Les 6 et 7 février derniers a eu lieu, à Paris, un « colloque du CRILJ » ( le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse ).
Au cours de ces deux journées, la parole a été donnée à des intervenants qui ont fait le bilan de : la poésie, l’illustration, les albums, l’édition ( j’en passe ) des ouvrages pour la jeunesse depuis 1965.
Pressenti pour évoquer la « littérature pour adolescents et jeunes adultes », j’ai assuré un exposé dont on trouvera ici le détail.
Cette semaine, on trouvera les deux premières parties de mon propos : l’historique du genre – jusqu’en l’an 2 000.
La semaine prochaine, on trouvera le bilan du XXIe siècle et une brève analyse d’un genre qui, aujourd’hui, semble en danger : si les efforts pour l’accession au livre et à la lecture semblent notoires ( notamment dans les classes primaires ) la place de la « littérature jeunesse » à la fin du collège et au lycée me semble dans une situation préoccupante. A 15 ans, on est davantage attiré par Internet, le cinéma, les tablettes et les réseaux sociaux que par la lecture. Et si le seul accès à la littérature passe, comme les instructions le demandent, par la lecture des « classiques », la place du livre et de la lecture risque de reculer un peu plus encore, surtout dans les classes sociales où la pratique de la lecture n’est pas… courante.
Puissent ces quelques informations et réflexions être utiles aux parents, bibliothécaires, enseignants – et à toutes celles et tous ceux qui se sentent concernés et préoccupés par l’avenir de la littérature en général.
Attention : ce bref panorama :
- exclut la presse de mon propos.
- ne se veut pas exhaustif, qu’il s’agisse des titres, des collections, des thèmes ou des auteurs cités.
Introduction
L’adolescence est une notion récente et plus encore le terme de littérature pour jeunes adultes. Longtemps, 90% de la population est restée à peu près illettrée, et surtout écartée de ce qu’on appelle la littérature. L’enfant accédait au statut d’adulte en même temps qu’au monde du travail : apprentissage, artisanat, travaux des champs…
Pour les gens du peuple, l’apprentissage de la lecture ( on ne parle pas de littérature ! ) était une tâche souvent laissée aux curés.
La préhistoire de la littérature pour « adolescents » ( ma première partie ) concerne donc une population restreinte et privilégiée. J’aborderai ensuite le cœur du sujet, puis dans une troisième partie, réservée au XXIe siècle, les tendances contemporaines : les thèmes, les auteurs, le public… et quelques problèmes économiques.
I-Littérature pour « jeunes adultes » : La Préhistoire
Pendant des siècles, l’accession à la lecture se fait donc avec des précepteurs ou des curés. Les textes proposés sont L’Iliade, L’odyssée, parfois Les Métamorphoses d’Ovide. Et, bien sûr, la Bible ! Chez les catholiques, c’est L’imitation de N.S. Jésus Christ ( l’ouvrage le plus publié après La Bible ) qui est le texte de référence. Elle aura 2 300 éditions et sera tirée à 2.4 millions d'exemplaires.
En 1696 les Contes de Perrault et les Contes de ma mère l’Oye sont sous-titrés contes de nourrice. Dans les faits, c’est ce qu’on appellera deux siècles plus tard de la littérature pour tous.
En 1699, Fénelon répond à une commande de louis XIV : il écrit Télémaque ( la suite de L’Odyssée en quelque sorte ) pour un adolescent très particulier : le dauphin. Ce récit moral, pédagogique est une sorte de Prince ( Machiavel, 1532 ), le cynisme en moins. Quant aux Contesde Grimm ( 1812-1829 ) il s’agit de contes pour les enfants et les parents.
Au XIXe siècle, les choses bougent : les éditions ( catholiques ) Bayard naissent en 1873, Louis Hachette crée sa Bibliothèque Rose en 1886 après Hetzel et sa fameuse « Bibliothèque ou magasin d'éducation et de récréation destiné à la lecture en famille. » Or, Hetzel, on l’oublie souvent, publie déjà Balzac et Hugo – et c’est de la « littérature populaire », à l’image du best seller absolu du XIXe siècle, (envié même de Flaubert ! ) : Les mystères de Paris.
