On lit moins… pourquoi ? ou : Savoir lire n'est pas lire !

On lit moins ? En réalité, c’est faux !
On n’a jamais tant lu ni tant écrit qu’en 2014. Et les jeunes sont en tête de liste. Mais on lit désormais sur écran ; et on écrit… des textos, des SMS ou des tweets. Autrement dit, on zappe et on gazouille. Et la littérature est loin.
La désaffection pour la lecture a des causes qu’on a voulu longtemps expliquer par des affirmations qui ne me font plus sourire, mais me mettre en colère :
« Le livre est cher ! »
Rien n’est plus faux. C’était vrai il y a 50 ans, ça ne l’est plus.
Ceux qui n’hésitent pas à aller au cinéma, au Mac Do, à renouveler tous les six mois leur smartphone ou leur ordinateur portable ( à 600 euros ), ceux qui prétendent qu’Internet est gratuit ( et qui paient des abonnements, l’électricité, l’entretien de leur matériel informatique ) reculent devant l’achat d’un livre : trop cher. Alors qu’il y a les bibliothèques municipales, les amis, les vide-greniers.
J’oubliais : le livre qui est cher (25 euros), c’est celui qui vient de sortir, dont tout le monde parle et qu’il faut avoir lu. Je m’en passe souvent. Moins par économie d’argent que de temps. Parce que dans deux mois, on n’en parlera plus, et que je refuse de suivre le mouvement. 25 euros ou 7 euros ( le poche, ça existe ! ), c’est cher ? Une statistique prétend qu’ « un bon lecteur lit 20 ouvrages par an ». Faites le calcul - en admettant que vous les achetiez !
Moi qui suis sans doute un « très bon lecteur » ( je réfute d’ailleurs cette expression, j’y reviendrai ), puisque je lis plus de 100 ouvrages par an – un « bon lecteur » en lit 20 paraît-il -, j’affirme dépenser beaucoup plus en carburant, ou en péages ! La vérité, c’est que ceux qui prétendent que le livre est cher… trouvent ce prétexte pour justifier le fait qu’ils ne lisent pas.
Je le répète : le prix du livre n’est pas en cause. S’il était gratuit ( et dans de nombreux cas… il l’est ! ), il n’y aurait pas un lecteur de plus : je vois de plus en plus de « boîtes à livres » au coin des rues et je n’ai jamais remarqué qu’on s’y battait pour en emprunter un !


« J’aime lire, mais je n’ai pas le temps ! »

Là, je peux devenir agressif. On a le temps de regarder la télé, d’être scotché sur Internet ou sur son smartphone ( on passe plus de 5 heures par jour devant des écrans ! ) mais… on n’a pas le temps de lire, au point que  55% des Français de plus de 16 ans n’ont pas lu un seul ouvrage l’an dernier !

De l’analphabétisme à la lecture savante.

Même si l’analphabétisme progresse, ce n’est pas ce qui m’inquiète.
Les ministres de l’éducation sont obsédés par l’apprentissage de la lecture. Et quand un enfant « sait lire », on pousse un cri de victoire. Eh oui, pour entrer en 6ème, il faut savoir lire , c'est-à-dire être capable de déchiffrer un texte sans l’ânonner, de façon fluide - et si possible en mettant le ton.
Eh bien ça ne me suffit pas. Pas du tout. Notre pays est plein ( 55% ) de ces « lecteurs » qui lisent le journal, l’horoscope, les magazines, des infos sur Internet… mais sont en réalité incapables de se plonger dans une lecture longue et suivie. J’en croise tous les jours et il m’arrive d’évoquer ces problèmes avec eux. Je connais aussi de faux « bons lecteurs » ( nous y voilà ! ) qui lisent plus de 20 romans par an : du Barbara Cartland, du Danielle Steel, du Guillaume Musso, du Marc Lévy ( et je ne dis pas de mal de ces écrivains, lire certains de mes billets d’humeur précédents ! )
« Mais alors, qu’est-ce qu’il veut, Grenier ? » allez-vous rétorquer.
Il me semble que savoir lire, c’est avoir l’appétit d’aller plus loin. D’aborder des textes de plus en plus ambitieux et complexes. Et là, il n’y a plus de limites. Moi, j’apprends toujours à lire. Proust me tombait des mains quand j’étais prof de lettres. J’ai dû attendre 34 ans avant d’aborder ( avec une jouissance inespérée ! ) La Recherche. Sans parler de mes efforts, à 20 ans, pour aborder  Nathalie Sarraute, James Joyce, Dos Passos ou Michel Leiris !
Or, cet appétit disparaît. Et les écrans en sont, me semble-t-il, une partie de la cause ( l’autre partie étant la politique de la lecture, voir mon billet d’humeur précédent ). Parce que l’écran invite au zapping. Et l’écran  du smartphone ou de l’ordinateur plus encore que celui de la télé ! Il faut voir la tête de mes jeunes lecteurs quand je leur dis que je consacre trois heures par jour à lire :
Parce que vous pouvez lire pendant trois heures ??? Ils ont du mal à y croire, eux qui passent facilement trois heures d’affilée… devant leur console de jeu !

