Née le 1er janvier 1900, Modesta raconte sa propre histoire, tantôt à la première, tantôt à la troisième personne. Enfant qui découvre tôt le plaisir, sœur d’un handicapé, Modesta est très tôt violée par son père, puis recueillie par un couvent qui l’élève avec une morale dont les membres s’écartent parfois volontiers. Elle en perd la foi, tente même de se suicider avant de cultiver avec opiniâtreté le goût de la vie et de ses plaisirs.
A la mort ( qu’elle provoquera ! ) de Léonora, la mère supérieure, elle est recueillie dans un palais par sa sœur, une sévère Princesse sicilienne. Elle s’attache alors très vite à la petite-fille ( en réalité la fille ! ) boiteuse de cette dernière, la jolie et timide Béatrice. Puis elle découvre que la Princesse cache plusieurs secrets, celui du père de Béatrice, le roturier Carmine qui deviendra vite son amant… mais surtout un fils mongolien qu’on séquestre dans une pièce fermée, un handicapé que Modesta, promise à devenir religieuse, finira par apprivoiser, ce qui lui permettra d’échapper au couvent et, dans un second temps… d’hériter de la propriété et de devenir à son tour princesse !
Mais en grandissant, Modesta cultive des sympathies socialistes. Et dans les années trente, alors que Mussolini gesticule déjà dans toute l’Italie et qu’un certain Hitler se profile à l’horizon de l’Europe, Modesta sait d’instinct quel camp elle choisira…
Comment résumer ce monument de six cents énormes pages, cette confession qui semble livrée d’une seule traite et où foisonnent personnages, événements, rebondissements, émotions et sensations fortes ?
Cet ouvrage méconnu a ses inconditionnels. Et il est vrai qu’on y entre avec un vertige mêlé de fascination avant, parfois, de buter sur la densité même d’un récit aussi trépidant que complexe. C’est là l’histoire originale et forte d’un personnage hors du commun qui, à certains égards, a le ( faux ) goût d’une autobiographie. Mais Goliarda Sapienza ( née à Catane en 1924 ) n’est pas Modesta, comme en témoigne la façon ambiguë dont le récit est mené : d’abord avec une alternance déconcertante entre le « elle » et le « je », mais aussi presque exclusivement au moyen de dialogues, dialogues d’autant plus difficiles à cerner que l’auteur, malicieusement, n’en précise les protagonistes qu’après plusieurs lignes… ou plusieurs pages !
Qu’importe. C’est là, à tous les sens du terme, un monument, une façon originale de pénétrer à la fois dans tout le XXème siècle de l’Italie, et dans la personnalité d’une femme hors du commun, dont la ténacité, la générosité et les audaces ne laisseront jamais le lecteur indifférent.
Lu dans sa version grand format. Un vrai grand et beau livre !