Le séminaire de Bordeaux, Jean Dutourd, Flammarion

1968… Jean-Claude et Brigitte Simonot, qui travaillent au CNRS (  section littérature et histoire ), forment un couple « libéré ». Aussi, Jean-Claude est stupéfait quand sa femme, enceinte, se montre irritée, voire désespérée quand il lui révèle avoir couché avec Adeline Jolivet, son ancienne maîtresse.  Il est vrai que Brigitte n’hésitait jamais à révéler ses nombreux écarts à son époux.
Faute de pouvoir renouer avec Jean-Claude, la candide et quelque peu vulgaire Adeline tombe amoureuse de Laurent Schwob, qui vient de découvrir ( et ne cesse d’exacerber ) sa judéité. D’ailleurs, Adeline adopte si vite les coutumes juives que Laurent finit par s’en irriter !
Les parents de Laurent, gaullistes inconditionnels et fiers de leurs traditions, veulent connaître l’amie de leur fils et ils l’invitent… en même temps que Jean-Claude et Brigitte, qui sont copains d’université.
Bien sûr, le fait que tous ces jeunes gens soient de gauche et les deux jeunes femmes rivales font de ce dîner le repas de tous les dangers…
Ce dîner sera suivi d’un étrange séminaire à Bordeaux, voyage marqué par une révélation inattendue au catholicisme de Brigitte – on pense évidemment à la vision qu’a eue Paul Claudel dans des circonstances analogues à St Sulpice…

Comment ? Grenier lit Dutourd ?
Exact. Je ratisse large, ignorant ces chansonniers qui, il y a 20 ou 30 ans, avaient pris l’habitude de brocarder cet académicien paléo-gaulliste ( p. 108 ) dont la prose était réputée traditionnelle, le style ennuyeux et ampoulé - et les idées fort réactionnaires.
D’accord, le ton a vieilli ; mais au fait, n’était-il pas déjà vieux du vivant de son auteur ?
Quant aux idées… eh bien je dirais qu’elles ont presque pris un coup de jeune ! L’humour permanent de l’auteur, ses sarcasmes et sa dérision en feraient presque une sorte de Houellebecq du XIXe siècle !
Attention : le synopsis de ce récit, banal, tient en dix lignes ; aussi, ce n’est pas l’histoire en soi qui est pleine d’intérêt, mais les réflexions, jugements et digressions innombrables dont Dutourd en assaisonne chaque péripétie. C’est là seulement que réside l’intérêt ( historique ) d’un tel texte. Avoir vécu ces mêmes événements ajoute au piment de cette lecture, et la distanciation sied ma foi assez bien à cet académicien mal aimé.
Jean Dutourd est d’ailleurs le premier à se traiter de vieux schnock et à en rire ; il se moque autant des excès ( du langage et des modes ) de la jeunesse que de lui-même et de sa nostalgie entêtée. Il force sans cesse le ton en abusant des imparfaits du subjonctifs provocateurs ( hâtât p. 12 ; qu’ils accaparassent… qu’ils se conduisissent p. 118 et même qu’ils se mariassent – il faut oser ! - p. 188 )
Cela dit, ses jugements ont parfois un relief très contemporain, quand par exemple il évoque ces metteurs en scène de théâtre qui jugent que leur interprétation d’une œuvre est plus intéressante que l’œuvre elle-même, et qu’il y a autant de « créativité » ( c’est leur mot ) à expliquer qu’à inventer, surtout si, à force de sollicitations et de gloses, on démontre que l’auteur a dit autre chose que ce qu’il croyait avoir dit » ( p. 60/61 ). Il est aussi très provocateur quand il fait affirmer à M. Schwob – qui est juif ! : « la moitié sinon les deux tiers des juifs français, en 1900, étaient anti-dreyfusards. Ils croyaient de bonne foi Dreyfus coupable et ils ne se sentaient aucune solidarité à son égard sous prétexte qu’ils étaient de la même religion (… ) Des affaires Dreyfus, je ne vois que ça partout. Prenez les Etats-Unis : ils ont envoyé Sacco et Vanzetti à la chaise électrique : en quinze jours c’était digéré et il y a belle lurette que ça ne les empêche plus de dormir. Même topo avec les Rosenberg ( p. 114 )
Au fond, Jean Dutourd s’attaque à tout le monde – en particulier aux dérives du langage, à celles et ceux qui suivent les modes ( qu’elles soient d’ordre vestimentaire, comportemental ou politique ! ). Et si la finesse de ses études psychologiques n’a pas celles de Proust, son style en a souvent les élans, et ses phrases la longueur démesurée.
Certes, même mort, Jean Dutourd reste un vieux réactionnaire – mais il est trop cultivé et caustique pour être vraiment antipathique

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