Alexandre Dumas ne me démentira pas.
A cet égard, une mise au point nécessaire : les 62 Voyages extraordinaires de Jules Verne s’adressent au jeune public ( essentiellement masculin, les jeunes filles apprennent à coudre ! ), pas aux adultes.
Tandis que la Comtesse de Ségur (1799-1874 ) et Zénaïde Fleuriot ( 1829-1890 ) s’adressent, elles, aux enfants ( tiens, ce sont des dames… ), d’autres auteurs ( qui publient dans le journal des voyages, comme le Capitaine Danrit ou Arnould Galopin ) veulent toucher un large public qui a récemment appris à lire ( c.f. les lois de Jules Ferry ), un public gourmand d’histoires.
Au début du XXe siècle, deux tendances vont donc cohabiter :
- la « lecture scolaire ou pédagogique » ( Le Tour de France par deux enfants, depuis 1877 – et Charles Vildrac, dont les ouvrages sont lus à l’école – Amadou le bouquillon, Les lunettes du lion, L’île Rose, La Colonie, Milot, Bridinette, etc.)
- Les ouvrages tout public, la « lecture pour tous » : Nathan avec sa collection Contes et Légendes ( 1916 ) ; Hachette sa Bibliothèque verte ( en 1923 )
En 1929, le récent mouvement du scoutisme ( né en 1907 ) entraîne la création de la revue catholique Cœurs Vaillant puis celle de la collection Signe de Piste chez Alsatia(1937)
A noter l’absence du public féminin. Où sont les lectrices de Zénaïde Fleuriot ?
Prélude souvent oublié à la littérature des jeunes adultes - et au livre de poche -, il faut noter, entre les deux guerres, le succès de la jolie collection Nelson« spécialisée dans la littérature populaire et éducative ».
C’est aussi l’époque où naissent :
- les éditions catholiques de L’Ecole, qui donneront naissance en 1965 à L’Ecole des Loisirs,
- la BD, les illustrés
- la littérature des « mauvais genres » : la science-fiction et le policier
- En 1945, date où est traduite et publiée en France la trilogie de Mon Amie Flika, Magnarddemande au scientifique Pierre Devaux de créer et de gérer le collection Sciences et Aventures première collection de SF destinée aux ados.
- En 1946, les Presses de la Cité publient pour les garçonsla série Biggles, ou Les aventures du Capt’ain Johns, un aviateur anglais.
- En 1947, toujours aux Presses de la Citéest lancée la collection GP Rouge & Or, qui publie des classiques ( George Sand, Saint Exupéry, etc. ) et, enfin, des inédits ( de Paul Berna pour les garçons, et de Saint Marcoux, son épouse, pour les jeunes filles ).
Un succès que concurrencera Hachette en 1951 avec l’Idéal Bibliothèque puis la Bibliothèque Verte, au public élargi.
- Aprèsla collection Juventa ( 1949)chez Delagrave, Les Editions belges Gérardcréent Marabout Junior. Grossuccès de la série Bob Morane pour les garçons, et abandon de la « série Mademoiselle ».
Jusqu’ici, en effet, les filles ne sont pas une cible privilégiée ; et rien n’indique explicitement sur la couverture ados – et encore moins jeunes adultes.
II-1965 L’explosion des « collections pour ados »
La place me manque pour tenter d’expliquer les raisons ( sociales, pédagogiques et économiques ) de cet attrait soudain et quasi général. Et même si cette liste s’apparente à un catalogue, il semble utile de livrer la chronologie des collections destinée à un public particulier qui suscite tout à coup l’intérêt de nombreux éditeurs.
- En 1965, c’est la création de L’Ecole des Loisirs, sous l’impulsion de Jean Fabre – mais il faudra attendre 1980 pour voir naître Médium, la collection destinée aux aînés.
