La bourgeoise, Cécil St Laurent, Flammarion

Catherine et Marielle, amies d’enfance, travaillent toutes deux dans un journal de mode dont Alavoine, un cinquantenaire indépendant et impressionnant, est le patron. Toutes deux se plaisent dans cette entreprise où Marielle est devenue le bras droit d’Alavoine et Catherine sa secrétaire.
Catherine est mariée avec Marc, qui envisage de divorcer, alors que leur couple ( ils vivent très bourgeoisement dans un immeuble de l’île St Louis ) ne va pas si mal, même s’il lui arrive de boiter. Catherine a un amoureux transi platonique, le peintre bohème et crasseux Gonzague. Marc est très attiré par Marielle et depuis qu’il a demandé le divorce, il rêve d’une partie qui les réunirait tous trois, Catherine, Marielle et lui…
Parallèlement, on entre dans la vie des parents de Catherine par l’intermédiaire du journal intime de son père, M. Daubigné, qui rêve de quitter sa femme Rose et entretient depuis vingt ans une relation clandestine avec Germaine, sa maîtresse.
Au journal court le bruit que le groupe, qui se situe rue François 1er va licencier Alavoine et mettre Marielle à sa place – une jolie promotion en perspective.
Peu après, Alavoine se suicide. Ce drame va mettre à jour mille secrets enfouis, stupéfiants et inattendus, sur la vie intime de tous ces personnages, Catherine en tête…

Difficile de mieux résumer un récit à la fois complexe et troublant, dans lequel l’auteur s’ingénie à peaufiner le portrait psychologique de personnages nombreux, attachants, différents – mais tous pourvus de particularités sexuelles ( ou plutôt érotiques ) originales : domination, sado-masochisme, jeux plus ou moins pervers…
La structure du récit n’a en réalité qu’un intérêt secondaire par rapport au ton, au style de l’auteur. Parce que c’est du Laurent tout craché. Ah, Jacques Laurent ou Cécil Saint-Laurent ?
Difficile de faire la différence.
Si Jacques Laurent se veut parfois plus littéraire, ce roman signé Cécil Saint-Laurent a toutes les exigences de l’académicien. Et la légèreté des situations, qui justifierait l’emploi de ce pseudo, s’efface vite devant la maîtrise du style. Parce que Laurent, c’est avant tout une écriture concise, précise, d’une densité étonnante qu’un lecteur du XXIe siècle jugera trop classique, trop châtiée, trop riche d’intertextualité, et souvent marquée par des références datées. Pourtant, ici, le ton est donné dès le titre, les us et coutumes des familles en cause, et le lieu que l’auteur décrit mieux que n’importe quel écrivain parisien : le microcosme de l’île Saint-Louis et une société bourgeoise bousculée par l’écho des événements de 1968 ( le roman date de 1974 )
Si je relis cet auteur avec entêtement, c’est pour tenter de me convaincre qu’il est médiocre ou dépassé, comme bien des camarades ont tenté de me le faire comprendre.
Eh bien je maintiens ma position, même si Jacques Laurent est passé de mode.
D’accord, il a quelques tics d’écriture – mais d’abord c’est sa signature, et ensuite j’aimerais bien posséder les mêmes. Et puis je ne connais personne qui décrive comme lui les dérives du cœur et de l’âme, il met le doigt où ça fait souvent mal. Personne non plus qui n’ait cet art de la description de la nature… surtout quand elle est parisienne. Et cette prise de conscience persistante que l’imaginaire est mille fois plus puissant que la réalité.
Laurent n’est pas l’un ou l’autre de ses personnages, il est un morceau de chacun d’entre eux. Et compris et peut-être surtout ce Gonzague ( qui pourtant lui ressemble si peu ! ) quand il lui fait penser, à propos de l’être aimé, qu’ « il avait tant pensé à elle tout seul pendant deux ans que parfois il était gêné par la présence de Catherine qui l’empêchait de l’imaginer » ( !)
Sans doute est-il à son sommet quand, aux trois quarts de l’ouvrage, il nous entraîne avec Catherine dans sa fuite, vers les lieux de son enfance ( deux villes dignes de Proust, Brévinville – bourg normand de l’intérieur – et le port de Borcaux ) où sera magnifié l’écho de tous ses souvenirs…
Malgré tout, un conseil : ne lire ou relire Jacques ( ou Cécil Saint ) Laurent… que si l’on a plus de soixante ans !

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