La fabrique du crétin (essai), Jean-Paul Brighelli, J.-C. Gawsewitch

Ce titre ambigu cache un essai impitoyable sur les carences de l’enseignement en France.

Vieux de dix ans, cet ouvrage n’a pas pris une ride.

Pourquoi en parler seulement aujourd’hui ?

Parce que je viens de dénicher ce bouquin par hasard. Ce n’est pas le titre qui m’a attiré mais… le nom de son auteur. Non, je ne connais pas Jean-Paul Brighelli ; mais d’une certaine façon, j’ai pris un peu sa suite chez Gallimard. Avec deux autres complices ( Biet et Rispail ), Brighelli a été embauché au milieu des années 80 pour créer Folio-Junior Edition Spéciale.

A eux trois, ils ont conçu 32 pages supplémentaires ( qu’on découvrait en retournant l’ouvrage ! ) dans lesquelles étaient concoctés des questionnaires et des jeux pour mieux apprécier et approfondir le texte, en général un classique.

Pour me consoler de la suppression de nouveautés dans Folio-Junior SF, Pierre Marchand m’avait embauché pour créer ces fameuses 32 pages, notamment pour les romans de SF ( Jules Verne, Bradbury, mais aussi certains autres classiques : Daudet, De Foe… )

C’est en partie pour découvrir la façon dont l’auteur avait été embauché par Gallimard que j’ai voulu lire cet essai. Il parle certes de cette expérience, mais très peu.

En revanche ; le reste ne m’a pas, mais pas du tout déçu.

Ancien prof, comme moi, Brighelli aurait pu sous-titrer son ouvrage : J’accuse ! Car sur plus de 200 pages, il accuse les responsables gouvernementaux, dont indirectement les ministres de l’Education, de pratiquer systématiquement ( et même… volontairement ) le sabotage d’un système d’enseignement qui avait pourtant fait ses preuve. Un travail de sape entrepris depuis la création, en 1970, du « collège unique », et dont l’objectif plus ou moins caché serait de fabriquer des générations d’élèves déculturés, propres à servir une société dirigée par des cadres qui, eux, se gardent bien d’appliquer à leurs enfants le système qu’ils préconisent pour les enfants des autres. Eh oui, dans les écoles et lycées d’élite (…) on y étudie à l’ancienne, avec des résultats à l’ancienne.

Son constat est impitoyable et ses accusations précises, étayées par de nombreux exemples qui font tour à tour rire et frémir. Le crétin n’est pas seulement l’élève mais aussi l’enseignant, à qui l’on demande d’appliquer des règles ( Rien d’abstrait, rien de compliqué, rien de savant ! ) contre lesquelles Brighelli s’insurge violemment, car elles lui semblent issues du vieux système colonial ( Cette école à deux vitesses, c’est la nôtre. Les indigènes sont à nos portes : en banlieue ). Résultats : le niveau ne cesse de baisser et la culture ( illusoire ) de la rue remplace les vieilles bases solides et traditionnelles. On nivelle par le bas. A force de vouloir mettre « l’élève au centre », on détruit en vingt ans ce que la République a mis un siècle à édifier. 

Les accusations de l’auteur, nombreuses, peuvent parfois apparaître caricaturales. Mais ses constats sont troublants. Et neuf enseignants sur dix, s’ils sont honnêtes, devraient en lisant cet ouvrage, hocher la tête, consternés, et se dire que euh… Brighelli n’a pas vraiment tort. A force de parler leur langue  affirme-t-il en combattant l’idée qu’il faut se mettre au niveau des élèves, on ne leur apprend plus rien, ce qui est d’autant plus consternant que les élèves ont le désir d’apprendre. Or, aux élèves d’aujourd’hui, on apprend 15% de ce qu’on leur enseignait il y a vingt ans ». Il vitupère bien sûr contre toute cette hiérarchie non-enseignante qui est chargée de nous apprendre notre métier, déplore la chute des heures d’enseignement du français, l’éviction et la réduction des heures d’histoire, la surconsommation des produits informatiques et du multimédia, cette dernière panacée à la mode.

Et il préconise un retour aux valeurs sûres : la culture authentique, l’exigence, le travail. Il sait d’ailleurs que parmi les enseignants, les plus engagés rusent avec les programmes et les inspecteurs.

Aucun enseignant sincère ne peut être indifférent à cet essai. Même s’il ne convaincra pas les plus sceptiques, il les fera réfléchir sur les causes profondes d’un malaise et d’une désertion qui, depuis des décennies, ne font que s’amplifier.

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