- En 1966 chez R Laffont,André Massepain ( alias André Kédros, auteur de littérature générale mais déjà, aussi, auteur jeunesse ) lance la collection Plein Vent, explicitement dédiée aux ados, et qui se veut un tremplin vers la littérature générale. D’autres éditeurs se lanceront alors dans cette aventure souvent hasardeuse avec plus ou moins de bonheur :
- Nathan, en 1968, avec Isabelle Jan, une spécialiste de la littérature jeunesse, qui lance la Bibliothèque internationale ;ellepublie d’abord des traductions puis des auteurs français comme Colette Vivier, François Sautereau, Hubert Montheillet. Henriette Bichonnier prendra le relais de la collection en 1990.
- En 1972, Gallimard lance 1000 soleils, une collection qui (re)publie des « classiques destinés aux adultes mais accessibles aux jeunes ». Peu de risques…
- En 1972 toujours : plus inventive, Tatiana Rageot crée la première collection de poche pour les 10-15 ans, n’en déplaise à Wikipédia, L’Ecole des Loisirs et Gallimard ! Elle se décline en quatre séries distinctes : Jeunesse-poche Aventures, Jeunesse-poche Espionnage, Jeunesse-poche Anticipation et Jeunesse-poche Policier. On y trouvera la série Sans-Atout écrite pour elle par Boileau & Narcejac. L’expérience échouera plus ou moins, à cause d’un tirage trop ambitieux ( 36 000 exemplaires ! ) et malgré un prix très attractif, 3,50 francs ( soit 0,50 euro ! )
- En 1974, Catherine Scob, qui chez Rageot a succédé à sa mère, et sur la lancée du succès de La Bibliothèque de l’amitié, propose Les chemins de l’amitié, collection spécifiquement ado. Elle va accueillir essentiellement des auteurs français recrutés parmi une nouvelle génération qui semble toucher un public spécifique : Michel Grimaud, Pierre Pelot, Christian Grenier, William Camus, etc.
- La même année, en 1974, les éditions La Farandole ( liées au P.C. ) créent la collection Prélude, destinée aux aînés et qui semble ouverte à tous les genres, même si l’engagement politique y est souvent présent. On y trouve des auteurs comme Bernard Clavel, Jean Ollivier, Michel Cosem…
- Toujours en 1974, les Presses de la Cité ( dont les collections Olympic et Super 1000 touchaient déjà un public ado, voire adulte ) lancent Grand Angle, collection tournée vers « l’aventure contemporaine et sociale » - mais aussi la science-fiction.
- La même année, Hachette lance la Bibliothèque Rouge, vite oubliée, rebaptisée Poche Rouge mais qui ne trouvera qu’un public très réduit.
- En 1978, les éditions belges Duculot, sous l’impulsion de Christiane Lapp, lancent la collection Travelling, puis Travelling sur le futur, explicitement destinées aux ados, avec des textes qui les font entrer de plain-pied dans la réalité sociale et économique contemporaine : le chômage, le monde du travail, etc.
- La même année, en 1978, L’Ecole des Loisirs propose à un large public, souvent scolaire, des fameux « classiques abrégés » qui feront débat.
- Toujours en 1978, avec Pierre Marchand, c’est la naissance de Folio-Junior, sur les cendres ( en quelque sorte ) de Jeunesse Poche et de Renard Poche ( 1975, à L’Ecole des Loisirs ). Le fonds Gallimard est gigantesque ; le public visé très large ; et la collection connaîtra un succès qui se prolonge aujourd’hui encore.
- Encore en 1978, Robert Laffont ( ou plutôt Gérard Klein, le directeur de la prestigieuse collection de SF Ailleurs et demain ) lance L’âge des étoiles, collection de SF destinée aux jeunes adultes. Onze titres ( dont deux de Michel Jeury qui seront republiés en Pocket adulte ) et un échec relatif.
- En 1979, une tentative avortée d’Hachette, avec la collection ( de poche ) Voies Libres, où apparaît pour la première fois la mention « jeunes adultes ».
- C’est en 1980 que L’Ecole des loisirs lance Médium, dont la couverture sobre et claire évoque ( et suggère la qualité de ? ) la fameuse Blanche de chez Gallimard. Là encore, grâce à son nom ( L’Ecole ! ) et à son implantation dans le milieu scolaire ( vente par abonnements ), le succès est considérable. Grâce aussi à la qualité des auteurs, étrangers ou français, parfois issus de la littérature générale : Chris Donner, Xavier Deutsch, Marie Desplechin, Susie Morgenstern, Marie-Aude Murail, Yack Rivais… j’en passe !
