Dans cette Mongolie contemporaine où Coréens et Chinois deviennent les nouveaux maîtres, le commissaire Yeruldelgger est un homme brisé : sa fille cadette ( Kushi, 5 ans ) a été assassinée, sa femme Uyunga est devenue folle et sa fille aînée ( Saraa ), une punk gothique en perte de repères, le hait car elle le croit responsable du sort désastreux de sa famille.
Aussi, quand Yeruldelgger découvre le ( vieux ) cadavre mal enterré d’une fillette ( de 5 ans ) sur son tricycle rose, de méchants souvenirs remontent à la surface de sa mémoire. S’y ajoute très vite la découverte de cinq cadavres : trois contremaîtres Chinois émasculés dans leur entreprise et deux prostituées ( qui furent sans doute leurs clientes ) dans un conteneur…
Deux affaires apparemment sans lien.
Avec la tendre complicité de la belle Solongo ( médecin légiste ), et malgré l’opposition de son supérieur hiérarchique ( une brute prétentieuse et macho surnommé Mickey ), l’obstiné et euh… assez rude commissaire Yeruldegger, aidé par deux collègues ( Chuluum et la jeune Oyun ), va peu à peu remonter à l’origine de ses pistes.
Des pistes qui passent par une autre brute épaisse : un certain Adolf, qui est à la tête d’un bar crapuleux et d’un groupe de petits nazillons. A la suite d’une fuite éperdue dans un ( faux ) égout d’Oulan-Bator ( la capitale de la Mongolie ), Yeruldegger sera aidé dans sa tâche par un ado zonard sympa aussi futé que fouineur : Gantulga.
Faute d’indices, Yeruldelgger comprendra que le tricycle passe par un quad dont il veut découvrir l’origine et le conducteur ; quant la petite victime, elle va entraîner le héros à s’interroger sur ses parents, introuvables – et qui n’ont visiblement pas quitté le pays.
Au bout de ce long chemin semé de violence et d’intérêts privés, un certain « camp de l’ours » au nom doublement bien porté ; et un grand père turc particulièrement odieux et pervers…
Ames sensibles s’abstenir ! Et vous, amateurs de thrillers, précipitez-vous sur ce polar décoiffant qui dissimule un vrai roman policier et une vision édifiante, forte et étonnamment documentée de la Mongolie d’aujourd’hui.
Ce récit trépidant et attachant mérite un week-end de lecture ( méfiez-vous : difficile de s’en détacher ! ). Eh oui, Ian Manook ( alias Patrick Manoukian, journaliste né en 1949 ) a fait très très fort. On le sent pénétré de l’âme de la Mongolie, de ses paysages, de ses vieilles traditions mises à mal par des voisins ( chinois, coréens ) brutaux et dominateurs – traditions que le héros respecte et connaît sur le bout des ongles.
Quant aux fils de l’intrigue, divers et multiples, l’auteur les entremêle et les réunit avec une telle maestria que le lecteur n’est jamais perdu – ni ennuyé ! Ce récit est un vrai « page turner ». Aux deux tiers de l’ouvrage, page 400, le rideau s’ouvre à moitié – mais il faut attendre les dernières pages pour obtenir les ultimes explications… et assister à un dernier petit coup de théâtre qui ne surprendra pas un amateur attentif.
Quelques cerises sur ce ( gros ) gâteau : des descriptions poétiques, une fête du Naadam euh… assez folklorique, des scènes gore qui mettent les personnages de Seven du Silence des agneaux au rang de héros de contes pour enfants, une critique féroce et réaliste des intérêts économiques en jeu dans cette région du monde… et une recette détaillée de kuushuur, les délicieux beignets de marmottes !
Certains polars laissent si peu de souvenirs qu’il arrive qu’on les relise par mégarde avant de s’apercevoir… qu’on les a déjà lus ! Avec Yeruldegger, aucun risque : vous n’êtes pas près de l’oublier. Depuis Seul contre tous ( de Jeffrey Archer ) et la trilogie Millénium, c’est sans doute le roman qui m’a le plus impressionné et passionné.
Ah : la scène finale suggère qu’il y a une suite : Les temps sauvages, sortie en 2015.
Lu dans sa version France Loisirs ( pas ma faute… ce bouquin, c’est mon camarade Alain Grousset qui me l’a donné ! ), un joli format moyen jaune-orangé !