Lire un livre papier et lire sur un écran…


Ce n’est donc pas la même chose. Et ceux qui prétendent le contraire sont… les « vieux bons lecteurs » qui n’y voient pas de différence.
Mais voilà : les jeunes, eux, n’ont plus appris à lire comme autrefois. Ils « savent lire », certes, mais ils sont souvent ( ne généralisons pas ! ) rebutés devant l’effort d’une lecture longue. Ne parlons pas d’une « lecture savante » ( même si je n’aime pas ce terme ) ! C'est-à-dire qu’au bout de quelques lignes, de quelques pages d’un texte qui exige une réflexion, un effort d’identification ou qui les rebute en raison de mots dont la signification n’est pas évidente… ils abandonnent. Parce qu’ils sont désarçonnés. Ou que leur intérêt n’est pas suffisamment capté.
Eh oui, le lecteur d’autrefois ( vous lisez la Minute du vieux schnock, ne l’oubliez pas ! ) était doté d’une grande capacité de patience. On savait qu’il fallait apprivoiser le texte : introduction, descriptions, réflexions…. Si l’on y renonçait et fermait le livre, les autres plaisirs étaient maigres : parfois ( c’était mon cas ), il n’y avait ni télé, ni frères et sœurs, ni copains, ni vélo... Le livre était la seule fenêtre ouverte sur le monde, et lire était le moyen privilégié de faire vagabonder son imagination… et fonctionner sa réflexion.
Le problème, c’est qu’au lieu de défendre la cause du livre et de la lecture, on privilégie la « modernité ». On fabrique des générations de lecteurs basiques qui sauront certes déchiffrer un texte et taper sur un clavier,  mais auront pour la plupart perdu cette appétence indispensable pour aborder… la littérature.
Si bien qu’on n’ose plus parler de « lecture-plaisir ». Pour la plupart des ados, ces deux mots sont antinomiques ( oh pardon, c’est un gros mot, ou plutôt adjectif grossier, faut-il une note de bas de page ? )

Lire n’est plus tendance

Et si c’était une question de mode ?
Il y a 40 ans, à Paris, ma femme et moi fréquentions les musées. Le prix d’entrée était inférieur à celui d’une place de cinéma. Le Louvre était ( déjà ) gratuit le dimanche : et même ce jour-là, il ne fallait pas jouer des coudes pour admirer La Joconde. Que d’allées désertes !
Aujourd’hui, par chance, le musée est tendance. Il ne faut pas rater la dernière exposition sur les Nabis ( ou les impressionnistes, ou les fauves, etc. ) au risque de passer pour un plouc. Magnifique !
Il faudrait donc que la lecture devienne tendance elle aussi – mais pas celle du dernier Goncourt ou du best-seller-dont-on-parle. Parce qu’au sein de cette baisse générale, certains ouvrages, il est vrai, tirent leur épingle du jeu, ceux qui sont en tête de gondole. Puisqu’on lit moins, autant lire facile et utile.
Le dernier Mary Higgins Clark se vendra mieux que la somme des 600 nouveautés de la rentrée.On parie ?

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