- En 1980 encore, Casterman confie à Jean-Hugues Malineau la collectionL’Ami de Poche qui publie aussi bien Jules Renard, Pouchkine que Pierre Pelot.
- La même année, Gallimardva décliner Folio-Junioren quatre segments : Folio-Junior bilingue, Folio-Junior en poésie, Folio-Junior Policier ( sous la direction de Francis Lacassin ) et Folio-Junior SF ( sous la direction de Christian Grenier ). Et si je profite de l’occasion ici pour évoquer brièvement mon expérience, c’est parce qu’elle s’inscrit dans le cadre de mon sujet. A savoir : quels critères vont guider mes choix ? Mes contraintes ? Je vais publier conjointement
1/ des recueils de nouvelles dont le titre évoquera un thème particulier : L’homme qui n’oubliait jamais ( et autre récits sur l’Homme ) ; La lune était verte ( et autres histoires de fin du monde ),
2/ des romans, puisés dans le fonds Gallimard, le fonds Denoël ( ou dont il faut racheter les droits ) ou encore inédits.
Les auteurs seront français ou étrangers.
Le public visé est celui de Folio-Junior, et en ce qui me concerne, celui des ados, notamment les élèves des collèges.
Je vais donc, pendant cinq ans, relire des centaines de nouvelles de SF dans les revues et recueils sortis depuis 1945 – et aussi commander des inédits aux auteurs que je connais. Un travail solitaire qui me permet d’analyser ce qui, dans un récit, relève ou non à mes yeux de… « la littérature pour jeunes adultes ».
Je réédite donc de nombreux ouvrages à l’origine destinés aux adultes ( de Ray Bradbury, Gérard Klein, Robert Silverberg, Jean-Pierre Andrevon, etc. ) mais accessible à de jeunes lecteurs ; je m’attache aussi à découvrir des talents nouveaux. Ainsi, le recueil L’habitant des étoiles ( et autres récits sur les extraterrestres ) comporte douze nouvelles d’auteurs français. Dans le domaine romanesque, je tire de l’oubli Niourk, de Stefan Wul, qui sera vendu à plus de 300 000 exemplaires et réédité en Folio-Junior tout court. Le tyran d’Axilane, de Michel Grimaud, décoche le grand prix de la SF française.
La collection meurt en 1986, en partie dévorée par le succès du Livre dont vous êtes le héros, une série découverte par Christine Baker, qui aura la bonne idée d’acheter Harry Potter en 1997.
- En 1993, Hachette tente une nouvelle fois de toucher ce public particulier avec La Verte Aventure, qui publie ( ou republie ) Alexandre Dumas, Jules Verne mais aussi Anthony Horowitz et des auteurs français.
- Nouvelle tentative en 1996 avec la collection de poche Vertige, déclinée ( sur le modèle de Jeunesse Poche ! ) en Vertige Policier, Vertige fantastique, Vertige Cauchemar ( eh oui, Bayard avait traduit et lancé la série Chair de poule de Stine en 1995 ! ) et Vertige SF, dirigée par Denis Guiot. Ce seront des demi échecs, le public des jeunes adultes n’est pas au rendez-vous.
- En 2000, Mango, lance la collection de SF Autres Mondes, sous la direction de Denis Guiot, qui ne publiera que des inédits d’auteurs français. Mais la SF n’est pas la fantasy ; et les ventes resteront modestes.
Avant d’aborder le bref panorama du XXIe siècle, force est de constater l’insistance des éditeurs à cibler ce public particulier, et le peu de collections à avoir su tirer leur épingle du jeu. Notons que celles qui ont perduré, ( Médium, Le Livre de poche jeunesse, Folio-Junior ) ont dû élargir leur public à des tranches d’âge inférieures.
La semaine prochaine :
- Harry Potter, un nouvel élan ?
- Les thèmes, les auteurs et le public « jeunes adultes »
- Quel avenir pour cette « littérature de passage » ?
- Conclusions