
Pour être encore en haut d'l'affiche
Faudrait qu'je sussure en angliche
Si j'veux coller à mon époque
Il me faut braire en amerloque
[Refrain] :
Singing in the rain
Singing in the train
Singing my heart
Singing in the woods
Singing in the blood
It is not the tarte
S'il n'y a plus rien d'autre à faire
Pour échapper à la misère
Si c'est l'seul moyen ici-bas
D'intéresser les mass média
Si le français ou le breton
Si l'occitan ou l'auvergnat
Comme on m'le dit sur tous les tons
Le show-business il aime pas ça
Y a p't-êtr' quand même un avantage
A cette évolution sans frein
On pourra chanter sans entrave
Quand les gens n'y comprendront rien
Pour être encore en haut d'l'affiche
J'pourrai sussurer en angliche
Si je n'veux pas finir en loque
Je pourrai braire en amerloque
[Refrain]
J'entends les copains ricaner
Que j'ai plutôt l'accent manouche
Ils sont jaloux d'mon p'tit succès
Quand j'ai d'la bouillie plein la bouche
Grâce aux sondages indiscutables
Dans l'âme du français moyen
Il paraît que nos responsables
Savent tout du goût de chacun
Plaire à tout l'monde et à personne
C'est pas donné à n'importe qui
N'allez pas croire qu'ils s'en tamponnent
S'ils nous transforment en colonie
Pour être encore en haut d'l'affiche
J'commence à penser en angliche
Quand j'aurai le feeling ad hoc
Ça va faire mal en amerloque
2 De Ange -
Précisions concernant l'espéranto :
- "une langue certes artificielle" : artificielle veut dire créée de
toute pièce, or ce n'est pas le cas. C'est une langue construite.
Les racines des mots viennent de 70 à 75 % des racines latines,
20 à 25 des racines anglo-germaniques. Les préfixes et suffixes
ont été sélectionnés car étant présents dans plusieurs langues.
Construite car élaborée à partir des autres langues.
Mais pas entièrement européenne malgré tout car c'est une
langue dite "agglutinante" comme le chinois, le japonais, le turc...
- "aucun poids historique" : c'est vrai mais pas entièrement.
Elle a traversé le XXème siècle et ses guerres : les espérantistes
ont été déportés, persécutés et tués par Hitler et Staline. Même
si elle est née en 1887, elle a déjà une petite histoire et il y a eu
des évolutions depuis.
- "aucune culture littéraire" : c'est le reproche du ministère de
l'Education nationale quand nous demandons son enseignement
optionnel au Bac. Or c'est faux ! 30 000 livres ont déjà été publiés
(2/3 sont des traductions et donc 10 000 environ des productions
originales...). De vrais œuvres littéraires ont été écrites directement
en espéranto : des romans, des poèmes... (et ce depuis sa création)
Des auteurs ont déjà été proposés pour le prix Nobel de littérature !
(le poète écossais William Auld proposé de 1999 à 2006, c'est
depuis 2007 un autre poète, islandais cette fois, qui est proposé :
Baldur Ragnarsson).
Tibor Sekelj, voyageur et explorateur infatigable a lui vendu
un de ses écrits "Gangalo, le fils de la jungle" à 300 000
exemplaires au Japon et traduit dans 30 langues il s'est vendu
à 1 million d'exemplaires dans le monde entier !
- "pas d'idéologie particulière" : en fait, si. Zamenhof l'appelait
l'idée interne. L'idée que chaque citoyen du monde peut parler
à tous les autres pour une meilleure intercompréhension, pour
partager la culture de l'autre... Les échanges doivent se faire
au niveau du peuple pour ne pas laisser toutes les initiatives
et décisions aux pouvoirs politiques...
Merci pour votre blog, mais il me semblait nécessaire de préciser certains points concernant l'espéranto...
3 De christian grenier -
Merci, Cher Christophe, pour avoir cité, pour appuyer mes propos, cette chanson à la fois réaliste, grave et humoristique de notre regretté Jean Ferrat - eh oui, il semblerait que ne pas toujours comprendre les paroles des chansons en anglais soit un avantage, leur sens et leur contenu étant souvent, hum, plutôt pauvre !
Et merci aussi, Ange ( Matteo ), pour cette mise au point bienvenue concernant une langue que vous connaissez bien et parlez couramment... puisque vous avez eu la gentillesse de traduire en esperanto et de mettre en ligne plusieurs textes dont je suis l'auteur !