La Grammaire est une chanson douce, Erik Orsenna, Stock

La jeune Jeanne aime la littérature en général et les fables de La Fontaine en particulier, grâce à son enseignante : Mlle Laurencin. Mais un jour arrive en classe Madame Jargonos, inspectrice chargée d’une vérification pédagogique règlementaire… eh oui : les instructions contraignent les enseignants à utiliser un étrange jargon que Mlle Laurencin ne maîtrise pas.

Commence alors, pour Jeanne ( et son grand frère Thomas ), un voyage sur la mer qui s’achève par un naufrage… au pays des mots ! Sur une île aux pouvoirs magiques, Jeanne est recueillie par le doux Monsieur Henri ( Salvador ? ) et son séduisant neveu un peu hippie. M. Henri emmène Jeanne au marché aux mots et sur un îlot desséché, le cimetière des vingt-cinq langues (qui) meurent chaque année, faute d’avoir été parlées ; et les choses que désignent ces langues s’éteignent avec elles… Il lui présente ensuite la très vieille « nommeuse », celle qui recueille les mots rares et oubliés. Jeanne entrera plus tard dans La ville des mots, peuplée par la tribu des adjectifs, celle des pronoms ( un peu prétentieux ) ; elle entrera dans l’hôpital où sont soignés les mots malmenés, utilisés à tort et à travers. Hélas ! Enlevée par un hélicoptère, elle fera un stage ( avec Mme Jargonos ) à la Sècherie, où l’on essaiera de la remettre sur le droit chemin. Sauvée par M. Henri, elle se rendra ensuite dans l’usine des verbes, où, grâce à trois horloges, elle apprendra à utiliser... les temps ! Car « une phrase, c’est comme un arbre de Noël. Tu commences par le sapin nu et puis tu l’ornes, tu le décores à ta guise… jusqu’à ce qu’il s’effondre. Attention à ta phrase : si tu la charges trop de guirlandes et de boules, je veux dire d’adjectifs, d’adverbes et de relatives, elle peut s’écrouler aussi. »

On l’a compris : ce conte aux allures de parabole dissimule ( à peine ) une vulgarisation de la grammaire, une déclaration d’amour à notre langue et au langage en général, pour ne pas dire à la littérature ! A travers des allégories, Erik Orsenna livre un mode d’emploi du langage, aux antipodes des méthodes et termes savants imaginés par des grammairiens distingués. Il n’hésite pas d’ailleurs à citer ses sources, comme la définition officielle ( in Programmes et accompagnement, Français, classe de 6ème, page 55 ) de… l’apposition : « cette fonction exprime la relation entre le mot ( ou groupe de mots ) apposé et le mot auquel il est mis en apposition, relation identique, pour le sens, à celle qui lie l’attribut et le terme auquel il renvoie, mais différente du point de vue syntaxique, car elle n’est pas établie par le verbe. » Malheureux profs perdus dans la nuit ! ajoute un Erik Orsenna compatissant.

Cette joyeuse et poétique allégorie a beau avoir 15 ans ( l’ouvrage est sorti en 2001 ), elle n’a pas pris une ride. Si un enfant a des difficultés avec la grammaire, ce petit récit offre une cure bienfaisante – et une recette pour se réconcilier avec le français et ses mille et un moyens d’accommoder les mots qui – attention « peuvent piquer pire que des guêpes et mordre mieux que les serpents »..

Cette « défense de la langue » prend parti : évoquant les banquiers et les économistes, Orsenna affirme que « la diversité des langues les gêne pour leurs trafics, car (… ) si la vie se résume aux affaires, à l’argent, acheter et vendre, les mots rares ne sont pas très nécessaires. » Ce récit, lui, est indispensable. Il devrait figurer aux programmes scolaires !

Lu dans sa version de poche, mince, séduisante, illustrée… et bon marché !

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