J’ai presque honte, en 2014, alors qu’affluent de tous côtés les hommages ( mérités ) à Romain Gary, d’ajouter ma voix à celle des journalistes et critiques qui évoquent l’un de ses plus célèbres ouvrages.
Mais faisons comme si…
Après avoir publié quelques romans vite remarqués, Roman Kacev, alias Romain Gary ( né à Vilnius, dans ce qui, aujourd’hui, est la Lituanie ) décroche en 1956 le Prix Goncourt avec Les racines du ciel – qui sera adapté par lui-même et tourné deux ans plus tard par John Huston.
Peu après, il livre au public le récit de son enfance passée à Nice en compagnie de sa mère : La promesse de l’aube.
Eh oui : l’aube, c’est l’enfance ; et la promesse, c’est celle que doit faire sans cesse le futur écrivain à une mère débordante de confiance et d’amour, une mère qui ne cesse d’encourager son fils, persuadée qu’il deviendra… écrivain, diplomate, aviateur « Tu seras d’Annunzio ! Tu seras Victor Hugo, Prix Nobel ! (…) Guynemer ! Tu seras un second Guynemer ! » – bref, un héros national !
Au fait, de quelle nation s’agit-il ?
Mais de la France, bien entendu, le pays qui a accueilli la mère et le fils.
La mère de Roman va en effet se consacrer toute entière à son fils, acceptant tous les emplois, notamment celui qui consiste à vendre… les biens de famille ; elle va donc d’hôtel en hôtel, se privant de manger pour que son fils n’ait jamais faim, étudiant avec lui « le meilleur des pseudonymes » pour un futur glorieux, forcément glorieux.
Pour ne pas la décevoir, l’adolescent s’essaie un peu à tout : l’écriture, la peinture, la danse, la musique…
Ce sera finalement la littérature, on le sait, mais après combien de déceptions et d’échecs !
Le jeune homme en est si mortifié que le mensonge, souvent, est la meilleure façon d’accompagner les espoirs d’une mère qu’il ne veut décevoir à aucun prix…
Ce récit autobiographique à la fois ironique et tendre est avant tout l’hommage inconditionnel à une mère décédée ( en 1941 ) avant d’avoir pu constater que son fils deviendrait le héros dont elle avait rêvé. A cet égard, les pages relatant la mort de la mère arracheront des larmes au lecteur le plus indifférent.
De la trame de cet ouvrage se dégage peu à peu une étrange ( mais pertinente ) philosophie : parfois, on s’oppose aux parents pour ne surtout pas faire ce qu’ils espèrent ou vous conseillent ; d’autres fois ( et c’est le cas ici ), on s’acharne à devenir, au-delà de la mort, ce que les parents ( en l’occurrence la mère ) souhaitaient que vous seriez : un diplomate, un héros de la résistance, un pilote, un écrivain de renom… et un bourreau des cœurs puisque sa mère lui affirmait, avant sa puberté : « Tu auras toutes les femmes à tes pieds » ( ! )
La suite, on la connaît : après avoir fréquenté et aimé des journalistes et des auteures, Romain Gary épousera l’actrice Jean Seberg. Au moyen d’une stupéfiante et audacieuse supercherie, il décrochera une seconde fois le Goncourt… comme s’il ne l’avait fait une première fois que pour obéir à la mémoire de sa mère… et une deuxième pour se prouver enfin à lui-même qu’il était vraiment le grand écrivain qu’elle ( et lui, au fond ! ) avaient espéré qu’il deviendrait.
Un récit devenu un classique, dont la (re) lecture est indispensable à celles et ceux qui veulent comprendre les mécanismes de la littérature, et entrer dans la confidence ( et l’enfance ) d’un auteur qui n’avait pas le choix : de gré ou de force, il serait un héros – et à de nombreux titres ! Mais d’une certaine façon, La promesse de l’aube est aussi un pied de nez à certains nationalistes qui réclament « le droit du sol » ou « le droit du sang ». Parce que Romain Gary n’était pas né en France – et qu’il était d’origine juive. Mais ce pays, il l’aimait – parce que sa mère parlait notre langue et avait la plus grande estime pour les institutions qui l’avaient accueillie. Il l’aimait au point de le défendre ( il s’évade le… 20 juin 1940 ! ), de devenir un compagnon de la Libération, et l’un des plus légitimes représentants de la France à l’étranger ( en Bulgarie, en Suisse, en Angleterre et aux Etats-Unis ! )
Bref, si l’on est français parce qu’on naît en France, on peut aussi le devenir – et prouver qu’on mérite de l’être !